Gamin, il rêvait que Bono lui murmurait à l’oreille. A 48 ans, l’irlandais Neil Hannon plus connu sous l’alias de The Divine Comedy a sorti avant l’été son 12ème album solo, Office Politics (Pias). On y entend toujours des pop songs sardoniques (Queuejumper) et des petits bijoux (Norman and Norma), mais aussi des morceaux que l’on jurerait échappé de Depeche Mode. Bref, le vrai faux dandy s’autorise tout. Comme dans cette interview délicieusement décalée donnée avant ses concerts en France et en Bretagne.

Je lisais cette histoire à propos de Mark Hollis et du groupe Talk Talk qui ont enregistrés certains de leurs derniers albums, plongés dans le noir, entourés de volutes d’encens. Est-ce que vous avez ce genre de rituels ou alors des habitudes très différentes quand vous enregistrez pour The Divine Comedy ?
Neil Hannon 
: Des rituels ? Le problème est de savoir quand l’enregistrement commence vraiment. De nos jours, tout est beaucoup plus flou. Nous (les musiciens, ndlr) avons des logiciels Pro Tools à la maison, et nous pouvons commencer une session pour un début de chanson qui ne sera clos que deux ans plus tard au moment du mixage. Cela signifie qu’il n’y a plus cette séparation entre la démo et l’enregistrement pour de vrai comme dans le bon vieux temps. Ce qui est un peu triste. Je me souviens du sentiment que j’avais quand j’obtenais du temps d’enregistrement en studio. C’était tellement excitant, je sentais les trépidations de mon cœur dans la poitrine, la peur aussi. C’était tellement facile de tout foutre en l’air. Je l’ai fait d’ailleurs. Plein de fois. Aujourd’hui, c’est moins rigolo mais c’est plus facile de ne pas merder quand on enregistre.

Mais vous n’avez donc aucune routine particulière ?
Neil Hannon
: Non… Je suis désolé. J’essayais d’éviter de répondre à votre question. Je suis l’homme le moins superstitieux de la Terre. Je n’ai pas de chaussettes magiques que je dois enfiler pour que tout se passe bien. La seule chose… Oui, la seule chose, c’est qu’il faut que j’apprenne les paroles de mes chansons avant de les enregistrer. Putain… Et à chaque fois, je m’y prends au dernier moment. C’est ça le truc bizarre : pendant des mois, tu écris ce que tu veux dans ton petit cahier et personne ne vient t’emmerder, et du jour au lendemain, il faut que tu fasses le show avec ces mots que tu avais bien camouflé.

Avant un enregistrement, est-ce que vous mettez des livres, des films, des tableaux de côté pour vous inspirer ? Avez-vous une sorte de salon de curiosité qui vous sert de capsule pour capter une atmosphère et la rendre sur un disque ?
Neil Hannon
 : La pièce censée être le salon pour dîner sert aujourd’hui de studio d’enregistrement dans ma maison. Et il y a beaucoup de bordel bizarre qui s’y accumule. Ma petite amie, Cathy (Davey, une musicienne irlandaise, ndlr), a fait cette vidéo avec des masques en papiers mâchés. Ils sont très poilus. Voilà le genre de choses qu’on trouve dans cette pièce. Je dois aussi admettre que j’ai deux disques d’or qui remontent aux années 80, accrochés aussi aux murs. A mon grand étonnement d’ailleurs. Je n’aurai jamais pensé obtenir ce genre de choses quand j’ai commencé la musique. Je me suis donc dit : « Putain, je vais les accrocher bien en vue ! » Et merde pour la fausse modestie !

Est-ce que ce disque, Office Politics, est une sorte de manuel de survie à destination des employés de bureau ? Ou la première pierre d’un projet révolutionnaire mondial pour que les « Men in Black » passent soudain en mode émeutes ?
Neil Hannon
 : Oh, c’est tout cela et bien plus encore… Ou pas du tout cela, et encore moins. Je n’ai aucun problème avec ce qui n’a pas vraiment de sens, avec les anachronismes. J’aime que dans les chansons d’Office Politics, il soit fait mention de présentations Power Point mais aussi de machines à écrire, alors que tout cela ne coexiste pas dans le même monde, ni surtout la même époque. J’essaie de rester un peu vague pour que tout fasse sens, et que rien ne fasse sens. J’ai juste écris des chansons, et il s’est avéré qu’elles s’inspiraient du monde de l’entreprise. Si on s’amusait à filer la métaphore autour de Picasso, on pourrait dire que c’est ma période bleue, que j’ai écris des chansons qui ne sont pas bleues et que je les ai bien barbouillées de bleu pour être sûres qu’elles entrent dans les cases… Ce sont des chansons de bureau, du lundi, un peu ordinaires, avec un gros nuage noir qui flottent autour au fur et à mesure que l’album se poursuit. Je voulais que l’ambiance du disque soit vraiment au raz des pâquerettes pour donner une impression encore plus effrayante avec l’arrivée des machines.

Vos deux frères travaillent dans des bureaux…
Neil Hannon
 : Oui, je crois bien. Je n’y avais pas vraiment pensé. L’un deux ne doit pas avoir de bureau puisqu’il se rend chez les gens pour son travail.

Leur avez-vous posé des questions avant d’enregistrer sur le monde du travail ?
Neil Hannon
 : Pas du tout.

Et ont-ils écouté l’album depuis sa sortie ?
Neil Hannon
 : C’est possible, et ils doivent être tellement gênés par leur petit frère : « Oh, mon dieu, Neil passe encore à la télé ! » En vrai, ils sont très sympas avec moi. Mais c’est vrai que je ne leur ai pas demandé grand-chose parce qu’en fait, je ne veux pas savoir. Je sais que cela sonne bizarre mais le fait d’entamer des recherches, c’est parfois la mort de la créativité.

Vous n’êtes pas un journaliste !
Neil Hannon
 : Non. J’écris juste des chansons pop débiles. Il est donc important que je ne sois pas trop futé. Cathy me disait qu’elle avait donné des cours pour apprendre à des gamins comment écrire une chanson et qu’ils travaillaient sur ordinateur, qu’ils repassaient sans cesse sur le texte pour qu’il soit parfait. Moi, j’ai besoin de papier pour gribouiller, et chercher à déchiffrer ce que j’ai bien pu écrire dans les marges ou raturé. Quand vous prenez un bout de papier, les informations dont vous avez besoin sont déjà toutes dans votre crâne. Vous n’avez pas besoin de savoir que vous savez déjà. Vous me comprenez ? En fait, quand je regarde la télé, un documentaire, que je parle avec des gens, j’accumule des informations. Ce qui est amusant, c’est comment elles vont ressortir et former une chanson.

Est-ce vrai que vous avez décidé de devenir musicien après avoir entendu un morceau de The Human League, Don’t You Want Me ?
Neil Hannon
 : D’où tenez-vous ça ? Mais ce n’est pas loin de la vérité. Je ne pense pas que j’aurai cité cette chanson en particulier, j’aurai plutôt dit que c’est en voyant au début des années 80 quelqu’un comme Phil Oakey (le leader de The Human League) et sa frange de cheveux ridicule, Adam and The Ants, ou des popstars comme Gary Numan, que j’ai commencé à me dire que cela avait l’ai d’un job sympa.

Un job ?
Neil Hannon
 : Disons, un truc sympa à faire. Et je me suis dit que je n’aurai jamais plus à me lever tôt le matin. Je me suis un peu planté.

Si on vous avait offert un synthétiseur plutôt qu’une guitare à l’adolescence, vous seriez plutôt devenu Depeche Mode ou Daft Punk ?
Neil Hannon
 : J’y ai souvent pensé parce que je rêvais d’un synthétiseur. Mon père m’a dit : « Je t’offrirai ce synthétiseur si tu passes ton niveau 3 au piano. » Je n’ai même pas obtenu le niveau 2. J’ai merdé grave et j’ai fini avec une guitare pourrie. Et j’ai fait de l’indie-pop. Mais j’aurais bien pu devenir un des types de The Orb (un groupe électronique du début des années 90), ou d’Orbital (un duo techno de la même époque). J’aurai adoré faire partie des Chemical Brothers. Je les adore.

Sur Office Politics, certains morceaux sont vraiment très dansants. L’un d’eux m’a même fait penser que vous aviez fait une reprise de Depeche Mode…
Neil Hannon
 : Sans doute Infernal Machines. Je pense que, consciemment, je me suis autorisé à faire ce que les chansons demandaient sur ce disque. Souvent, je me disais que pour des raisons esthétiques, telle ou telle chanson ne correspondait pas au son de l’album. Mais cette fois, je me suis dit : « T’es trop vieux, fais juste ce que tu as envie. »

Quand vous étiez gamin, vous rêviez que Bono venait vous murmurer à l’oreille « Tout va bien se passer. » Vous l’avez rencontré en vrai. Que vous a-t-il dit ?
Neil Hannon
 : La première fois, c’était en… Quand est morte Lady Di ? En 1997 ? Ma compagne de l’époque m’avait emmené voir U2 au Parc des Princes en France. C’était cool. Et on a réussi à se retrouver backstage. Super cool. Et puis, on s’est retrouvé encore plus backstage avec les VIP. Super super cool. Et soudain, Bono déboule. Je dois dire que j’étais un fan absolu quand j’étais adolescent mais avec le temps, cette passion s’était un peu effritée. Ma flamme s’était un peu éteinte. Bono déboule donc. Mes genoux se transforment en gelée et il se dirige vers moi, me prend par l’épaule, mets son bras autour de moi, et commence à danser dans toute la pièce. Je crois bien que j’ai pleuré. C’était très embarrassant. J’avais eu quelques tubes, j’étais irlandais, et j’étais un peu la mascotte pop du moment. Je crois que plus tard, dans la nuit, il est venu me dire deux ou trois trucs. Genre : que le temps des baladins était revenu, avec des types comme Tom Jones. Et j’ai du dire : « Humm… Merci monsieur Bono, c’est ce que je voulais entendre. Et c’est plus ou moins ce que je fais. » Tout cela n’avait pas vraiment de sens. Il y avait The Edge, et aussi Michael Stipe (le chanteur de R.E.M.). C’était vraiment une drôle de soirée. Une que je n’oublierai jamais. J’en ai eu quelques-unes dans le genre. Ce qui est amusant, c’est qu’avec le temps, les motivations évoluent. Quand j’ai commencé à faire de la musique, c’était à la fois pour flatter mon ego, avoir une chance de me faire « sauter », et devenir une pop star. Aujourd’hui, j’aime vraiment le job pour ce qu’il est : faire de la musique.

Et vous ne vous faîtes plus « sauter » tous les soirs ?
Neil Hannon
(moqueur) : Attention, évitons d’aller dans cette direction…

En écoutant ce disque, je me suis demandé si vous n’aviez jamais été approché pour composer un morceau pour un James Bond ?
Neil Hannon
 : J’adorerai vraiment que l’on m’appelle pour un James Bond. Par forcément pour chanter mais au moins pour écrire un morceau. Je connais pas mal de gens qui orbitent autour, et qui ont prêté l’oreille à ce que je fais, mais ce n’est encore jamais arrivé.

Mais cela pourrait…
Neil Hannon
 : Bien sûr. Il me reste encore un peu de temps. Je chante beaucoup mieux qu’à mes débuts, voilà vingt ans. Ce que j’adore, c’est le côté glamour et les clins d’oeils que John Barry a apporté à James Bond avec sa musique. Aujourd’hui, c’est un peu trop sérieux mais j’ai bien aimé dernièrement le morceau d’Adèle, sauf la fin… (Il se met à chantonner).

Avez-vous l’impression que votre musique a des connections celtiques comme les Waterboys, U2 ou encore Sinead O’Connor ?
Neil Hannon
 : C’est amusant parce que j’ai la sensation que ce que je fais est vraiment très irlandais, mais pas dans le sens où l’on imagine d’habitude les Irlandais. Par exemple, il y a une grande tradition dans mon pays autour des ténors chantant des chansons sentimentales et romantiques. Et c’est plutôt de ce côté là qu’auprès des Chieftains que je puise mon inspiration. Je suis un Irlandais du nord, protestant, donc je n’ai pas été élevé dans la tradition gaëlique. Pourtant, il y a un son qui m’a toujours transporté, c’est celui du « bodhran », le tambour irlandais.

Propos recueillis par Frédérick Rapilly (juin 2019, publiée en octobre 2019)
En concert, en France, à la salle Pleyel (Paris) le lundi 28 octobre. A Nantes, le mardi 29 octobre. A Brest, le mercredi 30 octobre. A Cenon, le vendredi 1erNovembre.

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