L’un a des origines britanniques (Philippe Ross), l’autre (Boris Guffer) a longtemps vécu à Vannes dans le Morbihan où il a cofondé (avec François Possémé) le groupe Complot Bronswick (devenu Complot et toujours en activité) au tout début des années 80. Les deux, réunis, forment le duo Zwei ! et sortent un premier album qui impressionne avec ces paysages sonores souvent dantesques « dessinés » par Boris, évoquant Depeche Mode, Front 242, ou Front Line Assembly. Un disque mêlant rock industriel, electro new wave, et inspirations cold-wave marqué par des percussions omniprésentes, et le chant ou plutôt les scansions rageuses de Philippe.

D’abord… Comment vous êtes-vous rencontrés ? Via les réseaux sociaux, ou une application genre Bumble, Meetic ou Adopte Un Mec ?
Philippe Ross : La rencontre s’est faite naturellement via Facebook. Je connaissais Boris de réputation et nous avions des amis communs comme Thierry Leray ou Patrick Blain du groupe Charles de Goal. Boris a posté sous le pseudo de Paolo C. Ucello un très bel instrumental atmosphérique accompagnant un texte écrit et lu par Pier Paolo Pasolini. Je l’ai contacté pour lui proposer de travailler ensemble et il a aussitôt accepté. Nous étions en pleine période électorale présidentielle et des idées nauséabondes portées par un candidat dont je tairais le nom, inondaient les médias. Un texte, Vent Mauvais s’est aussitôt imposé et Boris est venu chez moi, à Villemomble avec son gros ordinateur Mac truffé de logiciels et d’instrumentaux. Le morceau a été enregistré très rapidement en novembre 2021 et pleins d’autres ont suivi…

Qu’est-ce qui, ou plutôt qui vous a réuni ? Le goût pour des artistes en particulier ?
Philippe : Nous sommes tous les deux des anciens combattants du punk et de la new wave des années 80, moi avec C.O.M.A /Clinik Organik Muzak Anatomik, combo « növo » à la brève existence (un album en 1979, un concert au Palace la même année avec Suicide Roméo, Taxi Girl et Stinky Toys) et Boris avec le groupe culte vannetais/rennais Complot Bronswick qui existe toujours sous le nom de Complot (avec un album, Dickinson, à paraître début 2024). Nous aimons bien évidemment les mêmes groupes de cette époque comme Wire, Devo, Magazine. Boris est aussi fan de trucs plus radicaux voire expérimentaux et moi de groupes plus mainstream comme Depeche Mode. Finalement on se complète plutôt bien et l’alchimie de Zwei ! est sans doute liée à cette complémentarité.

Philippe, si je suis bien renseigné, tu n’avais pas fait/enregistré de musique depuis 1979 et la sortie de l’unique album du groupe culte C.O.M.A. dont tu étais le chanteur…
Philippe : Effectivement je n’avais pas vraiment fait de musique depuis 1979 si ce n’est quelques petites incursions vocales ici et là, comme dans le projet Danse Macabre de Louis Thévenon de New Rose. Après avoir quitté l’enseignement, je me suis consacré à mon autre passion, le cinéma en bossant dans diverses revues (La Revue du Cinéma, L’Écran Fantastique, Music Up, Compact, Rage, Crossroads…) pour terminer à Télé 7 Jours comme journaliste de cinéma. Cela dit entre achats compulsifs de disques, abonnements à des revues musicales british et bien sûr concerts à gogo, je n’ai jamais vraiment quitté le monde de la musique.

Philippe, Boris… Quels sont vos parcours de musicien à chacun ?
Philippe : Je n’ai aucune formation musicale. J’ai joué un peu de batterie dans les années 70 et je suis ensuite passé au chant pour Chaos, un groupe punk pur et dur puis C.O.M.A. car personne ne voulait assumer cette fonction et que – sans doute ! – par mon métier d’enseignant, j’avais quelques capacités vocales dans le style « gueulantes » mais je connais parfaitement mes limites. Je ne me sens pas vraiment légitime comme chanteur et je suis conscient de mes faiblesses. Mon truc c’est l’écriture…
Boris Guffer : Au début de Complot Bronswick, je ne jouais pas de musique dans le groupe mais je m’occupais de son aspect visuel, car dans l’ADN de Complot, notre idée était de mélanger les arts, musique, scénographie, théâtre, graphisme, peinture etc… Nous étions influencés par toutes les expériences des avant-gardes du début du XXe siècle. Ces artistes étaient bien plus radicaux que les punks et post-punks. A nos débuts, je faisais de la peinture en direct pendant les concerts. Puis, à un moment dans le groupe, nous nous sommes retrouvés à deux. J’ai alors décidé d’acheter un sampler en 1987 (que l’on entend sur l’album Iconoclasmes de Complot sorti en 1988). C’est de cette façon que j’ai commencé à composer. Pour moi musique et visuel sont très proches émotionnellement. Je ne me considère pas comme musicien, mais plutôt comme quelqu’un qui établit des paysages sonores.

Comment avez-vous procédé ? Qui fait quoi ? Est-ce que Philippe tu suggères des choses côté musique, et vice-versa, est-ce que toi, Boris, tu interviens aussi sur les textes ?
Philippe : En général Boris qui est très prolifique, vient avec ses compositions musicales et j’essaye de coller mes textes. Parfois ça se fait très vite et naturellement. D’autres fois, c’est plus compliqué, mais on s’adapte…

Boris… Tu es graphiste de formation. D’où te viennent les inspirations de tes musiques ? Et d’ailleurs, les visualises-tu avant de les composer ? Comme des paysages ?
Boris : Je crois que je suis synesthésique. En effet, une image, une vision m’évoquent des sons et inversement. Je n’arrive pas à y échapper. Tout est simultané. L’inspiration ? C’est un phénomène qui s’explique difficilement
C’est un moment par exemple, pendant lequel un petit signe visuel dérisoire va déclencher une émotion, une sensation qui va se nicher au plus profond de soi sans que l’on puisse le comprendre. Par exemple, la partie sonore du titre Les Poings en Croix est partie d’une peinture de Neo Raush. Pour les paroles, j’avais transmis une reproduction de cette œuvre à Philippe pour l’inspirer textuellement. Il n’a pas ressenti la même chose que moi, mais c’était beaucoup mieux, car le mélange des deux en est ressorti bien plus fort.

Philippe… Tes textes sont plutôt sombres. Où vas-tu les chercher ? Aurais-tu des exemples ?
Philippe : Oui c’est vrai mes textes sont plutôt « dark », tout le contraire de moi dans la vraie vie ! Sans doute parce que mon inspiration principale vient du 7e art et notamment du cinéma de genre qui a longtemps été ma spécialité. Le titre Zone Rouge sur l’album est une référence directe à Crash, le roman culte de J.G. Ballard, à son adaptation par David Cronenberg, un de mes réalisateurs favoris mais aussi à Titane de Julia Ducournau. D’autres textes ont des inspirations plus sociétales comme Young K qui évoque les abus sexuels sur les enfants dont a été victime le fils d’amis très proches. Le morceau Sirènes parle évidemment de ce qui se passe en Ukraine, au Moyen Orient et un peu partout dans le monde, et Rivages se penche sur le sort des réfugiés…

Est-ce que vous vous considérez comme des punks, des enfants du punk ? Ou l’inverse, des papys du punk étant donné que vous avez chacun un certain âge ?
Philippe : Ayant vécu l’âge d’or du punk puis de la new wave, on se considère bien évidemment comme des papys de ces mouvements mais c’est plus dans l’esprit que dans l’attitude. Les coupes iroquoises et les épingles à nourrice, très peu pour nous ! Ce qu’il y a eu de génial avec le punk, c’est que n’importe qui a pu prendre une guitare, un micro et faire de la musique. À ce niveau-là, on ne se considère pas comme des professionnels, mais plutôt comme des amateurs éclairés. D’ailleurs le mot amateur signifie celui qui aime. On fait ça pour le fun, sans aucun plan de carrière et surtout on ne se prend pas au sérieux ! Si on pense plan de carrière, c’est fini, la magie s’en ira.

D’où vient ce nom de Zwei ! à part le fait que vous soyez deux ? Le fait que vous vous appeliez Zwei !, deux en allemand, donne-t-il une indication sur votre musique ou vos inspirations ? Et ce point d’exclamation – ! -, pourquoi ?
Philippe : On est tous deux fans de krautrock, de groupes comme Kraftwerk, Can ou Neu ! D’où le point d’exclamation qui est un hommage/clin d’œil à ce groupe culte

Vous n’aviez pas prévu de vous produire en concert lorsque je vous ai rencontré la première fois. Qu’est-ce qui vous ferait changer d’avis ?
Boris : Il ne faut pas se voiler la face, nous ne sommes pas un groupe de scène et si nous nous voudrions nous produire, il faudrait revoir complètement la structure des morceaux. Cela dit si un groupe naviguant dans les mêmes eaux que nous, nous proposait de faire sa première partie, pourquoi pas…

Après la sortie de ce 1er album, y-a-t-il une suite déjà envisagée ? Et si oui, quel sera la suite de Zwei ! ? Drei ? Vier ? Fünf ?
Boris : Nous avons déjà commencé à bosser sur le nouvel album, on a déjà cinq morceaux en gestation. Quant à son titre, pour l’instant aucune idée, mais passer directement de Zwei ! à Vier ou Fünf serait assez drolatique…
En même temps, il est bien trop tôt pour envisager un titre d’album, ce serait à ce stade se brider.

Propos recueillis par Frédérick RAPILLY

Zwei ! (May I Records)

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