L’actualité d’Alan Stivell le place une nouvelle fois sur le devant de la scène. Sa biographie tout d’abord aux éditions Ouest France, mais aussi la réédition de ses 4 premiers albums chez PIAS, en attendant un live au Liberté prévu pour 2024. Rencontre.

Pourquoi prendre la plume pour raconter votre parcours ? Plusieurs biographies existent déjà, pourquoi la vôtre ?
Alan Stivell
 : Avec la sortie de ce livre, j’ai pris le temps de dire quelques vérités. Quand l’histoire est racontée par d’autres, c’est une interprétation. Du coup, j’ai maintenant ma propre interprétation ! (rire).

A quand remonte ce besoin et ce travail d’écriture ?
A.S. :
J’ai toujours pensé qu’un jour je devrais rectifier ce qu’on raconte sur moi. La pandémie m’a donné le temps nécessaire de me mettre au travail. Ensuite, le projet s’est concrétisé avec Laurence Morvan de Ouest France. Ce n’est pas très vieux. Un an en fait. Tout est parti d’Yvon Boëlle, photographe et iconographe qui m’a dit qu’il sortait un livre sur Gilles Servat et qu’il souhaitait décliner la collection avec moi. Cette demande tombait bien, car en parallèle je cherchais un éditeur. Le format proposé par Ouest France a un peu changé la nature de mon projet : c’est un beau livre qui laisse la part belle aux photos. Il a fallu condenser mon propos tout en gardant l’essentiel, en moins de 100 pages rédigées. Ceci dit, à la fin du livre, il y a un lien qui donne accès aux desiderata, quelques compléments culturels… Et à des informations que je rajoute au fil du temps. C’est vivant. Du coup, je ne suis pas frustré d’avoir dû faire court. Ce qui fait que dans 4 ans, je ne vais pas devoir chercher un nouvel éditeur pour sortir un autre bouquin !

Vous avez été immédiatement séduit par la proposition de Ouest France ?
A.S.
 : Avec Laurence Morvan, tout s’est bien passé. Tous nos entretiens se sont passés en breton autant faire se peut. Elle se débrouille vraiment bien en breton. Elle a une importante culture celtique. C’est un énorme plus qui a contribué à me séduire. Et qui m’a aidé lors des relectures avec elle.

Vous êtes intervenu sur la sélection iconographique ?
A.S.
 : Un peu oui. A la base, c’est surtout Yvon Boëlle qui s’est chargé de sourcer les photos. Ensuite, il y a tout le travail d’Yves Bigot à la maquette pour la mise en page, le rythme et l’équilibre du livre.

Et les photos de famille ?
A.S. :
Une partie vient de chez moi, d’autre de chez mon frère Iffig et de mon neveu, Gilles qui s’intéresse beaucoup à la généalogie.

Votre engagement pour une Bretagne autonome est connu. Pensez-vous que les choses aient évolué depuis 60 ans, tant sur les idées que sur le plan administratif ?
A.S. :
On peut voir la bouteille à moitié pleine ou à moitié vide. Soit on adopte la méthode Coué et on garde une certaine confiance et une bonne dose d’optimisme pour avancer. Soit, c’est la dépression absolue et le suicide. Ça n’a aucun intérêt. Il faut avoir cette dose d’espoir et se dire qu’on va y arriver. C’est là qu’on peut faire le parallèle entre le problème breton et l’avenir de notre planète. Le réveil breton et la sensibilité écologique sont arrivés en même temps, il y a une cinquantaine d’années. Aujourd’hui, on peut encore sauver la planète et la culture bretonne. Certes, il faut être optimiste, mais on doit garder cette lueur d’espoir. En revanche, il faut se bouger.

Se bouger ?
A.S. :
Par exemple que le Conseil régional de Bretagne ait voté à la quasi-unanimité pour l’autonomie de la Bretagne, ça veut dire que ça bouge. Pour que la langue bretonne survive, il faut l’autonomie. Il faut qu’elle devienne langue officielle. Autrement, on est dans les soins palliatifs. Et c’est exactement ce qui se passe. Pourtant, je dois également reconnaître les avancées. On est arrivé par avoir des panneaux bilingues. Ce qui était utopique il y a encore quelques années. Il faut s’en réjouir, mais passer à d’autres étapes. Ce n’est pas suffisant. Dites-moi combien de minutes par jour on est en contact avec la langue française ? A chaque instant ! La radio, la TV, vos voisins, au bureau, l’administration… Et parce que vous avez 2 ou 3 panneaux en breton, ça y est, c’est fini ? ça n’a pas de sens. On sait qu’il faut au moins l’égalité. Et même dans ce cas, la survie de la langue n’est pas gagnée.

Pourtant vous vendez des millions de disques, les bagadoù ne se sont jamais aussi bien portés, les cercles de danse sont partout en Bretagne… Et les mouvements autonomistes ne décollent pas !
A.S. 
: Des experts seraient mieux placés que moi pour répondre. Mais je vais refaire un parallèle avec l’écologie. Ils ne font pas 51% lors des élection. En revanche, chaque parti politique a désormais intégré l’écologie dans son programme. En Bretagne, tous les partis ou presque ont adopté l’idée bretonne. L’idée d’autonomie au sens défini par le conseil régional est partagée par les républicains, les macronistes, les socialistes, etc. A côté de cela, il existe des partis autonomistes bretons. Ensuite, les gens votent pour les gens qu’ils connaissent. Ce n’est pas toujours le cas des candidats des partis autonomistes. Et puis, n’oublions pas aussi que les partis autonomistes ne sont pas forcément très bons. Si on en est là, c’est qu’on n’a pas été très bon en fait. Surtout si on se compare à la Corse.

Dans votre livre, vous parlez de vagues successives de la culture bretonne. La prochaine est pour bientôt ?
A.S. :
En ce moment, la météo est un peu moins bonne. Et je ne sais pas pourquoi, les années 80 c’était le trou pour la Bretagne. Et pourtant, il s’est passé pas mal de chose : la manif de Plogoff, et pour moi, les concerts au stade de Lorient, en Italie, la tournée aux Etats-Unis, etc. De l’autre côté, on ne peut pas nier certaines difficultés. J’explique pourquoi dans le livre à commencer par la ringardisation des années 70. On voyait les gens se moquer des babas, des folkeux… En revanche, de mon côté, j’ai toujours eu la volonté de conserver une certaine modernité dans mes projets, même si je ne renie pas mes influences roots.
De toute façon, tu as ton propre cycle d’énergie qui laisse la place à des années de recul. Une respiration naturelle. Le cycle solaire de 10 ans cohabite avec un autre cycle de 20 ans qui suit le même principe avec une seconde décennie de relâchement. Comme un kan ha diskan : Kan est actif et le diskan un peu plus passif. Ça ne veut pas dire qu’il n’est pas là, mais au contraire, qu’il engrange des choses pour mieux repartir. Tous les 20 ans, tu retrouves une nouvelle énergie. La décennie des années 2010 a été pilotée par Nolwenn Leroy. Maintenant, il faut espérer que ça reparte. Certaines choses ont l’air de converger qui donnent de la dynamique qui elles-mêmes s’auto alimentent. En ce qui me concerne, actuellement j’ai la sortie de mon autobiographie, les concerts symphoniques au Liberté à Rennes, mes concerts en cathédrales, le disque qui devrait sortir en 2024, la réédition de mes 4 albums en vinyle… Tout ça mis bout à bout fait que quelque chose se passe. Est-ce que ça sera une petite vague ou une grande ? Moi j’avance. Est-ce que les autres suivront ?

Vous avez tourné dans le monde entier et dans les pays celtes en particulier. Pourtant, on a du mal à constater l’existence d’un pan celtisme en dehors de la Bretagne.
A.S. :
Il y a des raisons très objectives à ce constat. Y remédier passe par l’éducation. Qu’enseignent les profs en Bretagne, en Irlande, en Ecosse, etc. ? Les écoliers des îles britanniques, connaissent 1000 fois mieux l’histoire des pays du Commonwealth que celle de la Bretagne ! On ne peut pas inventer ce qu’on n’a jamais appris. Cette ignorance est une forme de manipulation. La culture des britanniques les oriente vers l’histoire de leurs anciennes colonies et le monde Anglo saxon. Pourtant, pendant plusieurs siècles, il en a été autrement avec des échanges quotidiens entre eux et les bretons. On partageait la même culture. Comment voulez-vous qu’ils nous accueillent : personne ne les a mis au courant de notre existence !

Vous Alan Stivell, vous avez franchi cette barrière en jouant dans tous ces pays celtes !
A.S. :
Oui. Mais c’est le résultat d’un énorme travail de terrain. Je courais d’un rendez-vous à l’autre. C’est une personne de Philips France, mon label, qui s’est mis en relation avec quelqu’un de Philips Grande Bretagne qui a trouvé un super fan qui s’est motivé pour faire un boulot équivalent à celui réalisé en France. On a travaillé la promo. Et puis, « Chemin de terre » avait peut-être un intérêt pour les gens ! Je ne défendais pas un disque franco français. Mon côté international est déjà dans l’artistique. Je chante en breton, en anglais, en gaélique, en gallois, en français…Et puis, bien avant que je m’appelle Alan Stivell, un certain milieu me connaissait dans les autres pays celtiques grâce à ma harpe celtique. Ensuite, j’arrive avec la harpe à cordes métalliques dont rêvaient certains irlandais et qui n’existait pas encore. Et même ma version de folk rock celtique était une vraie nouveauté. Personne ou presque ne l’avait fait. « Chemin de terre » a séduit. J’ai eu du succès dans le milieu folk et rock. Et du cinéma ! Les anglais ont mis l’album au sommet des charts. L’album était N°1 de l’année pour le Melody Makers. Il s’est bien vendu en Australie, etc.

Vous avez introduit la cornemuse dans le rock bien avant AC/DC et son célèbre « It’s a long way to the top (if you wanna rock’n’ roll) qui sort en 1975.
A.S.
Oui ! Et bien avant les écossais. « Chemin de terre » est sorti en 1973. Il y avait déjà de la cornemuse dans l’album « Reflets » sorti en 1970.

Quatre de vos albums sont réédités par PIAS. Pourquoi ?
A.S. :
C’est une envie de PIAS. On a remasterisé ces quatre disques. Le son de la harpe a bien été réactualisé.

Certains de vos albums ne sont sortis qu’en CD ?
A.S
 : Effectivement. Même le dernier « Human-Kelt ». Le travail avait été fait pour l’édition vinyle, mais la maison de disque a refusé. J’aimerai bien le sortir du coup. Si on se rend compte qu’il y a une attente, pourquoi pas.

Hervé DEVALLAN

Livre : « Stivell par Alan » aux édition Ouest France, 176 pages, 30€
Disques : rééditions de « Reflets », « Renaissance de la harpe celtique », « Chemins de terre », « E Langonned » (PIAS)

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