La parution du livre de Walter R. Echo-Hawk est à lui seul une aventure. Sorti aux Etats-Unis en 2018, « Dans un océan d’herbe » a subi de plein fouet la crise du Covid. Alors que l’auteur était en tournée de promotion en Amérique du Nord, tout est annulé. Espérons que la sortie du livre en France donne une seconde chance à l’ouvrage. Et pourquoi pas, que son histoire soit déclinée en série TV. Car, il s’agit là du seul livre sur les Pawnees écrit par un Pawnee et surtout le seul traduit en français par Fabrice Le Corguillé. Car les connections entre les Pawnees et les Français ne manquent pas à commencer par un territoire partagé : la Louisiane. L’auteur de cette incroyable histoire était en Bretagne et sur Paris pendant une semaine. L’occasion de rencontrer cet ancien président de la Nation Pawnee de 2020 à 2023. Son livre de mémoire sur 10 générations est une véritable saga qui retrace l’histoire de sa famille mais aussi les affres et les douleurs de tout un peuple.

Walter R. Echo-Hawk, ancien président du Pawnee Business Council et auteur de la saga « Dans un océan d’herbe ».

Vous êtes l’auteur de plusieurs ouvrages sur la Justice et le Droit. Pourquoi avoir éprouvé le besoin de raconter l’histoire de votre famille ?
Walter R. Echo-Hawk
 : Effectivement, jusque-là mes écrits concernaient la loi et la justice. « Dans un océan d’herbe » est mon premier récit historique. Un genre nouveau pour moi qui m’a demandé beaucoup de travail pour maîtriser l’art de la description des personnages, la mise en place des dialogues, etc. A ce titre, le livre « The Roots » d’Alex Haley m’a beaucoup inspiré. Il date des années 70. C’est l’histoire d’un Afro américain qui retrace l’histoire de sa famille sur 7 générations jusqu’à remonter au continent africain. Un livre qui a reçu le Prix Pulitzer. Au-delà, il a ouvert de nouvelles perspectives aux afro américains notamment dans l’espoir de retrouver leurs origines souvent coupées par l’esclavage. A sa lecture, je me suis rendu compte que je pouvais moi-même retracer l’histoire de ma famille sur 10 générations.

Il y a donc avant tout une volonté de transmission.
Walter R. Echo-Hawk : Oui, en me plongeant dans cet exercice, j’ai avant tout pensé à mes petits-enfants et mes arrières petits-enfants pour qu’ils n’oublient pas qui ils sont, d’où ils viennent et ce qui doit rester important dans la vie. Et plus généralement, s’il n’y avait qu’un seul message – pour le lecteur – ce serait qu’on a tous une histoire à raconter, des ancêtres et des racines. Nos anciens ont traversé de nombreuses épreuves, mais ils ont survécu. Et ce sont eux qui nous ont transmis notre langue et notre culture. A notre tour de transmettre cette histoire. En fait. « Dans un océan d’herbe » est la version amérindienne de « Racines ».

Vous êtes le premier à faire ce travail de mémoire pour les peuples amérindiens ?
Walter R. Echo-Hawk
 : Non, beaucoup de biographies ont déjà été publiées. Je ne suis donc pas le premier, ni le premier Pawnee car Anna Lee Walters a écrit l’histoire de sa famille. En revanche, je suis le premier à partir aussi loin dans le temps. Anna Lee Walters remontait jusqu’à ses grands-parents. De plus, mon livre imbrique l’histoire de ma famille et celle de la tribu pawnee.

Même si le travail est énorme, vous n’avez pas pu remonter au-delà de 10 générations ?
Walter R. Echo-Hawk
 : Les indiens ont une culture orale. Je suis remonté aussi loin que j’ai pu. Je serais d’origine hawaïenne ce serait différent. J’ai vécu là-bas et avec leurs chants traditionnels, ils peuvent remonter jusqu’à 20 générations. De même, à Doha au Qatar où j’ai également exercé, ils peuvent retracer leur histoire familiale jusqu’à Mahomet. Aux États-Unis, les amérindiens n’ont pas cette chance. En Bretagne, vous pouvez également remonter assez loin dans le temps.

Il est vrai qu’en Bretagne, la plus ancienne Gwerz remonte au Ve siècle !
Walter R. Echo-Hawk : Ah oui ? Très intéressant. Dans mon livre, la plupart des histoires répertoriées sont issues des chants. Dans ma famille, on a nos propres chansons. Par exemple sur les premiers chevaux qu’on a possédés, sur les premiers espagnols rencontrés… Beaucoup de chants ont un rapport direct avec des événements historiques. Comme vos Gwerz semble-t-il. Pour le livre, j’ai également consulté beaucoup de chanteurs pawnees en plus de ceux de ma famille.

Vous auriez pu écrire ce livre si vous étiez né dans une autre tribu ?
Walter R. Echo-Hawk : Oui bien sûr. Toutes les tribus amérindiennes ont cette tradition orale qu’on transmet de génération en génération. Moi, j’ai eu la chance de bénéficier d’autres sources. Dans ma famille, les anciens sont de magnifiques raconteurs d’histoire. A commencer par mon frère, Roger, qui est historien et qui, dans les années 70, a enregistré les anciens de la famille Echo-Hawk sur cassettes. C’est lui d’ailleurs qui signe la postface du livre. De même, un de mes oncles Myron Echo-Hawk qui s’est occupé de moi à la mort de mon père en 1973. Lui, connaissait tous les membres de la famille qui avaient vécu au XXe siècle. Pour le livre, j’ai passé 3 mois avec lui au Colorado. C’est en sa compagnie que j’ai retracé l’arbre généalogique de la famille en retrouvant 127 ancêtres jusqu’en 1790. En croisant cet arbre avec les documents historiques de mon frère, j’ai pu raconter mon histoire. En plus c’est un récit historique : ce n’est ni un livre d’histoire ni un roman. Je me suis mis dans la peau des personnages et je me suis permis d’enrichir le texte avec des dialogues pour rendre les choses plus vivantes, ajouter de l’épaisseur. Le tout en respectant la spiritualité de la civilisation Pawnee.

Vous avez été Président des Pawnees. Comment devient-on Président des Pawnees ?
Walter R. Echo-Hawk : Il n’y a pas à proprement parler de Président de la nation Pawnee. Plus exactement, j’ai été président du Pawnee Business Council. C’est l’instance suprême gouvernementale. J’ai été élu en pleine épidémie du Covid. L’ancien Président s’appelait Jimmy Whiteshirt. Il était officier de police à la retraite. Il a été démis de ses fonctions par le conseil, ce que permet notre constitution. Et comme j’étais le seul candidat, j’ai été facilement élu.

Quel est le pouvoir de ce Président ?
Walter R. Echo-Hawk : Selon notre Constitution qui date de 1937, le Président du Pawnee Business Council a davantage un rôle de conseil tribal. Par exemple, je ne peux pas voter, sauf en cas d’impasse. En revanche, j’ai pour mission l’application des règles votées à travers différents comités exécutifs. J’ai aussi le pouvoir de proposer les membres de ces comités qui seront ensuite validés par le Council. A côté de ça, existe le conseil des Chefs qui réunit les leaders traditionnels des Pawnees. Ce sont eux qui ont négocié et signé les traités avec les États-Unis. Huit traités au total ont été passés. Le Conseil des Chefs doit approuver tout ce qui est en rapport avec les traités.

La tribu Pawnee est importante ?
Walter R. Echo-Hawk : En 1800, nous étions 22 000. A la fin du 19è siècle, nous étions seulement 650 ! A cause des guerres de conquête, des épidémies, essentiellement la variole, et aussi de la disparition des troupeaux de bisons, source principale de nourriture. Le transfert de la tribu en Oklahoma a lourdement contribué à cette extinction. La réserve n’était pas du tout adaptée à notre façon de vivre. C’est donc un miracle que nous soyons toujours là. Les Echo-Hawk font partie des rares familles qui ont survécu à ce génocide. Aujourd’hui les Pawnees sont environ 3500.

Cette extermination s’apparente à un véritable holocauste !
Walter R. Echo-Hawk : Nous avons eu 2.3% de survivants. Un taux qui dépasse celui du massacre des Tutsis au Rwanda ou celui du génocide des juifs par les nazis. Pour les autres tribus américaines, on est aux alentours de 5% de survivants. Les Pawnees ont été le peuple qui a connu le massacre le plus dramatique de l’histoire de l’humanité. L’événement reste traumatique.

Affiche Breizh – Amerika, 500 ans de résistance

Revenons à la Bretagne. Qu’évoque pour vous cette affiche faisant le parallèle entre un indien et un paysan breton, titrée « Breizh – Amerika : 500 ans de résistance ».
Walter R. Echo-Hawk : Oh oui. J’ai déjà vu cette photo ! Fabrice Le Corguillé qui a traduit mon livre en français a une amie qui a connu le monsieur qui est sur l’affiche. Il m’a montré cette photo. Avec ce que j’ai appris en Bretagne, j’ai constaté qu’il y avait effectivement beaucoup de parallèles entre les indiens et les bretons, à l’image de la colonisation de la Bretagne par la France. Par exemple, j’ai appris que la langue bretonne a longtemps été interdite comme l’étaient les langues amérindiennes aux Etats-Unis.

Vous avez découvert récemment ce parallèle entre nos deux cultures ?
Walter R. Echo-Hawk : Depuis mon séjour en Bretagne, j’ai pris conscience du problème. Ce qui m’a étonné, c’est qu’à chaque échange avec des bretons, c’est cette question de la langue qui était évoquée en premier. Avec en fil rouge, l’envie de la réapprendre. Je me souviens d’une histoire pawnee, celle d’une enfant en primaire dans un pensionnat qui avait parlé sa langue. Ils l’avaient mise dans un sac et l’avaient suspendue à un arbre à l’extérieur de l’école. Le pire, c’est qu’elle n’était pas la seule : d’autres enfants étaient également attachés ! Ils passaient alors toute la nuit dans ces sacs. On peut donc parler d’un génocide culturel mené par les Etats-Unis. En 1892, les religions traditionnelles ont même été interdites en même temps que la langue. La force militaire a même été utilisée. Cette interdiction va à l’encontre du premier amendement de la constitution américaine qui garantit la liberté de religion… Sauf pour les amérindiens ! Dans les années 1930, cela a changé. Aujourd’hui, seule une poignée de Pawnees parlent leur langue maternelle couramment. En revanche, on a un grand programme de revitalisation de la langue. Pour nous, les Pawnees, c’est compliqué, nous ne sommes pas nombreux. Moins nombreux que les Cherokees ou les Chactas qui ont aussi été déplacés en Oklahoma. C’est plus facile pour eux. Et cela coûte assez cher, mais ça finit par se mettre en place.

Walter R. Echo-Hawk en compagnie de Fabrice Le Corguillé, traducteur de « Dans un océan d’herbe ».

Pourquoi avoir dédicacé votre livre seulement en Bretagne ?
Fabrice Le Corguillé, traducteur du livre : On a organisé les 6 et 7 février 2024 un colloque à l’Université de Bretagne Occidentale où j’enseigne. Walter R. Echo-Hawk est venu à cette occasion avec sa femme Pauline. En même temps, j’ai organisé une tournée des librairies en Bretagne puisque le livre sortait au même moment. Sa venue en Bretagne et exclusivement en Bretagne, n’est ni une volonté de l’éditeur, ni de l’auteur. Je vis et je travaille en Bretagne, c’était donc plus simple de le faire venir ici.

Walter R. Echo-Hawk, le prénom de votre sœur est Gwen… Ce qui est très breton ! Avez-vous des origines bretonnes ?
Walter R. Echo-Hawk : Je ne peux pas expliquer ce choix. Il faut que je lui demande ! Ce que je peux dire c’est que les français se sont très tôt installés chez les Pawnees. Il y a eu des mariages mixes. Nous descendons de la famille Bayhyle qui a pris racine chez nous. Notre ancêtre Baptiste Bayhyle était métisse et avait des origines de Saint Louis dans le Missouri. Il était forcément originaire de France ou d’Espagne. Une chose est sûre, la mère de Gwen était une fervente catholique. On peut supposer que ce prénom vient de là.
Historiquement, le lien entre les Pawnees et les Français est marqué. Notre tribu est au cœur de la grande Louisiane qui était française jusqu’en 1803 et la vente du territoire par Napoléon aux Etats-Unis. Nous les Pawnees, on vivait au Nebraska et au nord du Kansas, on descendait le Missouri pour nous rendre à Saint Louis, capitale de la Louisiane. Les échanges avec les Français viennent de ce commerce avec les trappeurs qu’on appelait les Têtes Noires, (Black Heads) à cause de leurs chapeaux. On sait avec certitude que nous avons des ancêtres français dans notre famille, un certain Louis La Chapelle. C’est lui qui servait d’interprète lors de la signature des traités.
Un autre lien fort qui unit les Français et les Pawnees, ce sont les soldats Pawnees qui sont venus combattre en Europe pendant les deux guerres mondiales. Pour la guerre de 14-18, ils étaient 150 environ, dont mon grand-père qui a combattu dans la Rainbow Division. Quant à mon oncle, il a combattu en Italie et dans le sud de la France pendant la seconde guerre mondiale.
Et puis n’oublions pas notre amour commun de la liberté !

Propos recueillis par Hervé DEVALLAN

« Dans un océan d’herbe » aux éditions du Rocher, collection Nuage rouge, 494 pages, 25.90 €

0 Commentaires

Laisser un commentaire

Abonnez-vous à notre newsletter

Edito

Articles similaires

Autres articles de la catégorie L'invité