Avec ce premier double album de leur histoire, les brestois retrouvent aussi le chemin de la Bretagne. A commencer par « Trenkenn Fisel » à la sauce Matmatah. Le virage breton se fait également sentir avec l’arrivée du quimpérois Léopold Riou à la seconde guitare. La rencontre devenait essentielle pour Bretagne Actuelle !

L’album Miscellanées Bissextiles ouvre sur un morceau de 20 minutes, Erlenmeyer. Pourquoi ?
Benoît Fournier (batterie) : C’est d’abord une volonté.
Tristan Nihouarn (Chant, guitares) : On a fait une espèce de cadavre exquis. Un jour je leur ai envoyé une boîte à rythme avec un piano avec quelques mouvements harmoniques et que tout le monde se démerde avec ça. Il n’y avait pas de parole. Rien.

Ceci pendant la période Covid ?
T.N.
 : Avant ! Notre volonté était de travailler à distance. On a inventé de distanciel avant l’heure. On était en télétravail (rire). On était à droite et à gauche, en Bretagne, à Niort, à Paris. Quand on compose dans la même pièce, certaines idées sont immédiatement censurées. Là, comme chacun faisait son truc dans son coin, toutes les idées voyaient le jour.

Ces échanges ont duré combien de temps ?
B.F. :
De A à Z, ça a été assez long. On a bossé sur d’autres morceaux en parallèle. Puis on revenait dessus. On savait qu’on voulait des ambiances différentes., des tempo différents…
T.N. : On n’a pas maquetté en fait. On a avancé petit à petit. A partir du moment où j’ai eu les paroles provisoires – qui se sont avérées définitives -, on a décidé d’enregistrer. La chanson n’était pas terminée, mais on a commencé par la batterie ça a duré 3 jours.
B.F. : On savait quels passages allaient être chantés, quels autres allaient être instrumentaux.
T.N. : Au final, c’est un assemblage de choses. Plus ça se précise, plus on s’aperçoit que c’est le morceau qui nous a amené quelque part. Tout en se disant, il va falloir retomber sur ses pieds à un moment donné. Car ce n’est pas un format de 3’30’’ qu’on maîtrise. Là il n’y a aucun ni refrain, ni couplet. Il faut que ça soit cohérent au final quand on passe d’un mouvement à l’autre. Donc oui, ça a mis du temps. Des années. On a pris le temps : quatre ans.

Ces quatre années ont impacté le reste de l’album ?
T.N. :
Oui, ça a touché d’autres morceaux. On ne voulait pas se taper deux semaines de stress dans un studio en Angleterre et se dire : il faut qu’on ait tout en sortant. Là, on pouvait retourner sur le morceau, et changer si ça ne nous plaisait pas.

L’album s’est entièrement fait à distance ?
T.N.
 : Non, non. On s’est retrouvé chez « nos » chez nous. Un peu partout en fait. On a tout réalisé nous même parce qu’on était les seuls à avoir la vision continue du concept.
B.F. : On s’est équipé du même logiciel
T.N. : Tout ce qu’on enregistrait était possiblement définitif. On avait tous les réglages. On pouvait retourner deux semaines après sur un instrument, on avait le même son. Ce qui est appréciable, notamment pour la batterie. Cette technologie nous a bien sauvé pendant ces années Covid où on ne pouvait plus se voir. On a pu continuer à bosser.

« Après avoir expliqué pendant 20 ans qu’on n’était pas un groupe de rock celtique,
et bien, on va en faire maintenant ! »

Sans le Covid, l’album sortait plus tôt ?
T.N. :
Possible, il aurait peut-être été moins long. Y’aurait peut-être eu deux albums à la suite et non un double. On s’était dit, on va sortir un truc complétement barré et un truc normal. Avec le Covid, on a sorti le double.

Effectivement, sur le second disque, on repart sur un long morceau, mais d’inspiration bretonne cette fois.
T.N. 
: « Trenkenn Fisel » a un lien avec le festival des Vieilles Charrues. On devait faire les Charrues en 2021, ça a été reporté. On trouvait que c’était l’occasion de composer un morceau qui s’inspire vraiment du Trad, en respectant les codes, mais à notre manière. Il a été enregistré en amont.

Il signe le grand retour de Matmatah aux inspirations celtes ?
T.N. :
Ça marque notre esprit de contradiction. Après avoir expliqué pendant 20 ans qu’on n’était pas un groupe de rock celtique, et bien, on va en faire maintenant ! (rire). Après avoir lu dans la presse parisienne : « Matmatah et leur biniou » alors que jamais on a utilisé un instrument traditionnel, et bien là on va le faire. De plus, on avait une vraie envie. On a fait appel au Bagad d’Auray. On est passé par David Pasquet, car on ne se voyait pas trop taper à la porte d‘un Bagad. C’est un autre monde. Lui, qui est un musicien de Trad et qui bosse aussi avec d’autres groupes, pouvait faire la bonne jonction. Il a été le médiateur et le conseillé artistique. Dans un premier temps, on voulait voir si notre composition était jouable par un Bagad. Avec leurs instruments on ne peut pas tout faire. Une fois nos parties enregistrées, on est parti à Auray et ils ont joué par-dessus.

C’est aussi le Bagad d’Auray aux Vieilles Charrues ?
T.N. : Oui. Enregistrer avec un Bagad, c’est déjà pas simple. Mais jouer Live !
B.F. : Y’a deux groupes qui doivent jouer ensemble avec chacun ses percussions.
T.N : Chacun a son chef d’orchestre et il faut qu’ils soient tous les deux d’accord.
Julien Carton (Claviers) : Avec le niveau sonore qu’il y a sur le plateau, faire cohabiter les deux, c’est pas gagné. C’est comme jouer avec un orchestre classique.
T.N. : Ils savent jouer ensemble, mais pas forcément avec un groupe de rock. C’est là qu’on s’est rendu compte qu’on est assez tout terrain. Un vrai challenge.

C’était une commande des Vieilles Charrues ?
T.N. :
Non.
B.F. : On voulait concocter quelque chose de particulier et c’était l’occasion pour leurs 30 ans.

« Notre Verdun secret ! »

C’était votre sixième passage aux Vieilles Charrues. C’est devenu votre jardin ?
T.N. :
Ça a été notre Verdun, notre Verdun secret (rire). C’était compliqué à cause du Covid. Il manquait beaucoup de prestataires techniques, comme dans tous les festivals d’ailleurs. Et puis, nous n’étions pas en tourné. On n’avait pas joué depuis… On s’est fait les Charrues à sec ! Mais, ça avait son charme. J’ai bien aimé.

Et le titre « Brest même », participe à ce retour vers la Bretagne ?
T.N. :
C’est une commande de l’office du tourisme (rire) ! Ce n’est pas un besoin, autrement, ça fait longtemps qu’on l’aurait faite. On a déjà parlé de Brest dans nos chansons, mais jamais un titre sur la ville. Le problème, c’est qu’il en existe déjà pas mal. Il fallait trouver un angle différent. Sans nostalgie, avec une dureté en surface qui s’avère chaleureux.

Miossec affirme, je suis brestois, mais pas breton. Vous aussi ?
T.N. :
C’est un peu différent. C’est historique. C’est une ville militaire, c’est la cité du Ponan comme il existe la cité du Levan qui est Toulon. C’est une ville portuaire, marchande, prolétaire, cosmopolite. Française à la base avec un parlé brestois qui est issu du français, de l’arsenal exactement, mélangé à du breton. Mais c’est la ville la moins bretonne… Si, il y a Rennes aussi ! (rire). Rennes est parisienne, Brest est française. Brest est brestoise en fait.

Et Nantes ?
T.N.
 : Nantes est bien plus bretonne. Brest a cette culture bretonne, mais moins qu’ailleurs en Bretagne. Quand on a commencé à jouer dans les bars, c’était face à des argentins, des paraguayens,.. Des militaires !

« Sa jeunesse nous fait du bien, ça nous met un coup de pied au cul »

Comment expliquer que les deux premiers morceaux de Matmatah soient du rock celtique ?
T.N. :
Ça marchait à l’époque. ! (rire). Non, y’avait un renouveau de la musique celtique au milieu des années 90. Quand j’étais étudiant, Brest était redevenu étrangement bretonne. On connaissait pas mal de gens qui venaient du centre Bretagne.

On note l’arrivée d’un nouveau guitariste, Léopold Riou… Il joue aussi sur l’album ?
T.N. :
Oui. Manu, l’ancien guitariste a travaillé sur une partie de l’album. Quand Léo est arrivé, certaines chansons n’étaient pas terminées et il les a jouées ! Son premier concert avec nous a été Les Vieilles Charrues. Un vrai baptême du feu ! Quand il est arrivé dans le groupe, on a oublié de lui dire qu’il y avait ce rendez-vous. Et il nous a dit, j’ai plus envie que peur. C’est un gars de la balle (son père est le guitariste et leader de Red Cardell, ndlr). Aux Vieilles Charrues, il a crevé l’écran. Sa jeunesse nous fait du bien, ça nous met un coup de pied au cul.

Il vient de Quimper. Il renforce d’identité bretonne de Matmatah, non ?
T.N. :
Il y avait une condition sine qua non pour nous rejoindre : être capable de jouer le Fisel en live. C’est moi qui ai enregistré la guitare,  mais je suis incapable de le balancer sur scène. J’ai pu l’enregistrer en studio, car on peut revenir dessus. Et lui est arrivé et c’était plié ! Le Fisel, il sait. Il a des influences anglo saxonnes mais aussi bretonnes. Il paraît que quand il répétait chez ses parents, son père venait l’engueuler en disant : « C’est pas comme ça que ça se joue un Fisel ! » (rire). Il est bien conseillé.

Propos recueillis par Hervé DEVALLAN

Miscellanées Bissextiles (Upton Park)

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