Spécialiste de l’artiste génial et protéiforme, Jérôme Soligny publie le 2e tome de David Bowie, Rainbowman, impressionnante somme sur un héros dont les œuvres et leurs coulisses sont racontées par « ceux qui y étaient ». Passionnant.

On connaissait la façon de travailler du musicien Jérôme Soligny, en tant que journaliste et auteur dans Rock & Folk ou dans With the Beatles (Ed. Glénat, 2017), Writing on the edge, 25 ans d’écrits rock (Ed. La Table ronde, 2014) ou la biographie déjà consacrée à David Bowie, régulièrement rééditée (Ed. Albin Michel, 2000)) : il est guidé par la vérité des faits, la nécessité d’être le plus complet possible en pensant toujours aux détails, forcément essentiels. David Bowie Rainbowman, dont le 2e tome vient d’être publié, est un parfait exemple de sa démarche d’historien musical : pendant près de 5 ans, depuis la mort de Bowie, Jérôme Soligny a préparé ce que l’on peut considérer comme une somme unique, parue cette année. Il a réuni ses interviews de 270 interlocuteurs, musiciens, ingénieurs du son, artistes ayant travaillé avec David Bowie. En déclinant tous les albums du génie en autant de chapitres, Jérôme Soligny nous emmène dans un tour exhaustif des coulisses de chaque œuvre. Musicien ou non, on est happé et on pénètre là où la magie a opéré. Elle est racontée par les professionnels les plus proches du maître, qui revit à la lecture de cette incroyable étude musicale.

Et pourtant lorsque, à la mort de David Bowie, on l’a sollicité pour actualiser sa biographie, le musicien-journaliste a refusé. « Je ne voulais plus écrire sur le sujet, se rappelle-t-il. J’avais envie de tout sauf de ça. » Il a fallu la persuasion d’Aurélien Masson, alors éditeur chez Gallimard (il y a fait venir Patti Smith tout en y étant directeur de la célèbre collection Série noire et est désormais éditeur aux éditions Les Arènes) qui lui a laissé la liberté dont il avait besoin. « Je suis avant tout un musicien. Et, si je n’ai jamais prétendu être ami avec David Bowie, en revanche, je suis vraiment ami avec certains de ses musiciens et producteurs. Donc j’ai commencé à réfléchir à l’hypothèse de faire quelque chose qui soit totalement axé sur la musique et dans lequel je ferai parler les gens qui ont fait de la musique avec David Bowie. Ce genre d’ouvrage n’existait pas. »

L’auteur fait alors des propositions à son éditeur an pensant qu’elles seront refusées. Tout est accepté. « Je ne voulais pas parler de fric, de cul, de drogue, résume Jérôme Soligny. Ces domaines-là sont inconnus même des gens qui en parlent. La relation professionnelle que j’ai entretenue avec David et ses proches fait que je n’avais pas envie d’aller dans ce domaine. Surtout, il ne m’intéresse pas du tout. » Gallimard accepte aussi les photos de Mick Rock (photographe iconique, notamment des années 70) pour les couvertures, le design de Jonathan Barnbrook, (qui s’est occupé des visuels de plusieurs albums de Bowie) et les illustrations inventives de Lisa et Margaux Chetteau…  « Je m’y suis lancé sans me rendre compte de l’ampleur de la tâche. Je tirais un bout de ficelle en interviewant quelqu’un et toute la pelote venait parce qu’il me conseillait d’autres interlocuteurs… Je pourrais y être encore en fait. » A mi-parcours, l’éditeur propose deux tomes au lieu d’un. L’auteur respire et peut poursuivre. « C’est devenu une espèce de monstre malgré moi, avec la chance que l’éditeur joue le jeu à maints égards. » Et la chance pour les lecteurs que ce « monstre » existe.

Pour ce 2e tome qui vient de paraître, Jérôme Soligny explore la réalisation des albums de la deuxième partie de la carrière de David Bowie, de 1983 à 2016, de Let’s Dance à Blackstar, de la création de la superstar mondiale à la mort de celui qui nous a « envahis en partant ».

Quel était ton objectif avec ces deux volumes qui ressemblent à une biographie à l’angle professionnel : la musique, l’art ? Comment les définis-tu ?
Ce n’est pas une biographie. C’est une étude musicale. Je ne parle pas de la vie privée de Bowie. Je voulais en fait faire le livre que j’aurais bien aimé lire. L’avis des gens qui ne sont pas musiciens sur la musique ou l’avis des gens qui n’étaient pas là quand les artistes ont travaillé ne m’intéressent pas. Mais c’est aussi parce que je ne suis pas un « vrai » journaliste. Je suis un musicien à qui on a demandé d’écrire. Le seul journal que je lis de fond en comble aujourd’hui, c’est Record Collector, qui raconte des choses sur la musique.  J’ai une passion pour ça : « comment les choses se sont passées ? ». Je trouve le factuel mille fois plus excitant que la légende.

Comme le mythe Under Pressure (collaboration entre Queen et David Bowie, la chanson est sortie en 1981). Depuis qu’elle existe, on raconte que Queen et David Bowie étaient ensemble en studio, que l’un a frappé à la porte de l’autre et que la chanson est apparue… Sauf que dans le studio en question, il n’y avait qu’une table de mixage, donc ils n’ont pas pu y être ensemble. Et en creusant, tu te rends compte que la chanson existait déjà, que Bowie a ajouté une partie du texte. Mais les gens souvent préfèrent la légende.

Je trouve qu’on apprend plus de choses par des gens qui étaient là et qui racontent les choses vraiment que par des journalistes qui n’y étaient pas et qui colportent des trucs de la presse anglo-saxonne. Ça devient des pages Wikipédia et l’histoire du rock, un grand bêtisier.

Comment as-tu travaillé concrètement sur ces deux volumes avec des centaines d’interlocuteurs et des heures d’interviews à retranscrire ?
J’avais déjà collecté une partie des propos d’interlocuteurs au fil de mes interviews pour Rock & Folk, environ un cinquième des 270 interlocuteurs du livre. Puis j’avais une « short list » d’une centaine de personnes qui m’ont amené les 100 autres…

Ma femme m’a aidé à retranscrire et traduire les interviews. On avait cette somme énorme. Et la grosse difficulté a été d’équilibrer entre mon rédactionnel et leurs propos pour qu’il n’y ait pas de doublons : un enregistrement que l’on me raconte et que je retranscris en interview ne doit pas figurer dans ce que j’ai écrit. Ça a été un savant dosage, un puzzle.

Tu as dû beaucoup couper ?
Non. A partir du moment où Gallimard m’a autorisé à faire deux volumes, ce qui a été une super idée, je n’ai pas eu besoin de couper. Même lorsque Hermione Farthingale (compagne de Bowie en 1968 et 1969) qui n’a jamais écrit deux mots sur David Bowie dans aucun livre, nous a gratifié du texte qui figure à la fin de ce 2e volume et qu’on était hors-pagination depuis longtemps, on l’a intégré parce que c’était inespéré.
Gallimard a réussi aussi à ce que chaque tome ne coûte que 35€. Je les en félicite. C’est vraiment une prouesse.

Tu évoques 5 ans pour la réalisation de ces deux livres, depuis la mort de Bowie en somme. Mais n’étaient-ils pas déjà en préparation chez toi depuis des décennies ?
Mes amis et ceux qui m’aiment bien disent que c’est « l’œuvre d’une vie ». C’est très flatteur, mais je ne me sens pas à la hauteur de tels propos. La fameuse petite graine que David Bowie, via un pion au collège, a semée chez moi à l’âge de 11 ans, trouve une finalité ici. Mais mon parcours n’a d’exceptionnel que la fin. Le fait d’être passionné par un artiste n’a rien d’original et le nombre de gens qui ont aimé David Bowie jeune et l’aimeront jusqu’à leur mort est énorme. Et c’est formidable.

Mais je suis musicien. Je fais de la musique avec Mike Garson (pianiste qui travaille avec Bowie à partir du début des années 70) depuis le début des années 90 et si je n’avais pas travaillé sur Rainbowman, mon hypothétique 2e album serait sorti. J’avais signé avec une maison de disques juste avant le décès de David Bowie, et j’ai dû tout mettre en pause en attendant de terminer ces livres. Elle m’en a laissé la possibilité. Et je vais me consacrer maintenant à cet album.

Tu es donc avant tout musicien et ces livres, comme tu le dis, sont pointus. T’adresses-tu d’abord aux musiciens ?
Je m’adresse aux gens qui aiment la musique de David Bowie. Comme les plus grandes stars du rock, il génère des fans de tous genres. Il y a toutes les raisons d’aimer David Bowie. Ce serait bien que ce ne soient que des raisons liées à la musique mais ce n’est pas que ça. Donc j’ai mis un point d’honneur à ce que ce soit l’angle de ces livres. Parce que Bowie était d’abord un musicien et un mélomane. Il a écrit de la musique parce qu’il aimait celle des autres, dont il a parlé toute sa vie. Un peu comme les journalistes, il avait une fonction de passeur. Il parlait des artistes qu’il aimait. Et tous les amateurs de la musique de David Bowie sont allés les écouter.

Je voulais que le livre ressemble aussi à ce qu’il était lui. Je voulais qu’il y ait une curiosité du lecteur par rapport à certains détails parce que c’est aussi ce qui l’intéressait lui. C’était un grand bavard. Il avait une culture encyclopédique un peu foutraque et était d’une curiosité insatiable. Surtout, il écoutait les conseils des autres. La légende du dictateur qui savait exactement où il voulait aller en prend un sacré coup dans le tome 2. Cinq albums ne sont pas du tout à l’arrivée ce qu’ils devaient être au départ. Parce qu’ils ont été faits sur un grand laps de temps et que Bowie a changé d’avis plusieurs fois. Outside (sorti en 1995) est l’exemple le plus probant. Et Hours (sorti en 1999) a été recommencé : il existe une version que personne ne connaît dont je parle dans le livre. Mais Bowie ne m’en a pas parlé quand je l’ai interviewé à l’époque. Je le sais aujourd’hui parce que Reeves Gabrels (guitariste qui a travaillé avec Bowie de 1987 à 1999) me l’a dit et parce que j’ai parlé au batteur.

Je voulais également que le livre lui ressemble dans le sens où Bowie a donné jusqu’à la fin de sa vie, la possibilité à des jeunes musiciens de jouer avec lui. Pour Blackstar, ce ne sont que des jeunes autour de lui. A mon humble niveau, quand j’ai compris que je pouvais embarquer dans cette histoire de jeunes illustratrices, ça me semblait cohérent avec la démarche artistique de David Bowie toute sa vie. On a Mick Rock qui est de la génération de David, on a Jonathan Barnbrook qui est entre les deux et on a les deux illustratrices qui sont les petites fées du livre. Elles ont eu des idées incroyables.

Tu as choisi de peu citer Bowie malgré la quantité d’interviews que tu as réalisées.
Toutes mes interviews de Bowie sont parues même si rarement dans leur intégralité. Bowie s’est exprimé souvent. Et ce n’est pas tant important d’avoir son point de vue tout le temps parce que d’abord il a dit tout et son contraire. Ensuite, sur le processus créatif et la genèse, David Bowie n’a jamais été explicatif. Il pensait que chacun voit ce qu’il a envie d’y voir. Et on n’a pas tout le temps compris ce qu’il voulait signifier. Mais je voulais que personne ne présage de ce qu’il pouvait vouloir faire. Les livres qui expliquent les chansons sont des calamités. Ça a toujours été un sujet de rigolade avec David Bowie. On voit dans ce tome 2 comme certaines chansons sont nées d’accidents, de choses qu’il a pu voir sur une vitrine de magasin, dans un journal ouvert… Et on peut dire que 60% de ses textes sont des cadavres exquis, à la Burroughs, ce qu’il a fait jusqu’à la fin de sa vie.

En 2002, Bowie t’a dit que son futur était « un immense point d’interrogation ». Tu crois que c’était un paramètre essentiel pour lui, de conserver cette surprise, l’imprévu ?
Bien sûr. David Bowie est un bouchon dans une tempête. Il est allé, sur le plan artistique, au gré de son ressenti, de ce qu’il avait envie de faire. Il a mis de l’ordre dans ses affaires après s’être fait arnaquer dans les années 70. Il a resserré les boulons et a fait attention de ne plus se faire avoir. Mais sinon, il était beaucoup à l’écoute des gens et il tenait compte de ce qu’on disait. Mike Garson rappelle, dans le tome 1, l’expression que j’avais trouvée : « David Bowie ne jouait pas vraiment bien de tous les instruments mais il jouait bien des musiciens… » Et c’est vraiment ça. Une fois que tu mets dans la même pièce les Spiders from Mars, les musiciens de Station to station ou ceux de Blackstar, il va forcément se passer quelque chose d’intéressant. Et après il peut dire que c’est du David Bowie puisqu’il les a réunis. Sans jamais dire à un musicien : « fais ça ou ça ». C’est très fort.

Il crée la synergie ?
Et il s’en nourrit. Et si elle l’emmène ailleurs, il la suit. La seule chose qui est prédestinée dans son esprit, c’est l’art pour l’art. Une seule chose l’intéresse, c’est la création. Son talent est de mettre en route un processus créatif.

C’est en ce sens que tu peux écrire que « la vie de Bowie, jusqu’au bout, et vice-et-versa, a été son œuvre » ?
Oui. Bowie ne prenait jamais de vacances. Il adorait voyager, il adorait certains coins du monde où il a passé du temps mais on n’imagine pas Bowie se dorer au soleil pendant 15 jours. On a des photos de Bowie en maillot de bain en train de jouer du saxophone… Il lisait énormément. C’était un curieux. Qui s’informait beaucoup auprès des autres. Je crois que dans le dernier mail que j’ai reçu de lui, il me demandait ce que j’avais écouté récemment. Jamais il n’avait de complexe de supériorité.

Finalement, c’est un David Bowie méconnu que l’on découvre dans ces deux livres.
Je pense que le David Bowie qui se dessine à la lecture de ces deux tomes est très éloigné de l’image qu’on peut avoir de lui. On a eu un déclic, avec ma femme qui a traduit les interviews. C’est sidérant : la personne la plus âgée et la plus jeune qu’on ait interviewées pour ces livres ont utilisé les mêmes phrases mot pour mot pour parler de lui, alors qu’elles ne se connaissent pas du tout et qu’il y a une différence d’âge de près de 60 ans. Comme s’il était resté le même. Et c’est ma conclusion d’ailleurs : je pense que David Bowie n’a pas évolué. Son œuvre oui mais lui, a fait tout le temps la même chose. Il a une façon de procéder, de travailler sur son premier album, dès les années 60, qu’il a conservée jusqu’à la fin. Et il a gardé les mêmes préoccupations, la même fascination pour certains artistes : à partir de 1967, il a estimé que Lou Reed était le plus grand et je pense qu’il est mort en pensant que Lou Reed a été le plus grand. Il a passé sa vie à trouver que Waiting for the man (I’m waiting for the man est sortie sur le premier album du Velvet Undergound en 1967) était une chanson qu’il n’atteindrait jamais. Il y a une allusion à cette chanson sur Heathen (sorti en 2002) et une sur le premier album de Bowie. Il parlait souvent des mêmes choses. Ses chocs d’adolescent ou de jeune homme sont restés. Le jazz et le bop ont été les premières musiques auxquelles il a été confronté et les derniers musiciens avec lesquels il a joué sont des musiciens de bop.*

Pour parler plus précisément de ce 2e tome qui vient de sortir, la décennie 80 qui a fait de Bowie une superstar a aussi été celle d’albums que beaucoup ont qualifié de mineurs, voire de ratés. C’est aussi ton avis ?
Il est évident que Tonight (sorti en 1984) ne peut absolument pas rivaliser avec Station to station (sorti en 1976), que j’ai plus de plaisir à écouter. Mais je pense que quand on apprécie un artiste -et c’est valable pour un écrivain, un réalisateur, un acteur- on l’aime pour son parcours. Et s’il peut y avoir des choses moins transcendantes dans cette deuxième partie de carrière, ça m’intéresse presque plus, parce qu’à ce moment-là il est moins touché par la grâce et il est obligé de se battre contre lui-même, de faire des compromis qui ne sont pas faciles à faire. Par exemple de faire confiance à Reeves Gabrels pour la co-composition alors que lui se sent un peu faiblard… La teneur n’est donc pas comparable mais ça l’oblige à faire des choix artistiques très intéressants. Des musiciens de cette stature capables de se dire « je suis un peu paumé et je me mets entre les mains de quelqu’un », il y en a très peu. L’analyse du contenu artistique de son œuvre n’est pas moins pertinente parce qu’il est en difficulté et qu’il essaie de trouver des solutions.

J’ai compris que le texte d’Hermione Farthingale était arrivé tardivement. Mais tu as choisi de terminer ce tome 2 par ce texte, ce qui n’est pas anodin. Pour toi, elle a été fondamentale dans la vie de Bowie ?
Je m’en suis rendu compte en écrivant le livre en fait. Et il n’y a pas que moi. Elle est bien trop modeste brillante et intelligente pour le reconnaître mais elle a été bien plus que la jeune femme avec qui il était quand il a écrit Space Oddity. Ensuite, on touche à un domaine que je ne veux pas aborder. Mais David Bowie répond à ma place à ta question puisque sans qu’on ne lui demande rien, en 2013, dans le clip de Where are we now, il fait une allusion directe à elle en portant un T-shirt avec le nom du film qu’elle est partie tourner quand elle l’a laissé tomber, Song of Norway. L’une des idées fondatrices de l’écriture chez David Bowie est la perte de l’être cher qui revient dans beaucoup de chansons, et il a été le premier à dire que la seule fois de sa vie où il a été éprouvé par la perte d’un être cher, c’était par celle d’Hermione.

Elle rappelle comme Bowie avait toujours dit qu’il n’était pas une rock star mais un acteur qui jouait ce rôle. Tu penses aussi que son art majeur était de savoir endosser une multitude de costumes, d’être une multitude de personnages ?
L’un des paradoxes les plus évidents de l’artiste David Bowie, c’était d’avoir l’une des plus grandes notoriétés de l’histoire du rock tout en n’en étant pas l’un des plus grands vendeurs. Il était cette star planétaire qui caressait toujours le désir d’être un peu le peintre dans son grenier dont on refuse le travail. Parce qu’il a aussi été ça. De même, il avait cette notoriété avec un entourage très réduit autour de lui, à l’inverse de beaucoup de rockstars.
Il s’est déguisé en superstar et même en groupe, quand il a fait Tin Machine (groupe de Bowie de 1987 à 1992) … Il reste un être paradoxal. Mais à la fin de sa vie, il ne se déguisait plus. Il a admis que ses personnages lui faisaient de l’ombre en quelque sorte.

Rainbowman le définit bien pour toi ?
Oui, un artiste de milles couleurs. Mais c’est aussi le pseudonyme qu’il avait pris avant Ziggy Stardust. Il a donné des concerts en 1970, qu’on a qualifiés alors de pré-glam, pour lesquels il avait choisi, avec Angie (première femme de Bowie avec laquelle il s’est marié en 1970) et la future femme de Mick Ronson, des tenues rigolotes pour les musiciens : Mick Ronson avait un costard et était Gangsterman, le batteur, cow-boyman, Tony Visconti était Spaceman et David, avec un vêtement de toutes les couleurs, était Rainbowman.

Spécialiste comme tu es de l’œuvre de Bowie, tu as encore appris beaucoup de choses durant ces entretiens ?
J’ai appris énormément de choses. Il n’y a personne que je n’ai interviewé qu’une seule fois. Tout le monde est revenu vers moi pendant 4-5 ans… Il y a probablement des choses dans ces livres que Bowie lui-même ne connaissait pas. Il m’avait dit que les années 70, il les avait vécues et qu’il n’avait pas besoin de s’en souvenir. C’est un bon mot mais il y a du vrai. David Bowie n’était pas un grand spécialiste de son œuvre. Et c’est valable pour les plus grands. D’autres personnes font des travaux d’historiens. Je me suis concentré moi sur la musique.

Tu indiques que c’est durant ces décennies (1986-2016) que tu as côtoyé Bowie. Vous aviez établi une relation professionnelle et amicale. Te souviens-tu de votre première rencontre ?
Bien sûr. J’étais impressionné, à l’hôtel Warwick, où je suis allé pour interviewer Tin Machine en 1991. Ça s’est passé tellement bien que c’est toujours un mystère pour moi. J’ai fait mon interview et au moment de partir, on m’a fait comprendre que je pouvais rester et passer la journée avec Bowie et les gens qui étaient avec lui. Il allait de plateaux télé en plateaux radio et on pourrait avoir plus de temps pour parler. Le soir Bowie m’a dit qu’il allait dîner avec Iman (que Bowie épouse en 1992) au château de Versailles mais que je pouvais dîner avec son guitariste, Reeves Gabrels que je rencontrais pour la première fois. C’est le moment où l’idole descend du poster. Mais ça a été fort à chaque fois.

Tu indiques que Bowie a été « l’élément perturbateur de ton existence ». A la mort de Bowie, tu avais très justement dit qu’ « en partant, il nous avait envahis ». Dirais-tu que sa disparition a été pour toi un autre élément perturbateur de ton existence ? A-t-il pris encore plus de place dans ta vie ?
Je ne parle pas de place, mais bien de perturbation. Cette passion pour certains classic rockers, dont David Bowie, Paul McCartney ou Alice Cooper, ne se juge pas en termes de volume, mais bel et bien de … passion. Mais je n’ai pas eu besoin de vivre cette passion à 100 % des jours que Dieu fait. Je n’ai pas besoin d’écouter « Killer », « Ram » ou « Aladdin Sane » tous les jours pour comprendre qu’elle est intacte. Ces musiques sont devenues mes gènes. Quoi qu’on puisse en penser, ma passion pour la musique de David Bowie n’a jamais pris le dessus sur le reste de ma vie. Je n’en ai jamais eu ni l’envie, ni les moyens. En revanche, je me suis bel et bien consacré à 90 % à Rainbowman pendant cinq ans. C’est un choix, surtout celui de mener à bien une entreprise qui rende hommage à son œuvre et à ceux avec qui il l’a créée. À ma connaissance, l’œuvre d’un artiste, quel qu’il soit, n’a jamais été « épluchée » de la sorte par aucun auteur ; si je l’ai fait, ce n’est pas pour figurer dans le livre des records, mais parce qu’il s’agit pour moi d’un hommage définitif à un musicien sur lequel je ne reviendrai plus. Le fait que des lecteurs reconnaissent par dizaines de milliers la valeur de ce travail est une surprise et un honneur, et me prouve que je ne l’ai pas fait pour rien.

Propos recueillis par Grégoire LAVILLE

David Bowie, Rainbowman 1983-2016, éditions Gallimard, 35€
David Bowie, Rainbowlan, 1967-1980, édition Gallimard, 35€

Photo de David Bowie sur la tournée Let’s dance : Jean Garon
Photo de Jérôme Soligny : Sophie Soligny

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