Qu’un jeune cinéaste de Singapour puisse se réclamer de François Truffaut est plutôt bon signe. Anthony Chen (39 ans) signe, un peu à la manière du Jules et Jim de Truffaut, un nouveau film autour d’un triangle amoureux. L’action de ce film, sélectionné dans la section « Un certain regard » au festival de cannes 2023, se déroule en hiver dans le nord de la Chine à la frontière nord-coréenne.

Venu de Shanghai pour un mariage dans la cité de Yanji, le jeune Haofeng rencontre par hasard Nana, une jeune guide touristique. Celle-ci lui présente Xiao, son ami cuisinier. Ils deviennent tous les trois amis après une soirée très animée (et très arrosée) dans une discothèque de la ville. Le réalisateur Anthony Chen ne prétend pourtant pas avoir voulu, avec ce film, faire un remake de Jules et Jim autour de deux hommes tombant amoureux de la même femme (Jeanne Moreau dans le film de Truffaut en 1962).

Le réalisateur entretient, en effet, l’ambiguïté sur ses personnages tout en privilégiant la relation entre Nana et Haofeng. Il faut dire que l’on découvre chez ces deux jeunes une communauté de destin liée à leurs échecs personnels : Nana était patineuse sur glace mais un accident a ruiné sa carrière tandis que Haofeng, qui travaille dans la finance à Changhai, trimbale un mal-être le conduisant à des tendances suicidaires. Quant à Xiao, il cherche encore sa voie et a du mal à quitter sa famille.

Une scène du film résume assez bien la confusion qui domine encore dans la vie de ces trois jeunes gens : on les voit errer dans un labyrinthe de blocs de glace où ils se croisent de peu mais sans jamais se rencontrer. Voilà trois personnages en quête des autres, mais aussi en quête d’eux-mêmes. Ou, tout simplement, en quête d’un ailleurs qui leur échappe. Anthony Chen parle même, à leur propos, en évoquant la jeune génération chinoise, de « ce sentiment de liberté spirituelle qu’ils recherchent tous ».

Dans les montagnes enneigées

C’est dans la nature que les trois héros de ce film verront peu à peu leurs désirs endormis dégeler lentement. L’action du film se déroule en hiver – ce n’est pas un hasard – mais la beauté des paysages et des forêts enneigées du mont Changbai va donner une nouvelle dimension à leurs sentiments. Les voilà engagés dans une longue marche vers le bien-nommé Lac céleste. Mais une neige tenace et le brouillard vont ruiner leur espoir de l’atteindre. Symbole à nouveau, ici, d’une quête par encore aboutie mais déjà riche de promesses.

Le réalisateur Anthony Chen (Caméra d’or en 2013 au festival de Cannes pour son film Ilo Ilo) a eu, en outre, la bonne idée de truffer son scénario de peintures chinoises monochromes montrant de sublimes paysages de montagne, inscrivant ainsi l’histoire de son film dans la grande tradition picturale chinoise. Il a su, aussi, introduire par petites touches des récits légendaires et des complaintes coréennes qui nous font étrangement penser à la gwerz bretonne. C’est d’ailleurs sous cet angle qu’il convient aussi d’apprécier ce film, enraciné à la fois dans la culture chinoise et coréenne mais ouvert sur l’universel par les questions de fond qu’il aborde : la douleur, la perte, l’espoir.

Pierre TANGUY.

Un hiver à Yanji. Un film d’Anthony Chen, durée 1 h 37, sortie en salle le 22 novembre 2023, avec Zhou Dongyou (Nana), Liu Haoran (Haofeng), Qu Chuxiao (Xiao).

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Edito

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