Prix du jury au dernier Festival de Cannes, le film Les feuilles mortes est un petit bijou de tendresse et de mélancolie sur fond de malaise social, une histoire d’amour un peu décalée où l’on retrouve ce qui fait la singularité de l’œuvre du grand cinéaste finlandais Aki Kaurismäki (66 ans).

Ils sont deux héros dans ce film et font partie des classes dites populaires. D’un côté Ansa (interprété par Alma Pöysti), une femme qui vit seule, caissière de supermarché, virée de son travail pour avoir ramené chez elle une barquette d’aliments périmés destinée aux rebus. De l’autre Holappa (interprété par Jussi Vatanen), tout aussi solitaire, ouvrier de la métallurgie porté sur la boisson, viré lui aussi de son travail pour avoir consommé de l’alcool sur un chantier.

Ce sujet aurait pu donner prétexte à un film militant sur les luttes sociales à la manière du cinéaste britannique Ken Loach. Il n’en est rien avec Aki Kaurismäki même si le cinéaste finlandais ne manque pas de pointer un patronat véreux et sans scrupules (il est aussi l’auteur d’une trilogie sur les « travailleurs », une autre sur les migrants). Ce qu’il nous montre d’abord dans Les feuilles mortes ce sont deux personnages libres, capables de rebondir, toujours maîtres d’eux-mêmes et que les hasards de la vie vont conduire sur les chemins de l’amour. Mais, on le sait, la vie a souvent tendance à mettre des obstacles sur la route de ceux qui cherchent le bonheur. Et le film nous le montrera.

Ansa et Holappa vont se rencontrer par hasard dans un bar à Karaoké où ils viennent tromper leur ennui. Echanges de regards entre deux êtres sagement installés à l’écoute des chanteurs du soir. Cela leur change des soirées à domicile passées à entendre à la radio les nouvelles de la guerre en Ukraine. Ici, au karaoké, on entend des chansons d’amour. Sur ce mince scénario, le cinéaste finlandais va bâtir un film sur une rencontre a priori impossible entre deux êtres  empêtrés dans leur timidité et leur réserve naturelle.

Un hommage au 7e art

C’est le cinéma qui favorisera leur rencontre et sera, de bout en bout, le fil conducteur de leur relation amoureuse. Ansa et Holappa commencent par aller voir un film  ensemble mais une série de menus événements va ébranler cette relation naissante. Mais pour se retrouver, après s’être perdus de vue, quoi de mieux que l’entrée d’une salle de cinéma.

L’occasion pour Kaurismäki de rendre un hommage au 7e art en truffant son scénario de références aux plus grands cinéastes, en particulier français. Robert Bresson, par exemple, qui l’a influencé et dont la sobriété de son film révèle cette filiation. Ou encore François Truffaut, le cinéaste subtil de la relation amoureuse. Quant aux feuilles mortes, qui donnent leur titre au film, elles nous renvoient à la chanson écrite par Jacques Prévert pour Les portes de la nuit de Marcel Carné. Enfin, il  y a toutes ces affiches de films présentes à l’image en arrière-plan. C’est d’ailleurs devant elles que Ansa déposera son premier baiser sur la joue de Holappa.

Kaurismäki ajoute une bonne pincée d’humour à cette comédie dramatique. C’est ce qui fait le charme de son film. Pas de misérabilisme. Plutôt un art du détachement pour parler d’un monde cruel où l’amour « sauve ». La mise en scène est épurée comme dans tous les films du cinéaste finlandais, les cadrages précis. Chaque geste compte, comme chaque objet montré à l’écran. Un film sans gras qui sait aller à l’essentiel et nous faire apprécier les silences lourds de sens.

Pierre TANGUY.

Les feuilles mortes, film de Aki Kaurismäki, Finlande, V.O., 1 h 20. Avec Alma Pöysti, Jussi Vatanen, Janne Hyytiäinen…

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Edito

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