Le thème de la régionalisation est absent des débats de la campagne présidentielle. Pourquoi ce silence ? Quelle sont les positions des deux candidats présents au second tour, Emmanuel Macron et Marine Le Pen, quant à la régionalisation ? La réforme territoriale initiée par François Hollande en 2012 est-elle l’amorce d’une régionalisation efficace ? Quelles seraient les conditions pour qu’elle soit réussie ? Le chercheur Romain Pasquier, directeur de recherche au CNRS, expert associé à l’institut de la gouvernance territoriale, membre du CRAPE (centre de recherche sur l’action politique en Europe) et enseignant à Sciences-Po Rennes nous éclaire.


Pouvez-vous définir l’intitulé de votre chaire ?
Ma chaire s’intitule « Territoires et mutations de l’action publique ». Avec l’équipe qui m’entoure, nous y réalisons des travaux sur la gouvernance territoriale en France et en Europe. Cette chaire vient structurer 20 ans de recherche personnelle sur les régions et les villes en Europe.

En ce qui concerne la Bretagne, pourquoi Benoît Hamon n’a-t-il jamais évoqué sa région durant cette campagne ?
Cela ne fait pas partie de son logiciel politique. Il aurait pu être picard ou alsacien, sa campagne aurait été similaire. Il a un nom d’origine bretonne mais son référentiel politique est celui d’un apparatchik socialiste construit par les mobilisations étudiantes.

Considérez-vous Jean Lassalle comme un candidat régionaliste ?
Non, Lassalle est un objet politique non identifié qui joue d’un répertoire ruraliste et montagnard, à la limite du folklore. Il est sympa, un peu lunaire, l’oncle des Pyrénées que l’on apprécie particulièrement lors des repas de famille.

Cela signifie-t-il que le régionalisme est encore perçu à travers un prisme passéiste ?
Le régionalisme a toujours été perçu en France comme une menace contre l’unité nationale. Egalité et diversité ne font pas toujours bon ménage dans le logiciel français.

La prégnance de la crise économique, du terrorisme, phagocyte-t-elle selon vous des sujets comme la régionalisation ?
Oui, bien entendu, mais la question régionale n’a jamais fait partie des questions clés lors des campagnes présidentielles.

Pourquoi l’Allemagne souvent qualifiée de partenaire essentiel de la France en Europe ne fait-elle pas aussi modèle d’exemple dans ce domaine du régionalisme ?
Le modèle allemand est fédéraliste et pas forcément régionaliste. Son organisation est ascendante alors que le modèle français est vertical et descendant. Nous sommes à l’opposé en termes d’organisation des pouvoirs publics.

Comment se positionnent Emmanuel Macron et Marine Le Pen sur le sujet de la décentralisation ?
Macron entend simplifier, fusionner certains niveaux (métropoles/départements) et peut-être expérimenter certaines organisations alternatives. Marine Le Pen veut supprimer les régions et revenir à la France des années 1950/60.

La réforme territoriale engagée par le gouvernement Hollande en 2012, avec la création de grandes régions, n’est-elle pas l’amorce d’une régionalisation efficace ?
Peut-être mais nous n’avons pas d’indicateurs fiables pour mesurer l’évolution de cette réforme. C’est une réforme mal pensée et mal réalisée dès le départ.

Que lui manque-t-il pour cela ? Vous évoquez la nécessité de gouvernements régionaux et une transformation de la démocratie locale : ce sont les clés d’une régionalisation réussie ?
Oui, il faut des gouvernements régionaux puissants avec une capacité d’innovation en matière de politique publique et de démocratie participative.

Existe-t-il un blocage culturel en France quant au développement politique des régions ?
Bien entendu. Depuis la Révolution française, la France jacobine s’est construite contre les particularismes locaux et régionaux. Elle a donc bien du mal à en faire une valeur ajoutée.

Propos recueillis par Grégoire Laville

Romain Pasquier est l’auteur, entre autres ouvrages de L’Union démocratique bretonne : un parti autonomiste dans un Etat unitaire, Rennes, Collection Histoire, PUR, 2014 (avec T. Kernalegenn) et La gouvernance territoriale. Pratiques, discours et théories, Paris, 2nd édition LGDJ, 2013 (avec V. Simoulin et J. Weisbein).


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