Grand prix du festival d’Annecy, ce film animé raconte la vie de Claudiu Crulic, un jeune roumain mort d’une grève de la faim dans une prison polonaise. Sans que personne ne s’en émeuve…
Si la réalisatrice Anca Damian n’avait pas consacré un film à l’histoire hallucinante et tragique de Claudiu Crulic, personne, en France, ne se souviendrait de son cas. Et pourtant… Malgré lui, Crulic est un symbole, celui de notre époque où l’homme n’est plus au centre de la société, où une existence humaine n’a finalement que peu de poids face à la bureaucratie, à notre désintérêt des autres, à la méfiance que nous entretenons mutuellement, à notre peu d’entrain à assumer nos responsabilités lorsque l’on sent qu’il va falloir se battre pour faire entendre raison… , à tout ce qui nous rend blasés ou détachés.
Claudiu Crulic est un homme ordinaire, un roumain de Moldavie (une des régions les plus pauvres du pays) qui s’est expatrié en Pologne pour (un peu) mieux gagner sa vie. C’est là-bas qu’il se retrouve accusé d’un vol de portefeuille qu’il n’a pas commis, là-bas aussi que sa parole d’émigré ne parvient à le sauver de la prison, bien qu’il ait apporté la preuve de son innocence. Là-bas qu’il va mourir d’une grève de la faim sans que personne, ni l’administration, ni les représentants de la diplomatie roumaine pourtant alertés sur son sort, ni les médecins… ne s’attardent sur son cas.
Mais, le film d’Anca Dalian, une des premières femmes à réaliser un film en animation, est bien plus que cela. C’est non seulement l’histoire d’une vie racontée depuis la naissance de Crulic jusqu’à sa mort, de manière très enlevée, avec un humour très euphorisant. Mais, c’est aussi et surtout un chef d’œuvre d’animation. Toutes les techniques traditionnelles sont utilisées : le découpage, les dessins, les photos retouchées, les objets en relief, les collages, etc. Le film passe alors aisément de l’album de famille au journal intime de Crulic, lorsqu’il raconte sa détention, mêlant allègrement des noir et blanc profonds à des couleurs plus chamarrées. En se servant ainsi à l’envie d’une palette technique sans limite, Anca Damian signe non seulement un des rares documentaires réalisés en animation (après Valse avec Bachir de l’israélien Ari Folman) mais surtout une tranche d’intimité qu’elle n’aurait jamais pu reconstituer avec autant de grâce et d’allant autrement. Il aurait été impensable vu la force de son sujet et la créativité qu’elle lui a apporté qu’elle ne rafle pas de prix à Annecy, le plus grand festival d’animation au monde. Elle en remporté deux : le Cristal et le Grand prix. C’est plus qu’amplement mérité. A vous désormais de lui prouver qu’elle peut se trouver un public, vaste et concerné comme il se doit. Allez voir le Voyage de Crulic, vous n’en reviendrez pas !
Réalisé par Anca Damian – Roumanie – 12 décembre Avec les voix françaises de Sandrine Bonnaire, Vlad Ivanov et de Jamie Sives…
