De l’art de faire d’un court roman un petit bijou à haute valeur poétique. Le Finistérien Louis Grall raconte la désertion d’un membre de commando d’élite des services secrets soviétiques chargé d’un sabotage en rade de Brest. Dans sa fuite, il échoue à l’abbaye de Landévennec où il sera hébergé par les moines pendant des dizaines d’années.

Il faut cultiver un véritable amour de l’abbaye de Landévennec, à la pointe du Finistère, pour envisager un tel roman. Louis Grall, par la voix de son narrateur, nous dit combien, en effet, il est subjugué par les lieux (« l’entrée à pied sous la voûte des arbres, le silence lumineux à l’intérieur de l’abbaye »). C’est son amitié avec le frère Luc du roman (alter ego du vrai moine-poète  frère Gilles Baudry) qui le conduira à découvrir l’histoire rocambolesque de ce Russe déserteur accueilli à l’abbaye au nom du traditionnel droit d’asile.

De cette histoire « secrète », il tire un récit d’une grande limpidité pour transcrire « l’histoire d’un homme qui ne fut pas un saint, mais qui vécut ici une vie exemplaire ». Pour s’imprégner le plus possible des lieux et des événements, le narrateur s’est immergé lui-même dans l’abbaye. « Je suis devenu cénobite. Pour écrire une vie comme le faisaient autrefois les moines chroniqueurs ».

Tout commence « à cinq milles au nord-est d’Ouessant ». Nous sommes le 12 novembre 1961. « Dès que le bateau rompit le lien qui le tenait à son pays, Anton comprit qu’il n’accomplirait pas la mission qui lui avait été prescrite ». Anton, l’agent russe, prend le large. « Il s’éloigna au sud, vers la longue falaise boisée qui encerclait la mer. Ce fut à ce moment précis qu’il devint un déserteur et son cœur, qui n’avait pas bronché dans la tourmente de l’océan, changea de rythme un court moment ».

Louis Grall entame alors le récit d’une désertion en lui donnant une vraie dimension poétique par l’évocation de la nature que découvre le déserteur dans son avancée à la nage à l’intérieur des terres. « Le voici qui franchit le cap de deux rivières. Noroît et galerne lui portant par rafales les parfums humides de la terre. Ce sont des odeurs inconnues pour lui. Elles disent l’herbe, le champ clos et la boue du chemin. Elles s’en vont sur les vagues, odeurs douces de la terre, aussitôt retissées à peine déchirées. Proche de lui, c’est un parfum de pommes et de litières fraîches. En écho lointain sur les crêtes, il entend le cantique des pins ».

Ce nageur-déserteur au fond de la rade de Brest, là où la rivière Aulne rencontre la mer, vient des bords de la mer d’Aral où il est né. Il sera recueilli, hébergé par les moines. Le livre raconte aussi sa vie à leurs côtés. Anton ne les quittera que pour aller vivre de l’autre côté de l’Aulne où il créera avec sa famille une école de yole traditionnelle, avant de mourir noyé à l’âge de 77 ans.

Pierre TANGUY

Le nageur d’Aral, Louis Grall, éditions La Manufacture des livres,  2021, 127 pages, 12,90 euros.

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