Le Rennais Jacques Josse a de la constance. Ne lui faites pas parler, dans ses livres, d’autre chose que des oubliés, des cabossés, des invisibles ou des marginaux de tout poil.

Il ronge son os comme l’affirmait Henry David Thoreau s’adressant aux artistes et aux écrivains : « Connais ton os personnel : ronge-le, enfouis-le, déterre-le et ronge-le encore ». Oui, Jacques Josse remet sans cesse son os sur le métier. Il cultive une veine et un style qui lui sont propres. C’est le cas encore dans son nouveau livre où il dresse le portrait d’oubliés dans des textes de trois pages aux allures, parfois, de courtes nouvelles.

Les « oubliés » ont quelque chose en eux de fracassé, qu’il s’agisse de drame familial, de souffrances héritées de l’enfance, d’exploitation au travail… Ils vivent sous des cieux bretons, mais pas seulement. Prenons François Labia qui eut à subir, encore adolescent, l’éprouvante vie de pêcheur à Terre Neuve. Nous sommes au début du siècle dernier. « Il était âgé de quatorze ans. A son retour, il avait le nez brisé, le visage balafré et le dos lardé de blessures consécutives aux coups de gaffe, d’épissoir et de martinet que lui assénait quotidiennement le frère du patron ». Aujourd’hui le carré de sa tombe s’affaisse dans un petit cimetière.

Prenons cette femme – anonyme – qui « a aidé une vieille à se mettre au lit » et « coupé les ongles de pied d’une nonagénaire ». La voilà aujourd’hui qui procède à la toilette d’un mort. Prenons cette autre femme qui, un samedi soir de déprime, « sort une boîte de cachets de sa poche » et s’effondre dans une tourbière « tandis qu’au café du bourg, son homme, le roi des chasseurs et des boulodrommes, vide verre sur verre, consulte sa montre et déclare, hébété, que ce soir encore, sa femme va devoir manger sans lui ».

Voici Tony, l’ancien crieur, cueilleur d’ormeaux, dont on jette les cendres dans la mer (près de trous d’ormeaux). Voici ce chauffeur-routier « usé par des kilomètres de bitume » qui transporte des animaux destinés à l’abattoir. Tout est l’avenant. Jacques Josse, œil à l’aguet, multiplie les scènes saisies sur le vif. Il les découpe au scalpel. La vie est rude sous sa plume, comme elle l’est dans tous ses précédents livres. La mort y est omniprésente. On  célèbre des proches, des amis disparus (souvent tragiquement). Mais il y a toujours, où que l’on aille, ce bistrot salvateur (celui de Bob, par exemple) où des hommes « arrivent avec des mines défaites et repartent, deux heures plus tard, revigorés ». Il y a aussi ces musiques, ces chansons (Les Doors, Big Joe Turner, Le Jefferson Air Plaine..) qui pimentent la vie et tous ces écrivains dont les livres sont des viatiques (Jim Harrison, Franck Venaille, Danièle Collobert, Franck O’Hara…)

De toutes les vies « de peu » qu’il évoque dans son livre, Jacques Josse tire des récits poignants en forme d’hommage à tous les oubliés de la terre. Avec un art consommé du pointillisme – pour mieux élargir le tableau – il nous donne l’exacte mesure de la souffrance humaine.

Pierre TANGUY

Le manège des oubliés, Jacques Josse, Quidam éditeur, 124 pages, 14 euros.

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Edito

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