… 1554. Henri II, roi de France, crée le parlement de Bretagne et la Cour Supérieure de Justice attenante, ancêtre de notre Cour d’appel. L’un et l’autre seront définitivement fixés à Rennes, un demi-siècle plus tard, sous Henri IV…

Le protestantisme incisif du XVIème siècle s’infiltre peu en Bretagne. La guerre de la Ligue (entre Catholiques et Huguenots de 1588 à1598) apporte néanmoins son lot d’horreurs accompagnées d’une insurrection paysanne essentiellement antiseigneuriale. Philippe-Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur et gouverneur de Bretagne, prend parti pour la Ligue catholique et tente de reconstruire un duché indépendant à son profit. C’est, au reste, parce que Mercœur constitue le dernier bastion de résistance catholique face à Henri IV, que ce dernier fait signer en 1598 à Nantes, le désormais célèbre « édit de Nantes » justifiant une tolérance royale à l’égard des Protestants.

De la toile blanche aux Bonnets Rouges

Les XVIème & XVIIème siècles sont marqués par un formidable essor économique agricole. Mais c’est avant tout la production de toiles, à partir d’une culture locale de chanvre et de lin, qui enrichit la Bretagne. Indispensable à la navigation et à l’emballage des marchandises, la toile s’exporte vers l’Espagne, l’Europe du Nord et l’Amérique. Les voyages de Jacques Cartier au Canada, la pêche à la morue par les terre-neuvas, et le commerce vers la péninsule ibérique font la fortune de Saint-Malo, devenu premier « havre » (port) français. S’en suivent les créations de ceux de Brest et Lorient à partir de 1660.

L’avènement de Louis XIV marque un tournant dans les relations entre la province et la monarchie absolue. Moult tensions naissent concernant la levée des impôts. La noblesse bretonne s’oppose au poste d’un administrateur régional incarnant la centralisation, et les citadins (appelé « peuple des villes ») s’insurgent contre de nouvelles taxes, tandis que dans les campagnes le système seigneurial est remis en cause. Ces paysans mutins pillent et incendient les châteaux. Ils sont surnommés « les Bonnets rouges ». La répression est terrible ! Madame de Sévigné en témoigne dans sa correspondance : « Les troupes ravagent le pays, poursuivent et exécutent les révoltés. »

Le siècle des Lumières

Le protectionnisme français imposé par Colbert sous Louis XIV s’oppose aux exportations bretonnes vers l’Angleterre, provoquant la ruine de l’industrie toilière. De fait, la Bretagne connaît dès la fin du XVIIème siècle une stagnation économique d’autant mieux perceptible que celle du royaume est prospère. L’activité malouine est en perte de vitesse, alors que la Compagnie des Indes orientales enrichit Lorient, et que Nantes devient le premier port négrier d’Europe. L’ensemble reconfigure les rapports économiques entre le Nord breton, désormais plus pauvre, et le Sud d’une Bretagne enrichi.

La création en 1752 de la Commission intermédiaire des états de Bretagne, véritable gouvernement péninsulaire, consacre l’influence grandissante des nobles Bretons sur l’administration locale. Nous sommes sous Louis XV, époque à laquelle un conflit éclate entre le duc d’Aiguillon, gouverneur de Bretagne, et le procureur Louis-René de Caradeuc de La Chalotais, soutenu par les parlementaires locaux qui démissionnent en réponse à son incarcération sans procès. La Chalotais est d’ailleurs aujourd’hui reconnu comme le premier prisonnier politique breton.

Ici commencent vingt années de conflit soldées par la libération du détenu sur ordre de Louis XVI. Mais la colère monte et, en décembre 1788, à l’ouverture de l’Assemblée des états provinciaux, les parlementaires régionaux imposent trois prérequis afin de siéger : 1 – l’égalité devant l’impôt, 2 – une représentation du tiers état égale à celle de la noblesse et du clergé, 3 – le vote par tête. Ces exigences initient la rupture entre l’aristocratie et la bourgeoisie. La révolution est en marche.

De la Révolution à l’Empire

La révolution de 1789 se propage à partir d’un centralisme outrancier . Elle a, par conséquent, peu de chances d’aboutir en Bretagne où les Chouans prennent la tête d’une révolte contre les républicains. Car les Bretons ont rarement eu à se plaindre de l’autorité souveraine locale, ils gardent la nostalgie de leur rois et de leurs ducs, une velléité d’indépendance qui leur sera faite payer très chère par les révolutionnaires. Ces derniers initieront plusieurs massacres de masse lors de la Terreur, dont les désormais tristement célèbres Noyades de Nantes. L’ancien duché est à feu et à sang jusqu’à ce que Napoléon rétablisse l’ordre, dans un premier temps par la force, puis il fait adopter les accords du Concordat de 1801, codifiant l’influence de l’Église catholique sur l’État français. Le catholicisme est désormais reconnu comme « religion de la majorité des Français », mais il n’est plus religion d’État.

Outre la Révolution, les guerres napoléoniennes pèsent lourd sur la péninsule armoricaine, laissant une Bretagne détruite, affaiblie et ruinée ; dès lors, la restauration est accueillie avec bienveillance. Les aristocrates font un retour en force dans la politique locale, tandis que le clergé monopolise l’enseignement. Autre révolution, nous sommes cette fois en 1830, les fameuses Trois Glorieuses intronisent Louis-Philippe (famille d’Orléans) sur le trône de France, en remplacement de feu Charles X (famille Bourbon). Une fois encore, le peuple des villes s’accorde volontiers du changement lorsque celui des campagnes adhère au légitimisme, c’est à dire au désir de conserver un Bourbon sur le trône. Ainsi donc, lorsque le second Empire destitue derechef la monarchie, ce sera en Bretagne que Napoléon III recevra le plus bel accueil provincial de son règne lors d’une tournée triomphale.

Du second Empire à la République

Fin du XIXème siècle. La misère s’abat sur la Bretagne avant que toute une génération ne soit fauchée par la guerre contre la Prusse. Les forges ferment. L’industrie textile, y compris voilière, s’effondre. Il faut attendre la modernisation de l’agricultures au rythme des machines remplaçant l’homme, pour voir le pays récupérer lentement ses galons économiques. Le début du XXème est aussi celui de l’avènement de l’industrie de la conserve étrennée par le nantais Vincent Colin.

D’un point de vue politique, les Bretons passent de l’Empire à la République avec la modération des sages. Une Bretagne de droite s’installe du Morbihan à la Loire inférieure, tandis que le Finistère, les régions côtières du Nord et une grande partie de l’Ille-et-Vilaine forment la Bretagne républicaine. Pour autant, les questions relatives à l’enseignement scolaire et cléricale ne sont manifestement pas négociables et empêchent le ralliement de la région à l’idée d’une République radicale.

Arrive la Première Guerre mondiale. 150.000 soldats bretons meurent au front, soit un huitième des morts français, une saignée sans précédent qui marquera la région avec ses veuves et ses orphelins. L’agriculture faiblit au bénéfice de l’industrie : un basculement social qui amorce le processus inexorable de l’exode rural des années 20, accentué par la crise de 1929, avant la manne inespérée du tourisme balnéaire initié en 1936 par les premiers congés payés.

L’apparition du régionalisme

L’entre-deux guerre renforce les idées régionalistes apparues à la fin du XIXème, avant qu’elles n’évoluent en séparatisme ébauchant la création du Parti Autonomiste Breton de 1927 à 1931, puis celle du Parti National Breton à partir de 1931, sous la houlette de François Debeauvais (Fañch Debeauvais) ; le mouvement sera à l’origine de nombreux attentats, dont le plus célèbre reste la destruction à la bombe d’une sculpture de Jean Boucher symbolisant l’union de la Bretagne à la France.
Année 1939, lla péninsule armoricaine s’apprête à occuper une place stratégique dans le conflit qui s’annonce ; durant l’Exode de 1940, les campagnes accueillent nombre de réfugiés en fuite, avant que la Bretagne ne soit à son tour occupée par l’ennemi. La résistance péninsulaire s’organise. En témoigne le départ pour l’Angleterre des hommes de l’île de Sein sous le commandement du colonel Rémy.

L’Occupation marquera profondément la Bretagne amputée de la Loire inférieure par Vichy. L’ampleur des destructions est sans commune mesure, notamment celle de Rennes bombardée par la Luftwaffe, mais aussi celle des villes portuaires détruites par les Alliés : Brest, Saint-Nazaire, Lorient, et une grande partie de Nantes. La reconstruction est lente. Ce n’est qu’à partir de la fin des années 50 que la Bretagne amorce concrètement son entrée dans le XXème siècle. Révolution agricole… Développement du secteur agroalimentaire… La pêche se modernise, elle assure 50% des prises françaises… Puis l’industrie automobile, l’électronique et les télécoms se développent avant de subir la crise de 1974… Et les suivantes…

Un avenir couronné par l’histoire

La sauvegarde des particularismes régionaux apparaît essentielle au regard de l’importance de l’histoire bretonne, plus encore aujourd’hui qu’hier où certains caractères régionaux s’opposaient « seulement » à la France, alors que nous faisons désormais face à une dissolution culturelle orchestrée par l’Europe maastrichtienne. L’héritier présomptive du trône des Penthièvre est une jeune femme née en 1972 : Madame Muriel de Marchant d’Ansembourg. Faudrait-il réfléchir à une intention ducale pour sauver l’âme et la culture bretonne des tentacules mondialistes ? Interrogation pas aussi futile qu’elle y parait, car la traité d’union entre la Bretagne et la France (1532) , est nul et non avenu puisqu’il n’a jamais été signé par aucunes instances bretonnes ; quant à la République, deux siècles attestent de ses lacunes doublées d’une volonté jacobine toujours vivace dans son effrayante hégémonie.

Jérôme ENEZ-VRIAD
© Février 2021 – J.E.-V. & Bretagne Actuelle

Première partie : Le royaume de Bretagne 
Deuxième partie : La région de Bretagne

Illustration :
Couronne & reliquaire du cœur d’Anne de Bretagne – Musée de Nantes

 

 

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