Imaginons que, pour reconquérir son indépendance, la Bretagne doive recouvrer le statut de duché qu’elle a perdu en 1547. La principale division politique serait alors généalogique, opposant les Penthièvre aux Montfort, deux familles autrefois régnantes dont les descendants pourraient prétendre à la couronne ducale.

La péninsule armoricaine fut un royaume jusqu’en 936, année où Alain II « Barbetorte » – Alan « al Louarn », initia la création du duché de Bretagne. Son annexion par la France en 1547 mis fin à une indépendance de six siècles durant laquelle les grandes dynasties bretonnes et françaises se disputèrent ardemment le trône. Ce fut d’abord le maison de Nantes, suivie de la famille Cornouaille aujourd’hui éteinte, avant que n’arrivent les Capétiens, puis les Montfort installés au Sud face aux Penthièvre du Nord, la dernière tête couronnée étant une Valois-Orléans : celle de François III (dauphin de France et fils de François Ier) duc de 1524 à 1536. Autant de noms et titres hélas ! absents de nos manuels scolaires. L’histoire de la Bretagne est néanmoins faite de couronnes et de passion, de cœur et de raison, elle n’a définitivement rien à envier à celle d’un grand pays.

Les premiers habitants : du néandertalien à l’homo-sapiens

Dolmens et menhirs n’ont pas livré tous leurs secrets au sujet des premiers habitants de la péninsule armoricaine. Près de Carnac, le sol atteste d’une présence humaine qui remonterait à 300.000 ans, mais les archéologues ont peu d’informations objectives justifiant d’absolues certitudes. Ce n’est qu’à partir du Neandertal (100.000 ans avant notre ère), que les hommes laissent traces d’un peuplement progressif avec l’élaboration d’outils en silex destinés à la chasse. Leur établissement, d’abord côtier, gagne ensuite les plateaux voisins, puis l’intérieur des terres.

Environ 10.000 avant J.C., le climat devient moins rude, l’homo-sapiens remplace le néandertalien, la cueillette et le l’élevage complètent les activités de chasse et pêche, tandis que l’industrie du silex se perfectionne. Ces hommes de Cro-Magnon inhument les morts, comme l’atteste des sépultures retrouvées à Téviec, dans le Morbihan. Le néolithique (5.000 ans avant notre ère) voit leur sédentarisation progressive liée au développement de la culture céréalière ; se développe ainsi une civilisation aux étranges mégalithiques : le plus ancien et plus important d’Europe est le tumulus (grand cairn) de Barnenez dominant la baie de Morlaix.

Érigés plus tardivement, les alignements de menhirs ne sont pas moins spectaculaires. Ces milliers de blocs de pierres peuvent mesurer jusqu’à dix mètres et peser plusieurs centaines de tonnes ; dressés, alignés, orientés, ils témoignent de préoccupations, sinon religieuses, pour le moins astronomiques. L’âge de bronze ouvre une période de prospérité pour l’Armorique, rare région où l’on extrait l’étain nécessaire aux alliages. La péninsule devient un centre de production de haches exportées par-delà ses frontières, en particulier vers l’Europe du Nord où elles sont aujourd’hui encore exhumées lors de fouilles.

Les premiers envahisseurs : des Celtes à Jules César

À partir de 500 avant notre ère, l’Armorique est occupée par des populations celtiques venues du centre de l’Europe (Hallstatt : Autriche actuelle) ; les envahisseurs s’intègrent aux autochtones, ils développent une civilisation fondée sur l’agriculture, l’élevage et la métallurgie ; ils participent en outre au développement du commerce du sel, indispensable à la conservation des aliments. Au fil de temps, les Celtes armoricains se partagent le territoire : les Osismes émigrent vers l’Ouest, les Vénètes occupent le Sud, les Coriosolites s’installent au Nord-Est, les Namnètes au Sud-Est, et les Riédones à l’Est. 200 av. J.-C., les Vénètes frappent leur première monnaie, bientôt suivis par leurs voisins.

En -57, Jules César souhaite conquérir la Gaule. Les Celtes péninsulaires se mobilisent avec succès contre l’Exercitus Romanus. Après l’échec d’une première campagne terrestre, César décide de combattre par la mer. Sa flotte se retrouve face aux Vénètes. Malgré une importante coalition celtique, la bataille est cette fois à l’avantage des Romains qui sonnent l’hallali lors du siège d’Alésia, nous sommes en -52, il s’agit d’un des derniers affrontements de la Guerre des Gaules. César accepte la soumission armoricaine et, bien que les Celtes fassent serment de ne plus combattre, l’empereur demande et obtient quantité d’otages pour caution de leur bonne-foi.

Un demi-siècle passe jusqu’à l’avènement d’Auguste. L’Armorique désormais rattachée à la Gaule lyonnaise devient un des bastions de la romanité. La péninsule est divisée en cinq régions et autant de cités administratives. Ce sont : Vorgium – Carhaix, chef-lieu des Osismes ; Darioritum – Vannes, celui des Vénètes ; Fanum Martis – Corseul, chef-lieu des Coriosolites ; Condevicnum – Nantes, capitale des Namnètes ; enfin Condate – Rennes, celle des Riédones. Mais, à partir l’an 260, la situation se dégrade lors des Invasions barbares qui dévastent la Gaule à la barbe des Romains incapables de les contenir. L’Armorique s’éloigne de l’influence romaine. Les villes sont rebaptisées du nom de leur peuple : Darioritum devient Vannes (Vénètes), Condevicnum sera Nantes (Namnètes),  et Condate se change en Rennes (Riédones).

La Marche de Bretagne

Le départ des légions romaines isole définitivement l’Armorique. C’est alors que, chassés de leur île natale par une invasion saxonne, les premiers Bretons insulaires débarquent de l’actuelle Angleterre ; une immigration encadrée par des moines qui fondent quantité de paroisses intégrant les indigènes. Le regroupement avec les colons est facilitée par la religion au point que l’Armorique prend le nom de Bretagne. Les premiers évêchés s’établissent à la fin du Vème siècle. Ainsi, la toponymie nous aide-t-elle à suivre les traces de l’évangélisation. Les noms en « plou » (Plougastel, Plouër …) désignent les paroisses, ceux en « gui » (Guimaëc, Guisseny…) le chef-lieu du plou, le radical « lan » (Landivisiau, Landerneau…) est attribué aux établissements religieux, le préfixe « tré » (Trégastel, Tréguier…) indique quant à lui un village de moindre importance. Ces appellations permettent aujourd’hui de poser la limite orientale de la pénétration anglo-bretonne le long d’une ligne joignant Nantes au Mont-Saint-Michel.

Les relations entre le peuple breton et ses voisins restent cependant conflictuelles. Dés 491, l’armée franque attaque la péninsule et, à partir de 550, les combats s’intensifient en multiples victoires bretonnes face aux rois mérovingiens (485 à 740) tentant d’imposer leur suzeraineté. Vers 753, Pépin le Bref (premier roi de la maison carolingienne – 751 à 987) lance lui aussi son armée. Il initie la Marche de Bretagne en gagnant les comtés de Rennes, Nantes, Vannes, ainsi qu’une partie du Maine ; ce large couloir entre le royaume franc et la Bretagne forme une « zone tampon » sous administration militaire, son plus célèbre préfet fut Roland dont la légende en a fait le neveu de Charlemagne, mort en 778 à Roncevaux.  Pour autant, la nouvelle autorité franque semble précaire, comme en témoignent de nombreuses interventions militaires sous le règne de Charlemagne, puis de son fils, Louis le Pieux. Ce dernier décide alors de nommer à la tête du comté de Vannes un aristocrate breton, Nominoë, avec le titre de missus (envoyé spécial), lui offrant des pouvoirs administratifs, judiciaires et religieux.

Le premier roi

Nominoë reste fidèle au pouvoir impérial jusqu’à la mort de Louis le pieux en 840 ; date à partir de laquelle les circonstances évoluent avec l’avènement de la génération suivante. Charles le chauve, fils de Louis, soutient une attaque contre Nantes mise en déroute par les troupes d’Erispoë, fils de Nominoë. Après le traité de Verdun (843) partageant l’empire carolingien en trois parties distinctes et, alors que les premiers Vikings abordent les côtes armoricaine, Charles le chauve conduit à sa perte une importante armée contre les Bretons. Les Francs sont écrasés et le roi contraint de signer une paix avec Nominoë. Alors qu’Erispoë succède à son père, Charles en profite pour marcher de nouveau sur la Bretagne. L’affrontement se déroule à Jengland, nous somme en août 851, trois jours au terme desquels la défaite franque est totale. Fin de cette même année, Charles accueille Erispoë à Angers où ils signent un accord considéré comme l’acte de naissance du royaume de Bretagne dans les limites géographiques qui vont demeurer les siennes pendant plus d’un millénaire ; jusqu’en 1941, lorsque la Loire inférieure lui sera soustraite par le régime de Vichy.

Deuxième partie : Le duché de Bretagne

Jérôme ENEZ-VRIAD
© Février 2021 – J.E.-V. & Bretagne Actuelle

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