Un jour un étudiant en doctorat se penchera sur la question des îles. De ce qu’elles inspirent, de ce qu’elles suscitent en littérature, regardez dans les librairies les rayons de livres où se livrent les îles. Je pense à Jean Grenier. Lui avait opté pour un opus philosophique. Fondamental. Alors que Rozenn Evain est poète. Une poète.

Une poète d’une seule île. Il faudra qu’un étudiant, plus tard, dans dix mille ans documente une thèse sur ce qu’inspire l’île en général ou Sein en particulier.

Rozenn Evain est sénane. Une poète sénane.

Deux qualités immenses pour endurer le temps, la dureté du temps, le subsumer et surtout accéder à l’inconscient de l’île, à son conscient voire à son subconscient. L’île est un microcosme infime dont le livre de Rozenn Evain qui s’intitule simplement L’île, des jours durant montre à quel point Sein a trouvé sa traductrice. Traduisant, jour et nuit après jour et nuit, des jours durs en l’île. Et doux aussi !

C’est l’île qui parle quand elle écrit.

Son autoportrait !

L’île est de ces territoire, Sein notamment, qui impose sa dictée. Elle qui impose son vocabulaire d’estran et de grisée, de raz et de rage. L’île livre ses sentiments, rythme les phrases de Rozenn Evain qui a l’empathie insulaire, et celle de ses ancêtres. Elle sait et ça se sent que ce fut encore plus dur, horizons plus bouchés, continent plus inaccessible. Le cœur de Rozenn bat en pulsations de galets, elle respire en souffles de vents, elle brûle en brasiers d’Ar-Men ou, plus lointain et si proche, du Créach.

Écoutons la poète, plutôt, car les poèmes, courts, rythmés où l’alexandrin est subliminaire prouvent que l’île est transcendance :

Entre mor c’hleï, la mer de gauche
Et mor diou, la mer de droite
Nous sommes au centre de l’Atlantique Océan.

Aucun doute là-dessus. Le poème de Sein est historique, géographique, anthropologique. Le poème par moment peut quasiment donner le mal de mer. Les traversées nous traversent, les pêches nous empêchent, l’estomac aux seuls mots de la poète se sent mal et chavire. Le lire est le vivre ! Comme chaque îlien quitte l’île ou y revient. Ou en vit.

Harnachés casqués glacés
Où vont les pensées des marins ?
Frottements – Grincements
Les poissons arrivent, le sang coule
Choc du métal contre la houle

Il y a du pire dans l’île et du meilleur. Il y a ses bonnes heures et quand le ciel et la mer ne font qu’un, arrêt du bateau, apnée et No-signal aux télés.

Des jours, des nuits à oublier
L’existence du silence

L’île de Rozenn Evain est comme le corps de chacun. Une chair offerte ou contrainte. L’île a un regard que la poète regarde, elle a des odeurs que la poète respire À fleur de peau/ Le corps de l’île s’effrite. Sein est une métaphore et nous en faisons les frais. Comme elle, et plus vite, nous vieillissons. Comme elle et plus sournoisement, nous avilissons : Seringues, melons/Pantoufles, bidons/Bouteille plastique. Liste non exhaustive d’une île qui pourrait se passer de l’espèce humaine sauf de celle de ceux qui l’écrivent ou la peignent. Ce poème est comme un journal tenu par l’île elle-même, au jour le jour, saison après saison. Est-ce à dire que l’île dépersonnalise ?

Ni moi
Ni même

Le journal est pourtant tenu, le livre l’atteste, par Rozenn Evain dans ce format carré. De poèmes et de couleurs. La même auteure nous donne à voir, aurore îlienne, ses huiles pastel aux silhouettes à peine dégagées, pas si abstraites.

Un livre illustré, sublimé même, par les mots et les quatre promenades peintes du cahier central.

Gilles CERVERA

Rozenn Evain, L’île, des jours durant, Éditions du Passavant, 19€

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