Monsieur Léon, une bande-dessinée de Julien Solé et Arnaud Le Gouëfflec HermineHermineHermine

Lorsque deux Brestois conçoivent une bande-dessinée au cœur d’une période d’inquiétudes, de complotisme, de réseaux sociaux délétères et autres vilenies mondialisées,  leur héros se caractérise étonnement par sa bonhomie et sa discrétion. Il s’appelle Monsieur Léon.

Ça ne se voit pas immédiatement, mais Monsieur Léon est un héros, oui ! un héros de tous les jours dissimulé derrière l’apparence du quidam croisé dans la rue. Il traverse la vie avec poésie et légèreté, bravant couvre-feux et embarras sur des airs de mambo et de cha-cha-cha, car Léon a un pouvoir : il est doté d’une imagination sans limite ; il a aussi un secret… à découvrir au fil de ses aventures rocambolesques.

La fantaisie est un printemps perpétuel

Un virus menaçant… Une crise sociale agressive… De la faiblesse… Du découragement… Sorte de neurasthénie collective… Tout n’est pas rose dans l’univers de Monsieur Léon. Et pourtant ! Chaque matin, notre héros se lève et vaque à ses activités comme si de rien n’était. Son secret ? La fantaisie vécue comme un perpétuel printemps. On l’imagine tirant son poisson rouge dans un bocal posé sur une planche à roulettes… Il visite les lagons caribéens en plongeant avec un tuba dans sa baignoire… Grand connaisseur des chanteuses sud-américaines, m’sieur Léon possède une collection de vinyles à rendre envieux m’importe quel antiquaire… Et tant d’autres lubies qui habitent son quotidien nourrit d’un lyrisme poétique.

Monsieur Léon est la réponse du scénariste Arnaud Le Gouëfflec à l’adversité des temps modernes. Un personnage générique qui passe inaperçu comme l’ombre d’une silhouette inconnue ; mais derrière cette banalité apparente, se cache un trésor de sensibilité, de romantisme et d’émotions dignes d’un Monsieur Hulot. Lui aussi affronte courageusement la réalité par le biais d’une merveilleuse insouciance, entendu que la véritable insouciance ne s’improvise pas, elle consiste à laisser les autres s’inquiéter pour soi ; quelque chose de naïf et de hardi à la fois, rappelant les grâces de l’enfance éloignées des conventions qui régissent l’« homme fait ».

Un morceau de liberté n’est pas la liberté

Monsieur Léon est un personnage échappé du cinéma muet dont la baguenaude citadine le mène presque malgré lui dans un univers parlant. Il se heurte à lui-même à travers le quotidien impersonnel d’une existence confrontée aux dérèglements, aux rites et au ridicule d’un monde en mutation. Son indépendance est complète, sa générosité absolue, et ses étourderies le rendent inadapté à l’univers fonctionnel qui est le sien. Le lecteur y verra la finesse d’observation de Max Linder, le jeu faussement naïf de Charlie Chaplin, la truculence de Buster Keaton, et pourquoi pas la fraîche candeur du « monsieur Mousse » de Peter Pan. M’sieur Léon est un appel à l’indépendance, attestant que la liberté ne peut être que toute la liberté ; un morceau de liberté n’est pas la liberté.

Cette bande-dessinée fantasque aux allures de pochette-surprise rafraîchit la production actuelle du genre, engoncée dans la bienséance et le politiquement correct d’une époque maussade et soporifique. Arnaud Le Gouëfflec (scénariste) et Julien Solé (dessinateur) n’ont pas épargné leur efforts. L’histoire (re)bondit… Le dessin est élastique… L’habile jeu de couleurs rafraîchit… On en ressort revigoré par un anti-héros, la cinquantaine bedonnante, une fine moustache qui lui donne des airs de mafieux sicilien ; monsieur Léon est d’un autre temps et ne paye guère de mine, il ressemble à un agent de comptoir des Postes, mais chacun aimerait pouvoir le croiser lorsqu’il pleut sur sa propre existence afin de sécher ses larmes au rythme d’une bossa-nova endiablée.

Comme une gondole à Venise

Le Gouëfflec et Solé livrent une histoire pleine de charme et d’imaginaire. Le duo rompt la grisaille et s’oppose à l’ennui… Véritable ode à l’imagination… Remède efficace contre la nostalgie… Une solution probante face à la déprime… Oui ! Un peu de variété vaut mieux que beaucoup de monotonie. Monsieur Léon est un coup de cœur absolu. Plutôt qu’en dire davantage, faisons comme lui, choisissons une gondole, embarquons avec celle ou celui que nous aimons, et godillons en musique sans nous soucier des requins et des piranhas qui s’attaquent à la rame.

Jérôme ENEZ-VRIAD
© Mars 2023 – Bretagne Actuelle & J.E.-V. Publishing

Monsieur Léon, une bande dessinée de Julien Solé et Arnaud Le Gouëfflec aux éditions Fluide Glacial 63 pages couleurs – 13,90 €

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