Hommage à la librairie, commerce « essentiel ». Hommage aux libraires, dont Mérédith Le Dez dresse le portrait de l’un d’entre eux dans son nouveau livre. Jacques Allano était libraire à Saint-Brieuc, à l’enseigne « Le pain des rêves ». Au-delà de cet homme tragiquement disparu, c’est un vibrant hommage à la littérature qu’elle dresse ici.

Poète, romancière, éditrice éphémère sous le sigle MLD, Mérédith Le Dez aborde dans ce livre un moment à la fois joyeux et tragique de sa vie, celui d’avoir exercé pendant près de neuf mois le métier de libraire. Nous sommes en octobre 2019 et la voilà « collaboratrice » (comme il l’aimait à l’appeler) de Jacques Allano qui avait repris, à l’âge de 70 ans, une librairie quittée dix ans plus tôt à sa retraite mais dont il redoutait désormais une fermeture définitive. Mérédith Le Dez va travailler avec enthousiasme à ses côtés jusqu’au 16 mai 2020, date de suicide du libraire, quelques jours seulement après la réouverture post-confinement de son magasin.

Car la toile de fond de cet événement tragique (mais aussi de tous les mois qui l’ont précédé) est, bien entendu, la terrible secousse provoquée par la pandémie. Jacques Allano a sans doute été l’une des victimes « collatérales » de cette terrible période condamnant les commerces dit « non essentiels » à l’obscurité. « Comme nous avons été heurtés, blessés,  l’un et l’autre à l’instar de tous les libraires », confie Mérédith Le Dez, même si elle ne manque pas d’évoquer, avec beaucoup de délicatesse, des raisons plus personnelles qui ont pu conduire au suicide un libraire « ravagé par le chagrin » et qu’elle vénérait véritablement.

Ecrire un livre pour témoigner de son engagement à ses côtés : Mérédith Le Dez a longtemps hésité. « Comment faire sans trahir sa pudeur ? ». Celle d’un homme dévoré par son métier de libraire et sa passion de la littérature, un mot qu’il plaçait « au-dessus de rayonnages ».

Pour raconter cette période de sa vie, l’écrivaine a pris le parti de la lettre qu’elle adresse au disparu. Trente lettres entre le 22 novembre 2020 et le 21 décembre de la même année. La lettre comme une nécessité, comme une forme d’exigence absolue, lui faisant laisser sur le feu « un roman qui avait séché comme une peau de lait dans la casserole refroidie ». Par la voie épistolaire, Mérédith Le Dez reprend une conversation brutalement interrompue, pour continuer à parler de ses coups de cœur littéraires (avec de larges extraits de livres qu’elle a aimés), pour évoquer la figure d’autres libraires ou d’auteurs (Christian Prigent, Hervé Carn, Tanguy Dohollau, Yves Prié…), autant de personnalités qui ont illuminé les quelques mois passés avec Jacques Allano, sans oublier les échanges avec les clients fidèles de la librairie.

C’est, par le fait même, tout un pan de la vie littéraire bretonne qui défile sous nos yeux avec comme point d’ancrage Saint-Brieuc, cette « ville d’écrivains » comme aiment à le rappeler les édiles locaux. Pour Mérédith Le Dez, évoquer tout ce compagnonnage raffermit le cœur, tempère progressivement un chagrin tenace. Son hymne aux mots qui parlent juste, son ode à la passion partagée, tout cela nous touche profondément. « Femme à éclipses », comme elle se qualifie elle-même, on la voit rebondir dans la compagnie des livres. Question de survie dans un monde qui la désole si souvent.

Pierre TANGUY

Un libraire, Mérédith Le Dez, éditions Philippe Rey 2021, 140 pages, 16 euros.

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