Marie-Josée Christien : « Affolement du sang » HermineHermineHermineHermine

Affolement du sang. Ce beau titre n’est pas seulement métaphorique. Il renvoie à une réalité douloureuse : la maladie rare, sous le nom de polyglobulie ou maladie de Vaquez, qui frappe l’auteure, Marie-Josée Christien. Elle nous le dit en poèmes.

La vie littéraire ne manque pas d’auteurs – surtout des poètes – qui ont fait de leur maladie le sujet de leurs livres. Qu’il s’agisse d’un cancer, d’une maladie chronique ou des séquelles (physiques ou psychiques) d’un accident de la vie. La poésie se prête assez bien à l’expression de ces souffrances car elle permet la prise de distance et cette économie de mots qui évite « d’en rajouter » et de tomber finalement dans une forme de pathos. Sans oublier, comme le dit Marie-Josée Christien, que « seul le poème est digne du désespoir ».

Mais là où les auteurs chinois ou japonais, par exemple, perçoivent dans les menus événements du monde extérieur et en particulier dans la nature, la traduction de leur propre souffrance, pour d’autres auteurs – et c’est le cas de Marie-Josée Christien – c’est à partir du moi intime (en chair et en os) que s’exprime la douleur. « Les globules de mon sang/tapies sous ma peau/me liquéfient », écrit-elle. « A l’aube/des marques bleues/tombées sans bruit/tatouent mon corps ». On n’est pas donc surpris de découvrir au cœur de son livre cette citation de James Joyce : « Ecrivez ce qui est dans votre sang et non pas ce qui est dans votre cerveau ». Sur ce « fardeau du sang », comme elle dit, Marie-Josée Christien peut écrire : « Des braises liquides/coulent de mes yeux ». Ou encore ceci : « Je perds ma trace/dans le sang/pulsant de mes yeux ».

Au-delà du constat physique (clinique ?) de cette maladie, il y a bien sûr, dans ses poèmes, une approche de tout ce qui l’englobe et la contraint dans sa vie de tous les jours. Ce que l’on qualifie aujourd’hui, volontiers, de « dégâts collatéraux ». Marie-Josée Christien parle ainsi de « la nausée des heures », du « leurre d’une existence ». Elle nous dit qu’elle « éparpille un sourire » et qu’elle « aborde l’espérance comme une absente ». Au point d’affirmer abruptement : « J’inexiste ».

Se mettant à l’écoute de poètes qu’elle aime et aussi d’amis fidèles (à qui elle dédie certains de ses poèmes), elle nous dit, en dépit de tout, que « le monde frémit/d’une joie ancienne » et que « le poème se livre/au seul désir/d’exister/ici et maintenant ». Mais l’angoisse rôde. Et aussi une forme de désespérance. « La mort confirmera/que je n’étais pas nécessaire », écrit-elle, fataliste.

Quoi qu’il en soit, demeure une conviction : la nécessité du poème. Comment ne pas voir, en effet, que les écrits de la poète quimpéroise répondent avant tout à une nécessité. A une forme d’urgence. Ce qui leur donne cette forme de percussion et leur capacité à s’ouvrir à l’universel de nos douleurs ou de nos souffrances.

Pierre TANGUY
Affolement du sang, Marie-Josée Christien, avec des encres de André  Guénoun, préface de Jean-François Mathé, éditions Al Manar, 154 pages, 19 euros.

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