Marie-Hélène Prouteau : « Le cœur est une place forte » HermineHermineHermineHermine

Marie-Hélène Prouteau aime mêler l’histoire familiale à la grande histoire. L’histoire ancienne à l’histoire récente. Etablir des rapprochements. Elle le montre encore dans son nouveau livre dont le sujet est la guerre : la Grande guerre et celle de 39-45, vues à travers l’histoire d’un grand-père puis celle de l’auteure elle-même, dans cette ville de Brest, détruite, où elle est née.

Roman ? Récit poétique ? Enquête ? Comment qualifier le livre de la Nantaise Marie-Hélène Prouteau ? « Il faut déranger les ruines, explique-t-elle, mettre la lampe frontale pour descendre dans les fissures de l’ombre. Les signes du silence accompagnent. Et, doucement, comme une évidence, appeler les absents ». Puis elle reprend ces mots de Paul Celan (qui donnent leur titre au livre) : « Le cœur est une place forte ». Car, dit-elle, « ces mots lèvent en nous l’idée de résistance ». Résistance au désordre et au malheur de la guerre

L’acte I de ce livre est constitué par la découverte, en Belgique, du livret militaire du grand père de l’auteure, soldat du 19e RI de Brest, dans un grenier de Maissin (« village martyr calciné par le feu allemand ») aux côtés de 430 autres livrets. A partir de ce document (« ses feuillets fatigués ont la douceur du chiffon ») que la grand’mère conserve comme un trésor, Marie-Hélène Prouteau va mener une véritable enquête documentaire pour éclairer le drame qui s’est noué sur place.

« La guerre, c’est quand des gamins de quinze ans doivent enterrer vivants des soldats sur ordre de criminels ». Son enquête fait surgir, aux côtés du grand-père Guillaume, d’autres figures de soldats venus de Bretagne : Yves Henry de Plérin, Henri Ollivier de Saint-Nazaire qui avait gravé son nom sur le tronc d’un arbre de Maissin. Puis il y cet événement stupéfiant : le démontage du calvaire finistérien du Tréhou  par ses habitants pour rejoindre le charnier de Maissin et veiller sur les morts : « Le calvaire est remonté pierre à pierre. A Maissin, en son cadastre labouré de baïonnettes ». Et, depuis 1932, « en son lotissement de deuil, se tient le vieux calvaire, sentinelle en humanité qui se penche vers ses milliers de fils ».

Acte II du livre : Brest après les bombardements de la Seconde guerre. La petite Marie-Hélène naît dans cette ville-là, dans une clinique d’accouchement qui avait été bombardée en 1940. « Un pays natal de gravats et d’épaves, ton legs au commencement ». La fillette apprend à savoir qu’avant sa naissance le ciel a été « en exil » et qu’il brûlait toutes les nuits « sur fond de mort des étoiles ». Et elle reprend aujourd’hui ces mots de Julien Gracq parlant de « Brest, tragique et sacrificielle, tranchée comme une pyramide aztèque » (Lettrines, 2).

Mais « tout n’a pas disparu avec les murs effondrés, les maisons éventrées », nous dit Marie-Hélène Prouteau. « Les lieux ne sont plus. Restent les visages, les gestes, les élans ». Le visage de Paul, un oncle mort jeune à la guerre. Celui de James Sheridan, aviateur anglais, enterré dans le cimetière de La Forest-Landerneau, commune où ont vécu les grands parents de l’auteure. Les élans sont ceux des sauveteurs vers l’abri Sadi-Carnot bombard

« Que serait se tenir à hauteur de toutes ces ombres emportées dans la guerre ?»,  interroge l’auteure. Sans doute commencer par dénoncer, inlassablement, toutes les guerres. Celles qui ont vu les massacres de l’antique Ur comme ceux, récents, perpétrés à Alep ou à Sarajevo. Faire mémoire aussi. « Je voudrais donner chair aux silhouettes ombreuses qui se sont colletées aux plus hautes épreuves. Qui ont tenté de garder le cœur à l’heure humaine ».

Plus fondamentalement encore, « trouver l’élan qui sauve » en concevant un « sursaut de bienveillance pour ce monde qui est le nôtre ».  Marie-Hélène Prouteau le dit avec talent  – dans une certaine fièvre d’écriture – au cœur d’un livre où sont magnifiés à la fois le tragique et la beauté de l’existence.

Pierre TANGUY
Le cœur est une place forte, Marie-Hélène Prouteau, préface de Dominique Sampiero, La Part Commune, 147 pages, 14 euros.

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