Un livre-fleuve pour temps de Covid. Louis Bertholom, on le sait, n’a jamais été avare de mots et le montre ici « puissance 10 » en publiant plus de 300 pages de poèmes. Sa Lyre du silence, aux textes sagement alignés et rimés, nous parle de tout ce qui fait l’univers du poète breton. Sa méditation s’adresse à une myriade d’amis ou de connaissances nommément désignés au départ de chaque poème. Vite, prenons notre souffle pour aborder cet Himalaya de quatrains.

Si quelques poèmes datent de 2020 – début de la pandémie – la majorité d’entre eux ont été écrits l’an dernier. « Finis les traits blancs dans le ciel/tout est redevenu si calme/même les oiseaux s’en étonnent,/les nuages se font la fête ». Pris entre la colère pour cause de confinement et l’émerveillement quand il se tourne vers une nature retrouvée, le poète se fait philosophe : « Le rêve compense/toute frustration/tant que sa réserve/ne se tarit pas ».

Ce rêve, chez Louis Bertholom, est inséparable de son tropisme nord-américain. Le voici, à l’occasion de ses 66 ans, prêt à fantasmer sur la fameuse Route 66 qui traverse d’est en ouest les Etats-Unis et qu’il rêve un jour d’emprunter. « Réinventer le chant des hyènes/sous la lune en lisant Kerouac/aux sources des plaines cheyennes,/un bourbon au feu d’un bivouac ». Kerouac, bien sûr, mais aussi Thoreau ou Whitman dont les fantômes rôdent dans ce livre. Méditant le 14 juin 2021 « vers vingt-trois heures » sur la plage de Kerler en Fouesnant, il peut écrire : « Pensif sur le rivage en feu/d’un soir qui flambe encore au loin/sous les jets des pinceaux célestes/le monde se tait peu à peu ».

Difficile de rendre compte d’un tel livre qui va à hue et à dia, où l’auteur mêle « hommages » et « pensées », évoque « l’enfance » ou encore des « endroits » emblématiques, puis s’attarde sur des faits de « société » avant de nous entretenir sur « le temps qui passe » ou sur « le temps qu’il fait », sur  l’acte « d’écrire ou lire » sans oublier de nous rappeler  ses insomnies ou d’évoquer tel ou tel  jour de pluie passé dans son camping-car.

Il y a enfin ses poèmes aux nouveaux « amis envolés » dont Bertholom, familier de cet exercice (A mes amis envolés, éditions Vivre tout simplement), salue ici la mémoire : le journaliste Jean-Charles Perazzi, le chanteur Serge Cabon, le guitariste Jacques Pellen (mort du Covid)… Le poète en arrive lui-même à envisager sa propre disparition dans un des poèmes les plus touchants de ce livre : « Je voudrais m’envoler d’une vision ultime/nu, abandonné comme une algue à la dérive/sur la plage de Kerler par une nuit sans frime/parmi les gravelots sautant sur la déclive ». Comment ne pas penser ici à Xavier Grall écrivant dans La sône des pluies et des tombes : « J’aimerais partir le jour premier du printemps/dans les doux plis de la mort primevère ».

Mais la vie reprend vite le dessus. Ailleurs, en effet, le poète pense avant tout à sa longévité. Il le dit, dans une forme d’auto dérision, en évoquant le principe de précaution. « Je m’inflige un bon mois de cure/afin que mes gamma GT/retrouvent la virginité/d’une prise de sang bien pure ».

Ainsi va Louis Bertholom sous nos cieux bretons si incertains. Mais, pour la bonne bouche, attardons-nous sur ce poème qu’il dédie à son… fournisseur d’énergie ENGIE. « Lorsque j’interromps le chauffage/au printemps qui vient me sourire,/je lâche enfin un grand soupir/comme une sorte de revanche ». Les rimes sont riches, très riches. Pour dire le renouveau et l’espoir qui gît, « quoi qu’il en coûte », au cœur de l’homme en ces temps chaotiques.

Pierre TANGUY

La lyre du silence de Louis Bertholom aux Éditions Sauvages, collection Askell, 2021, 304 pages, 18,50 euros.

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