C’est l’histoire de Louise, mais aussi de Katel. Et aussi de Max, Delphine, Stan et Lucas. Six jeunes gens doués, têtes bien faites, prêts à entrer dans l’un des temples de la connaissance, à moins que ce ne soit l’une des usines à formater les esprits de la République… Sciences-Po. Au 27 de la rue Saint-Guillaume, dans le 7^ème arrondissement de Paris. Une adresse qui ne dira (peut-être) rien à 98 % des gens mais signifie tout (ou beaucoup) pour les 2% restants. Nous sommes en 1995. C’est la fin des années Mitterrand. Une page se tourne. Louise, Katel et les autres s’affrontent, se confrontent, s’aiment et se trahissent tout en découvrant la vie qui les attend. Et puis la vie, toujours elle, se charge de faire dévier les trajectoires toutes tracées. C’est ce qui arrive à Louise. Une saloperie suivie d’un bonheur qui oblige l’étudiante bosseuse et méritante à se taire, et à se trouver une autre voie que la politique qui l’aimantait. Ce sera le business.

Certains sont devenus des leaders politiques, d’autres des patron(ne)s de presse

Il y a de l’amour, de la haine, de la transgression, des secrets bien cachés et surtout des gens, des personnes. Katel, Max, Delphine, Stan, Lucas, et Louise… Chacun se bat comme il le peut, avec ses armes (séduction, intelligence, manipulation), pour se faire une petite place au soleil. Que sont-ils devenus plus de vingt ans après, lorsqu’un de leurs confrères plus jeune, plus mordant, plus étincelant, sans doute aussi plus cynique, arrive au pouvoir : Emmanuel Macron. Louise réunit alors la petite bande… Certains sont devenus des leaders politiques, d’autres des patron(ne)s de presse, d’autres encore des intellectuels plus ou moins respectés. Mais l’amour, l’amitié dans tout cela ? Qu’en reste-t-il ? Avec justesse, et beaucoup d’empathie pour chacun de ses personnages, l’auteure, Claire Léost (aujourd’hui directrice générale du groupe de presse CMI France) raconte les dessous d’une époque, les puissants désirs de la jeunesse, et la réalité qui vient s’opposer, percuter les rêves. Avec son saut dans le temps, Le Monde à Nos Pieds qui m’a fait penser par sa thématique à un autre très bon roman de Marc Lambron (Les Menteurs, Grasset, 2004, qui suivait trois personnages passés par hypokhâgne) aurait pu se transformer en un règlement de compte à OK Corral, ou en une fable cruelle et cynique sur les élites, mais c’est tout le contraire. Quand on tourne la dernière page, au lieu d’abandonner des petits coqs et des barons pédants de notre temps, on se prend à se dire que l’on aimerait (encore) en savoir plus sur ces six personnages plein de contradictions mais si humains, et que l’on lirait avec intérêt et plaisir une suite.

Frédérick RAPILLY
Le Monde à Nos Pieds de Claire Léost aux éditions Jean-Claude Lattès, 300 pages, 19.90€