Comment un texte publié en 1864 peut-il encore résonner aujourd’hui à ce point ? C’est pourtant ce qu’il se passe à la lecture de L’homme et la nature du géographe Elisée Reclus (1830-1905). Tout y est déjà dit – ou presque – sur le nécessaire respect de la nature et sur les atteintes portées par l’homme à son environnement. Ce qu’évoque Elisée Reclus se passe aujourd’hui, sous nos yeux, à une plus grande échelle.

En 1864, Elisée Reclus découvre le livre de George Perkins Marsh (1801-1882), philologue et diplomate américain qui vient de publier Man and nature, physical geography as modified by human action. Reclus y découvre l’essentiel de ses intuitions sur les rapports de l’homme et de la nature. Il décide alors de publier une longue analyse de cet ouvrage dans la célèbre Revue des deux mondes à laquelle il collabore. Son analyse, très fouillée, fait aujourd’hui l’objet d’un petit livre aux éditions La Part Commune.

Marsh, souligne Elisée Reclus, part d’un constat implacable : « Les peuples ont transformé de diverses manières la surface des continents, changé l’économie des eaux courantes, modifié les climats eux-mêmes ». C’est écrit au milieu du 19e siècle. Marsh ajoute : « Le barbare pille la terre » tandis que « l’homme vraiment civilisé répare les dégâts (…) et aide la terre ». La déforestation à grande échelle (qui nous rappelle quelque chose se passant aujourd’hui sous nos yeux) est notamment pointée du doigt. Sont évoquées les conséquences de cette déforestation sur la Perse, la Mésopotamie, les Carolines ou l’Alabama, mais aussi sur les Alpes françaises. « Des propriétaires trop avides ont abattu presque toutes les forêts qui recouvraient les flancs des montagnes, note Elisée Reclus à la suite de Marsh, et par la suite l’eau, que retenaient autrefois les racines et qui pénétrait lentement la terre, a cessé son œuvre de fertilisation pour ne plus servir qu’à dévaster ».

Et que dire des perturbations constatées au niveau du climat et du déroulement des saisons. Par son action dévastatrice, l’homme « change le réseau des lignes de température ». Que dire, enfin, des conséquences sur la flore et la faune où des espèces sont en voie de disparition à cause de « l’intervention insensée de l’homme ». On croit lire un texte du 21e siècle.

On comprend qu’Elisée Reclus – porteur d’idées anarchistes et communautaires – ait pu séduire de larges pans du mouvement écologiste dans le monde, faisant figure de précurseur (presque de prophète) comme le fut aussi, à sa manière, Henry-David Thoreau aux Etats-Unis. Mais Reclus note aussi, à la suite de Marsh, que l’homme peut parfois agir en bien sur la nature. Il salue, par exemple, les entreprises d’assainissement engagées pour se dégager des « miasmes paludiens ». Il se félicite des efforts engagés pour embellir la nature en Irlande ou en Ecosse où l’on commence par respecter le biotope naturel et où l’on favorise le reboisement. Mais  ces cas sont plutôt exceptionnels. « Les peuples préfèrent la force à la beauté ».

Mais que se passera-t-il « quand la science fournira d’autres moyens d’action sur la nature ». Elisée Reclus termine en envisageant l’usage par l’homme de la force du vent ou des marées. C’est dire sa puissance de visionnaire.

Pierre TANGUY

L’homme et la nature suivi de A mon frère le paysan, La Part commune, collection La Petite Part, 65 pages, 6,50 euros.

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