Asphalt Blues : un roman graphique de Jaouen Salaün HermineHermineHermineHermine

Asphalt Blues évoque une société préfigurant ce que la nôtre pourrait devenir. Seules les relations amoureuses restent identiques à ce qu’elles ont toujours été : complexes et tourmentées. Un très beau roman graphique signé Jaouen Salaün.

An 2032. Nina et Mick ne vivent plus ensemble. Chacun a refait sa vie. Nina partage désormais son temps avec un homme proche des pouvoirs politiques et industriels, jaloux de la séduction qu’elle exerce sur les autres. Mick, quant à lui, fait face aux séquelles du grave accident de voiture de son épouse. Les deux anciens amants l’ignorent, mais leurs quotidiens sont liés nonobstant une séparation de treize longues années ; les instants se succèdent dans des vies encroisées malgré eux.

L’histoire questionne sur la brièveté de l’existence et le désenchantement du sentiment amoureux. Elle interpelle là où l’on attend peu qu’une bande dessinée le fasse à travers la question de ce que seront les mœurs dans un proche avenir numérisé. Le premier chapitre évoque un couple en difficulté. Elle, lucide de ce qui les attend. Lui, donne la fâcheuse impression de tout gâcher. Puis l’histoire fait un bond en avant, ce que l’on vient de lire n’était en fait qu’une préface, et c’est un récit chorale qui prend la suite dans laquelle les enjeux politiques, économiques et écologiques nous rappellent combien ils déterminent aussi nos vies intimes.

Asphalt Blues attire immédiatement l’œil avec sa magnifique couverture aux gris-colorés. Certains y verront l’influence de Bastien Vives dans Polina. D’autres celles de Thomy von Kummant dans Gung Ho. Il y a, en effet, du premier et du second, mais le regard cinématographique de Jaouen Salaün souligne une approche plus contemporaine. Le scénario ciselé semble écrit pour être adapté au cinéma… Les cadrages millimétrés font penser au story-board d’un film de Paolo Sorrentino… La lumière et les couleurs sont particulièrement soignées… Les ombres et les clairs se confondent ou s’opposent en nécessité absolue… On est époustouflé par l’utilisation de textures plus belles les unes que les autres… L’absence d’encrage – c’est-à-dire de pourtours noircis qui d’ordinaire séparent les couleurs – renforce une esthétique bluffante nourrie d’influences conjointes : bédé, manga, dessin animé, animation 3D, cinéma, photographie…

Malgré une intrigue amoureuse mille fois ressassée – on pense au travail de Jim, sa merveilleuse Nuit à Rome –, l’ensemble est vif, séduisant et, ce qui est l’essentiel pour une bande dessinée, graphiquement irréprochable. Nina et Mickael sont tendres. Poignants. Leur vie est poétique. Sensuelle. les séquences s’enchainent avec une fluidité qui emporte le lecteur dans un tourbillon d’émotions. Jaouen Salaün est un incroyable créateur d’ambiances. Il impose pour chaque scène une nuance chromatique qui pose l’atmosphère. Ce sont des nocturnes lumineux… Des paysages sauvages et enneigés… Des univers médicaux glacialement bleutés… Des séquences aquatiques évoquant l’hyperréalisme – David Hockney n’est pas loin… C’est beau. Envoutant. Élégant. Bref ! Magnifique. Si l’éditeur avait offert de rembourser les insatisfaits, parions qu’il n’aurait eu aucun retour.

Jérôme ENEZ-VRIAD
© Février 2022 – Bretagne Actuelle & J.E.-V.

Asphalt BluesUne bande dessinée de Jaouen Salaün (Introduction de Bastien Vivès & Michaël Sanlaville – Postface de Pierre Perifel) aux éditions Les Humanoïdes Associés – 208 pages couleurs – Format numérique : 9,99€ /Gutenberg : 24,00€

0 Commentaires

Laisser un commentaire

Abonnez-vous à notre newsletter

Edito

Articles similaires

Autres articles de la catégorie BD