Une rencontre. Celle d’un adepte du land art et d’un auteur de haïkus, par ailleurs artiste lui-même. Le mot « équilibre » les réunit. Pour le premier (Arnaud Arcizet), il s’agit de « superposer naturellement des pierres en jouant avec la gravité », comme il le dit lui-même. Pour le second (Jacques Poullaouec), de peser ses mots « pour faire entrer tout un univers dans le microcosme du poème ». A découvrir.
Arnaud Arcizet et Jacques Poullaouec avaient toutes les raisons de se rencontrer un jour. D’un côté le poseur de pierres, de l’autre le poseur de mots. L’un vit sur la côte nord du Finistère, le second n’y vit plus mais y est né (précisément à Lesneven, « plaque tournante de la Côte des légendes », comme le disait la flamme postale d’autrefois). On retrouve chez le land artist le grain de cette pierre qui signe la rudesse de cette portion de littoral breton. Le haïjin Poullaouec ne pouvait pas ne pas y être sensible lui qui, gamin, a tellement galopé sur ces rochers rugueux. Et pour les réunir encore mieux, il fallait un éditeur au diapason. Ce qui est le cas puisque Géorama est implanté sur la côte découpée – et si envoûtante – de Porspoder. Un pays où « où tout peut basculer/le ciel dans la mer/le passé dans le présent » (Poullaouec)
Une même sensibilité à la pensée extrême-orientale
Mais il y a, ici, plus qu’une question d’espace ou de territoire. Arcizet et Poullaouec partagent une même sensibilité à la pensée extrême-orientale, celle qui induit patience, lenteur, contemplation, détachement… Le rock balancing ou stone balancing que pratique Arnaud Arcizet est, explique-t-il, « une pratique de méditation par les pierres. C’est également un art qui consiste à superposer naturellement des pierres en jouant avec la gravité, le contrepoids et les point de pression ». Le résultat, c’est une sculpture qui tient « comme par miracle ». Un art « très connu et pratiqué au Japon », précise-t-il. Le haïjin Poullaouec, lui, nous renvoie au Tao Te King de Lao Tseu, qu’il cite dans le livre : « Le grave est la racine du léger ; maître du mouvement, le calme ».
Le résultat est surprenant. On pourrait même dire stupéfiant. Créer ce monde en équilibre de pierres superposées est un véritable exploit. « J’ai mis parfois plusieurs semaines avant d’arriver à ce qui me semblait perfection et harmonie avec le paysage et moi-même », raconte encore Arnaud Arcizet qui a lui-même photographié ses œuvres, soulignant au passage qu’il laissait « le lieu d’édification aussi vierge qu’au départ ».
Cet art de l’éphémère coïncide avec se sentiment de l’impermanence et de la fugacité qui signent l’approche de philosophies extrême-orientales. Le haïku (qui flirte dans ce livre avec l’aphorisme) entre dans cette catégorie. « Ne me jetez pas la pierre/j’équilibre le tout/pour rien », écrit Jacques Poullaouec. « Empiler pierre sur pierre/haïku sur haïku/jusqu’où ne pas aller trop loin ». Oui, une vraie question d’équilibre.
Pierre TANGUY
Haïkus de l’équilibre, œuvres et photographies d’Arnaud Arcizet, Textes de Jacques Poullaouec, Géorama, 18 euros.