Marc Pennec « en Arrée » HermineHermineHermineHermine

« Nous marchons en ce monde sur le toit de l’enfer en regardant les fleurs », écrivait au 18e siècle le poète japonais Kobayashi Issa. L’enfer : il est partout. C’est notre part d’ombre. En Bretagne, on le trouve dans ces Monts d’Arrée qu’arpente depuis des années Marc Pennec. Précisément dans les marais de Yeun Elez, « vers la bouche spongieuse et indécise des tourbières », nous dit-il. « C’est un lieu d’ombres et de faux semblants où les anges, le diable, l’Ankou s’astiquent les cotes et combattent de façon implacable ».


Marc Pennec « en Arrée »

Les Monts d’Arrée sont peuplés de songes, de mythes, de fantasmes. Il n’est pas étonnant qu’on puisse y puiser une belle matière littéraire. Grall et Gwernig ont, en leur temps, témoigné du frisson qui les saisissait en traversant ces landes dénudées et ces sommets en arêtes. Marc Pennec, lui aussi, est tombé sous le charme. Très jeune. Il faut dire que, lorsqu’on habite Landivisiau, les « Everest » de  Roc’h Trévézel ou de Roc’h Trédudon sont à portée de main. Encore faut-il savoir discerner dans ces lieux autre chose que des monts ou des landes. Marc Pennec y a vu très vite un bout du monde, un Larzac breton, un espace en rupture avec le monde matérialiste qu’installaient les Trente Glorieuses. Pour tout dire un domaine que n’auraient pas renié tous les adeptes de la contre-culture, à commencer par ceux de la Beat Generation, Jack Kerouac en tête. Que n’auraient pas renié non plus Jim Harrison ou Rick Bass.

Il y a donc, dans ce livre, qui associe chapitres en prose et quelques poèmes, un retour sur ces années enflammées post-68  (qui sont aussi celles du revival breton) et ce désir de l’auteur de venir, précisément, vivre et travailler dans ce pays-là. Ambition que ne partageait pas sa compagne Catherine. Elle ne se voyait pas, en effet, passer toute sa vie dans ces lieux loin de tout, désolés et humides.  L’auteur en a pris acte et le temps a passé, mais il n’a pas renié sa fougue d’antan sur ce territoire à part qu’il continue à fréquenter assidûment. « C’est comme ça : les terres désolées, ravinées par les éléments, ingrates, frissonnantes sous l’averse, qui faussent volontiers compagnie au quotidien et se fichent des dieux et des idoles essoufflées du monde entier, me fascinent depuis le fond de l’enfance ».

Cet amour de  l’Arrée trouve aussi sa source dans le besoin irrépressible de trouver une forme de paix intérieure. Marc Pennec, dans un chapitre très émouvant, révèle le bouleversement opéré en lui par la lourde maladie de son jeune frère. Il trouvait alors refuge à Trédudon-le-moine pour noyer ses angoisses : « Je me fondais, disparaissais dans le paysage. Je montais vers les crêtes. Dépassais les prairies et les troupeaux, les bosquets, les futaies, vers la lande (…) Ces jours-là, je me serais bien rendu aux nuages et aux ciels passants ».

Pour l’accompagner dans ce livre de belle facture, Marc Pennec a trouvé comme compagnon de route le dessinateur et aquarelliste Nono, dans son art consommé d’apporter ici de la lumière sur ces paysages austères : lumière jaune des ajoncs ras, jaune pâle des chaumes, lumière rose des bruyères, parcelles brunes de fougères fanées, toits et murs gris des maisons, villages dans la nuit… Tout surgit à coups de crayon : Saint-Michel de Brasparts, Saint-Herbot,  Brennilis et sa centrale… Oui, Arrée est univers.



En Arrée, Marc Pennec, illustrations de Nono, Editions Dialogues, 100 pages, 14 euros.

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