« Un chien vivant » de Denis Rigal HermineHermineHermine

Voilà un livre attachant ! Un récit de fin d’adolescence et du premier temps de l’âge adulte. Une brève parenthèse en somme.

Un collège de sous-préfecture, puis l’internat au lycée Blaise Pascal, sa khâgne et enfin l’université du même nom. Des chapitres courts rassemblant anecdotes, silhouettes fugitives, vagabondages dans Clermont-Ferrand. Nous y croisons incidemment Antoine Blondin, Pierre Bourdieu, Claude Lanzman et Albert Camus mais aussi d’illustres inconnus qui ont compté tout autant pour l’auteur dont cette fameuse Miss Rondet à Brioude, passionnée de littérature anglaise, n’hésitant pas à citer devant son auditoire la phrase de Sir Macaulay : « ceux qui disent qu’on ne devrait pas donner la liberté aux peuples avant qu’ils n’aient appris à s’en servir me font penser à l’idiot de la fable qui jurait qu’il n’entrerait pas dans l’eau avant de savoir nager ».

Nous sommes à la fin des années 50, celles de la guerre d’Algérie, celles des chars russes entrant dans Budapest, du bombardement de Sakiet Sidi Youssef. Années en France de désarroi, de honte et de révolte à la fois. Années de censure de la presse d’opposition, d’interdictions (comme « La question », le livre d’Henri Alleg), d’arrestations et d’assassinats. « La nuit de l’esprit menaçait de tout recouvrir et d’étouffer tout signe d’intelligence ».  Des « dimanches vides » pour les travailleurs algériens en Auvergne et ailleurs. Attentismes, indifférences, déchirements se mélangent à de nouvelles solidarités lorsque le Général de Gaulle arrive au pouvoir (1958) et se fait acclamer à Alger avec son « je vous ai compris » aussi péremptoire dans la forme qu’ambigu sur le fond. C’est le temps de l’engagement dans le syndicalisme étudiant de gauche. Le temps du « Manifeste des 121 » (1961) pour le droit à l’insoumission dont il était interdit de nommer les signataires à la radio. Puis les choses s’accélèrent avec le putsch des généraux d’Alger (1961), les tracts d’appel à la résistance et la manifestation organisée dans l’urgence pour défendre la République.

Qu’aurait-il fait, lui le sursitaire, si la guerre s’était poursuivie ? Déserter ou obéir ? « Un chien vivant vaut mieux qu’un lion mort » nous dit l’Ecclésiaste en ouverture du livre. Il est donc ce chien vivant quand son ami de toujours, auquel il dédicace son livre, verra sa vie volée comme beaucoup d’autres. Il y a de l’Albert Camus dans le récit-témoignage de Denis Rigal. A la fois dans ce talent à rendre vivantes les émotions, à recomposer la mémoire, dans cette capacité à s’interroger sur sa compréhension d’évènements qui le dépassent et à creuser sans cesse les doutes qui le traversent encore aujourd’hui.

Jean-Louis Coatrieux
« Un chien vivant » de Denis Rigal aux éditions Apogée, 120 pages, 13 euros
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Denis Rigal est aussi l’auteur de « Eloge de la truite » aux mêmes éditions et a publié des ouvrages de poésie chez Gallimard et Folle Avoine.

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Edito

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