Si Hergé ne fut pas un grand voyageur, Tintin et Milou ont en revanche nourri l’imagination des lecteurs à travers leurs nombreux périples dont l’essentiel se fit par la mer, avec parfois une inspiration bretonne.

De 1930 (Tintin au pays des Soviets) à 1976 (Tintin et les Picaros), durant presque un demi-siècle, le plus célèbre des reporters belges aura arpenté les cinq continents et navigué sur la plupart des océans ; à la fois marin de haute mer et d’eau douce – plongeur en scaphandre dans Le trésor de Rackham le Rouge, ou avec palmes dans Le lac aux requins –  Tintin est devenu l’égal d’Henry de Monfreid, de Jacques Maillol ou du Commandant Cousteau, s’empressant comme eux de mettre les bouts vers des aventures maritimes. Sur les vingt-trois albums de la série, quinze ont un ancrage naval avec de nombreuses apparitions le long du littoral breton qui mène de Saint-Nazaire à Saint-Malo, en passant par Brest et la baie morlaisienne.

Tout commence et s’invente dans les ports

La première fois que Tintin et Milou prennent l’avion pour rejoindre une de leurs aventures, c’est en 1960 à destination de New-Delhi dans Tintin au Tibet ; sinon, les péripéties de nos héros commencent toutes dans un port. Ceux de Saint-Nazaire et Anvers tiennent une place singulière dans l’œuvre d’Hergé. Bien que Saint-Nazaire fût détruite à 85% pendant la guerre, le dessinateur s’est chaque fois employé à reconstruire son port au plus exact de ce qu’il fut. La municipalité nazairienne organise même un circuit touristique inspiré des endroits de la ville figurants dans Les 7 boules de cristal. Le port d’Anvers, quant à lui,  justifiea un voyage d’Hergé avec son collaborateur Bob de Moor ; ainsi, effectuèrent-ils une traversée entre Anvers et Göteborg, un aller-retour qui leur permit d’enrichir l’approche visuelle des lieux afin de les retranscrire au plus juste de ce qu’ils étaient à l’époque.

Apparaissent également les ports d’Ostende, du Havre, de La Rochelle, Marseille, Chicago, New York, et même le port islandais d’Akureyri dans L’étoile Mystérieuse, sous oublier Israël et celui de Haïfa dans Le pays de l’or noir ; ajoutons Callao au Pérou dans Le temple du soleil, et la sublissime Shanghai du Lotus Bleu ; cette dernière s’inscrit dans l’imaginaire d’Hergé qui réinterpréta les lieux sans les connaitre grâce à une précieuse documentation. D’autres ports prennent vie au fil des albums, tous reconstitués avec une remarquable justesse historique ; c’est le cas de Port-Saïd dans Les cigares du pharaon, de Djibouti dans Coke en stock, de Matadi dans Tintin au Congo – pays alors sous protectorat belge. Notons, en outre, que le génie créatif d’Hergé aimait superposer fiction et réalité, se permettant de faire débarquer Tintin dans quelques ports imaginaires, tel celui de Bagghar : Le crabe aux pinces d’or, ou celui de Wadesdah : Tintin au pays de l’or noir et Coke en Stock – avec cette précision que Wadesda (sans le h) est l’équivalent en patois bruxellois de l’expression française « qu’est-ce que c’est ? ». Quant au port de Kiltoch immortalisé dans L’île noire, son nom est construit sur l’assemblage des mots écossais Kilt & Loch.

Deux albums de Tintin restent à traduire en breton

Il s’appelle Tim en allemand, Kuifje en néerlandais, Täntän en bernois… Les aventures de Tintin et Milou ont été traduites en 50 langues étrangères (une langue morte : le latin, et une pas encore vivante : l’esperanto) et 43 langues régionales, parmi lesquelles le corse, le créole antillais et réunionnais, l’occitan, le bruxellois, le wallon de Namure, le catalan, le gallo… et, bien entendu, le breton dont il faut remonter à 1979 pour une première traduction : il s’agit de l’album Les 7 boules de cristal, devenu Ar 7 boullenn strink. Dans la version originale, l’intrigue débute à Saint-Nazaire avant de se poursuivre à La Rochelle, ville remplacée par Naoned (Nantes) dans la variante bretonne afin, précisément, de rester en Bretagne. Tintin conserve son nom, accompagné du kabiten Hadok, tous deux tentent de retrouver la piste des ravisseurs d’un certain Kelenner Klaskato : « celui qui cherche » en breton, comprenez le professeur Tournesol.

Chaque album bretonnant est tiré à environ 5.000 exemplaires.  La dernière traduction remonte à 2017, elle est signée du Nantais Olivier Biguet, il s’agit de Tintin en Amerika. Seuls deux titres n’ont à ce jour pas de version bretonne : Tintin et les Picaros, et le désormais controversé Tintin au Congo. Il est d’ailleurs surprenant qu’Olivier Biguet confesse ne pas ambitionner le traduire au prétexte de ne pas vouloir « être associé à cet ouvrage » selon lui trop polémique. Mille sabords ! Pourquoi ignorer Tintin au Congo puisqu’il est le premier d’une série de titres indissociables les uns des autres, dans la mesure où leur ensemble constitue la globalité d’une des œuvres les plus célèbres du XXe siècle ; d’autant que l’on retrouve ce qui pose problème, c’est à dire une conception flagellatrice de la colonisation, dans plusieurs histoires de Tintin déjà traduites ?

Lorsque les récifs bretons inspirent Hergé

Outre les ports, les bateaux et la mer, les récifs ont beaucoup inspiré Hergé, en particulier celui illustrant la couverture du septième album intitulé L’île Noire. Le phare qui sert de décor à l’histoire est en fait située dans la baie de Morlaix (29), face au château du Taureau ; long caillou de forme étirée d’une soixantaine de mètres de long pour une douzaine de large, il s’agit d’un banal récif érigé d’un phare, son allure fantomatique évoque une forteresse imprenable particulièrement sinistre la nuit. Après une publication « feuilletonnée » en 1937, l’histoire parait d’un tenant l’année suivante chez Casterman, une édition noir & blanc ensuite colorisée en 1943, avant d’être refondu en 1966 dans sa version définitive. Hergé redessina certaines cases à la demande de ses éditeurs anglais jugeant la représentation de la Grande-Bretagne non conforme à la réalité. Alors que les scènes et les dialogues restent identiques, les décors sont modernisés avec le remplacement de la locomotive à vapeur de la planche 31 par une machine diesel-électrique, et celui d’une pompe à bras par un camion-pompe quelques pages plus loin. En résultent de légers antagonismes face à Tintin qui, identique à lui-même, demeure le personnage des années 30 qu’il a toujours été. L’Île Noire est et restera désormais le seul album ayant trois versions différentes.

Jérôme ENEZ-VRIAD
© Décembre 2020 – J.E.-V. & Bretagne Actuelle

Parmi les sources  :

Hergé – Pierre Assouline – Éditions Plon // Hergé : Fils de Tintin – Benoit Peters – Éditions Flammarion // Hergé : Ligne de vie – Philippe Godin – Éditions Moulinsart // Dictionnaire Amoureux de Tintin Albert Algoud – Éditions Plon // Le Dictionnaire de Tintin Renaud Nattiez – Éditions Honoré Champion // Les géographies de Tintin – Paul Arnould – CNRS Éditions // Tintin c’est l’Aventure Hors-Série Géo Magazine (en quatre tomes) // Tintin Géo Book : 110 pays . 700 idées Hors-Série Géo Magazine // Tintin : A la découverte des grands ports du monde Hors-Série Ouest-France // Wikipédia // Et tous les albums de Tintin…

4 Commentaires

Jacques Langlois 6 décembre 2020 at 8 h 32 min

Spécialiste de la mer et des bateaux, sans doute, mais vous avez « survolé » les albums : Tintin n’attend pas 1960 pour prendre l’avion ! Dès 1930 il va de Moscou à Berlin en aéroplane. Il gagne l’Écosse et en revient par la voie des airs ( « L’Île noire » 1937), part en Syldavie en avion et fait le voyage retour en hydravion.( Le Sceptre d’Ottokar », 1939). Dans les années 50 il retourne dans ce pays en avion ( « Objectif Lune » et «  L’Affaire Tournesol »). Et dans « Coke en Stock «  en 1958, c’est bien en avion qu’il gagne le Proche-Orient !

Jérôme Enez-Vriad 8 décembre 2020 at 10 h 37 min

Sans doute me suis-je mal exprimé. Il faut attendre 1960 et « Tintin au Tibet » pour que notre Tintin prenne l’avion afin de « rejoindre » une de ses aventures. Dans les autres albums, l’aventure est déjà commencée et il utilise l’avion une fois l’intrigue engagée pour rallier deux endroits à l’intérieur de l’histoire ; alors que dans « Tintin au Tibet », l’histoire commence une fois sur place, en Inde, à New-Delhi. J’ai souhaité faire cette nuance que certains pourront considérer comme étant spécieuse. Prenons toutefois vos l’exemples… « L’Ile Noire » où il rejoint Londres par le Cologne-Londres qui passe à Bruxelles avant, effectivement, et plus tard dans l’histoire, de prendre l’avion ; idem avec l’ « Affaire Tournesol » : nous en sommes au tiers de l’album avant qu’il ne saute dans un bimoteur pour Genève ; itou pour « Le Sceptre d’Ottokar » ; de même dans « Coke en Stock » : il s’agit d’un avion gris brinquebalant, toujours autour de la planche 15 ou 16, au tiers de l’album donc, lorsque l’intrigue est plus qu’engagée. Je vous accorde un doute au sujet de « Objectif Lune » que je n’ai pas relu, faute de l’avoir sous la main. Je ne doute pas que vous ayez raison au sujet de ce dernier. Merci de votre commentaire riche d’enseignement et de m’avoir lu.

Jacques Langlois 10 décembre 2020 at 8 h 26 min

En effet je n’avais pas saisi la nuance… et vous gagneriez à expliciter le distinguo.
Pour « Objectif Lune », rappelez-vous, nos héros débarquant du pays de l’or noir, apprennent à leur arrivée à Moulinsart que Tournesol n’est pas là et un télégramme de celui-ci leur demande de le rejoindre en Syldavie. Les voici dans l’avion dès la seconde planche.

Brestois 10 avril 2021 at 19 h 00 min

Il me semble que les seuls tintin édités à 5000 ex aient été en Amérique et peut être les 7 boules de cristal
Ensuite à 3000 ex : vol 714, et la seconde version du lotus bleu, et tous les autres à 1500 sauf la premier version de l’ile Noire à 1000 ex.

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