Nous proposons ce titre, nous en convenons, assez énigmatique car Viel est trop fort en métaphores. Comme est son sésame littéraire et la métaphore son art poétique. S’il en use, jamais il ne l’use. Bien au contraire, il réinjecte dans la figure de style une précision chirurgicale, un pointu précis, une aiguille qui fait mouche à tout coup et ouvre au lecteur en apnée la plénitude oxygénée du sens. Non dans un arbitraire du sens, mais dans un arbitrage imaginaire des sens y compris sensations, émotions, abréactions dont frissons.

Comme sur la banderole d’un avion survolant la ville. Où sommes-nous ?

En quelle saison ? Sur quelle plage ? Sur la banderole accrochée au cul du piaf métaphorique s’inscrit surtout le punctum fatalis, la pointe du compas du destin, ce qui s’écrit non dans les lignes de la main mais comme dans les tragédies antiques, au ciel.

Comme un neume dans la nef d’une cathédrale. Quel est ce mystère ? Quel est ce mot ? C’est que Viel joue de nos nerfs jusqu’au bout des nerfs. Et d’un dictionnaire donc aux nervures rares souvent et parfois aussi empruntant à une conversation réelle ou de tête, à un dialogue présupposé ou à d’imprononçables phrases qui stoppent au beau milieu. Du bon usage discursif des notables qui s’entendent à demi-mots, ou d’un codage mafieux où l’œil suffit à ouvrir le feu.

Les héros de l’antique sont au nombre de cinq. Antigone, euh pardon, Laura, fille de boxeur. Son père, au bord du vide, Max Le Corre, l’ex-manageur, Bellec, devenu patron de roulettes et de chambres avec mains forcées de braguettes et fellations, et le maire, Le Bars, bientôt ministre de la mer, satisfait en quinze minutes chrono, pas que ça à faire et chauffeur en bas (ex-champion de boxe, si vous suivez mon regard !)

Voilà les protagonistes et donc ce neume qui pourrait traverser la nef et qui serait la note au bord de la perfection, autre qualité du vide.

Comme un film plastique qui se décollerait petit à petit de son support, et puis un jour, comme de l’hélium ou quelque chose comme ça le tendait vers le ciel. Deux métaphores pour le prix d’une ! Un cran puis deux pour dire, au cœur du cœur du drame ce qui se passe dans la tête d’un boxeur sonné, laminé, humilié, battu qui relève la tête et va se payer rien de moins que le profiteur de sa fille, un quasi ministre. Le Bars ici, petit Strauss-Kahn breton ou Tron de misère patriarcale la plus vétuste (et résistante)…

Pas de sang plus que ça dans ce roman dont le titre est La fille qu’on appelle. Ni de crime tellement. Tanguy Viel invente un genre, le roman apnéique, on pense à Laurent Mauvignier ou à Yves Ravey, des apnéiciens nés ! On est dans Tanguy Viel. Déposition chez des flics empêtrés et un procureur emmerdé. Tout le monde se tient entre les remparts de la Ville close où tout est censé rester à l’abri, dans l’enclosure. Rien ne doit transpirer entre l’hôtel de ville et le Casino, les deux forteresses sont normalement imperméables entre les bandits manchots et les manchots qui bandent. Entre les deux, le grain de sable s’appelle Laura. Mais en-est-elle un, Laura qui pourrait faire tomber le château ?

D’un bout à l’autre du livre de Tanguy Viel règne une tension inexorable, un poing qui se tend, une droite qu’on évite ou qu’on n’évite pas et surtout, un roman qui infiltre le filigrane du cerveau (lent), radiographie la pensée y compris la pensée sidérée, bref, après Me-Too, Laura est l’héroïne romanesque sous emprise face à l’entrepreneur d’emprise qu’incarne le burnesque burlesque du politique.

Un roman moderne, d’une actualité hurlante entre le Sillon bien connu, les mouettes qui maculent les bagnoles immaculées avec chauffeur et, au fond, sur la banquette arrière l’enculeur en chef.

Faites vos jeux ! Jouissez et humiliez. Tanguy Viel romance ce que la sociopolitique met tant de lignes et d’enquêtes et de sondage à décortiquer.
En 175 pages c’est tourné, chantourné par un auteur au faîte de la perfection littéraire. Attention, bijou de rentrée ! Attention ring et angoisse.

Comme si le cerf-volant qui lui servait d’esprit s’était emmêlé dans les branches d’un arbre tout là-haut dans les cieux et qu’une déesse infernale ricanait en en tirant les fils.

Un roman maloin où s’invite le malin ! Attention Laura !

En fait Laura pas….

Gilles CERVERA

Tanguy Viel, La Fille qu’on appelle, Ed de Minuit, 16€

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