Radio Rennes est la plus ancienne radio locale de Bretagne. Crée en 1981 par Gaby Aubert, elle est la seule à avoir survécu aux faillites, rachats et diverses fusions, la seule qui ait conservé une totale indépendance d’obédience et de ton. Nous avons rencontré Ronan Manuel, célèbre animateur s’il en est, qui a depuis peu rejoint la belle équipe de radio Rennes.

Jérôme Enez-Vriad : Nous vous avions laissé chez France Bleue Armorique pour vous retrouver sur les ondes de Radio Rennes…
Ronan Manuel : Il est un âge où les contraintes sont de plus en plus pesantes. L’envie de me libérer d’un poids éditorial fut une de mes principales motivations à choisir la plus belle radio associative de Bretagne. Travailler sur Radio Rennes c’est un peu le retour de ma jeunesse aux radios libres des années 80 : indépendant de tout pouvoir politique, ce qui pour moi est essentiel.

Vous arrivez donc sur Radio Rennes 100.8FM avec trois nouvelles émissions…
RM : Absolument. La première, Dessine-moi un Breton, croque en deux minutes quotidiennes la biographie subjective d’un Breton d’hier ou d’aujourd’hui ; le panel est vaste puisqu’il va du roi Arthur à Nolwenn Leroy, en passant par l’inquiétant Éon de l’Etoile.

Éon de l’Etoile ?
RM : Un malandrin originaire de Loudéac et responsable d’une quantité phénoménale de pillages en Bretagne. Nous sommes au XIIème siècle, époque de la Réforme grégorienne, le parcours d’Éon de l’Etoile est passionnant.

Vous animez aussi : Si on parlait de lire
RM : Programme hebdomadaire dans lequel je fais un choix de livres, avec naturellement une curiosité aguerrie, mais pas exclusive, pour les auteurs et éditeurs bretons.

Et chaque samedi à 23h10 : Bon vieux temps…
RM : Dans Bon vieux temps j’initie une promenade entre livres et musiques, presqu’une errance mélancolique, parfois nostalgique, avec une attirance pour les littératures et les aventures singulières. Cela va de Henry-David Thoreau à John Muir, et de Youenn Gwernig à Tony Hillerman. Quant à la couleur musicale, on part des Monts d’Arrée pour rôder dans les bayous et le long des pentes Appalaches, autant dire une musique rurale qui ne ronronne pas l’inutile.

Pouvez-vous nous présenter Youenn Gwernig que je ne connais pas ?
RM : Youenn Gwernig est un poète franco-américain d’origine finistérienne. Il fut initié à la sculpture par son père, tout en étant aussi musicien et chanteur. Un très bel artiste qui nous a hélas ! quitté en 2006. Mais… (sourire) Pour en savoir davantage, il vous faudra écouter Bon vieux temps sur Radio Rennes, le samedi à 23h10, ou bien la rediffusion du dimanche à 11h10. (Rire)

Êtes-vous l’auteur des textes de Dessine-moi un Breton ?
RM : Je suis l’auteur de tous mes textes. J’aime le conte et la « littérature orale » si particulière au pays breton.

L’écriture radiophonique est-elle particulière ?
RM : Particulière ? Peut-être. Passionnante ? Indéniablement. La langue doit swinguer avec élégance jusqu’à l’oreille des auditeurs. Dans Dessine-moi un Breton, je m’amuse à brosser ces portraits locaux où, bien entendu, tout n’est que vérité. Peu de gens savent, par exemple, que les inventeurs de l’imprimerie, de l’avion, de la cuiller à huître et du « bouton à quatre trous » sont Bretons ; ils s’appellent respectivement Jan Brito (rival de Gutenberg), Jean-Marie Le Bris, Mélanie Rouat et Alexandre Massé.

Vos choix sont-ils personnels ?
RM : Je suis totalement libre du choix des thématiques et de leur traitement, si ce n’est que je trouve inutile de parler d’un livre pour le démolir ; ou alors cela devient une croisade, un débat, éventuellement une forme de militantisme, mais dans ce cas c’est une autre (é)mission. Je choisis les livres que j’aime et dont j’ai envie de partager la connaissance. Ce fut récemment le cas avec Pastorale d’Aki Ollokainen, publié chez Héloïse d’Ormesson, ou encore de Du côté de chez Céline, formidable essai biographique de Jean-Philippe de Garate, paru chez PortaParole.

Quel est votre livre de chevet ?
RM : L’intégral d’Yvon Le Men. Poète absolu, loin, si loin des rimailleurs verbeux. Yvon Le Men bouleverse l’intime en usant de mots simples. Cela dit, pour répondre à votre question et ne citer qu’un livre, je choisirais son roman : Elle était une fois.

On vous a parfois reproché de prendre position sur votre compte Facebook … Où s’arrête votre liberté ?
RM : Mon compte Facebook est personnel et sans lien avec l’antenne. J’assume un ton qui n’est, certes, pas toujours politiquement correct. Ma liberté relève précisément de « ce » politiquement incorrect. En outre, il y a dans les médias une politesse qui retourne de la bassesse, et une vulgarité qui se masque de modernité. Je n’apprécie ni l’une ni l’autre. Bien au contraire. Quand on admire les mots d’Antoine Blondin, de Marcel Aymé et de Michel Audiard, mieux vaut un comptoir arrosé de hussards qu’une rédaction ankylosée de prétentiards ! Elle est là ma liberté. Aussi.

A propos de mots, vous dites de Céline qu’il fait « gloser les intellos qui ne l’ont pas lu ». Que pensez-vous de « l’affaire » Gabriel Matzneff ?
RM : Gabriel Matzneff n’est pas mon auteur favori. C’est toutefois sans aucun doute un véritable écrivain. Va-t-on pilonner les merveilleux romans noirs de José Giovanni au prétexte qu’il fut condamné pour assassinat et collaboration ? Et que fait-on de Sade ? De Genêt ? François Villon ? Tiens ! Et Frédéric Mitterrand ? Le traitement de cette affaire Matzneff est absurde ; hélas ! tellement à l’image du monde qui vient. D’ailleurs, entre nous, je continue de regarder les films de Polanski et de Woody Allen.

Quelle est selon vous l’image du « monde qui vient » ?
RM : Il n’y a plus d’idéologie. Celles de « gauches » contraignent aux guillemets tellement elles sont grotesques, d’un pseudo-humanisme inspiré par les aventures de Oui-Oui, à tel point que toute la beauté des valeurs sociales que je rejoignais volontiers n’a plus d’existence. La droite radicale ne vaut pas mieux. Quant à l’entre-deux, nous y sommes et les résultats sont ceux que nous subissons. A ce stade le constat suffirait presque. S’y ajoute cependant les nouvelles technologies, merveilleuses d’accès gratuit à un savoir universel, elles ne servent toutefois qu’à l’abêtissement des nouvelles générations. Je ne vois donc rien venir de constructif ni d’instructif, rejoignant par là-même très volontiers Cioran : « Je crois en l’avenir puisque je crois au cyanure. » Ce « monde qui vient » sera manifestement entre selfies et pseudo libertés, entre autocensures et ignorance totale du passé.

Cioran sera donc votre manière d’illustrer un retour à la censure ?
RM : (Rires) Il y a pire que la censure : l’autocensure des veules. La chasse aux sorcières par la bien-pensance n’a désormais plus de limite, même si les plus virulents accusateurs ont souvent de vilains cadavres dans leur placard. Croyez-moi. J’en connais.

Quelle spécificité nourrit votre impertinence ?
RM : Je suis un vagabond idéologique nourrit d’un pessimisme joyeux. Mais cela n’a que peu d’importance. Seuls en ont les artistes, auteurs et écrivains que j’ai le bonheur de faire découvrir aux auditeurs. Mon travail est de donner envie de lire. Le reste est sans intérêt et ne serait que vanité. – Notez que je dis « auteurs » ou « écrivains », car n’étant pas adepte de l’écriture inclusive, je me conforme à la seule autorité de l’Académie, y incluant aussi les femmes par l’emploi du masculin. (Rires) Vous savez, on pourra critiquer Céline, il est essentiel de le faire, à condition de ne pas oublier de dire qu’entre deux pamphlets mal inspirés il soignait gratuitement son voisin de palier. Un juif.

Vous n’avez pas répondu à ma question sur l’impertinence ?
RM : Sur l’impertinence, je conseillerais la lecture du Crépuscule des idéologies, livre paru en 1978 ; son auteur : Pierre Lance, signe un texte d’une parfaite modernité malgré la distance de l’époque. Et peu importe si Pierre Lance était très à droite, eût-il été autant à gauche qu’il faudrait le lire quand même. Elle est là l’impertinence.

Ronan Manuel c’est une voix, un ton, un style…
RM : Je dois à mes chers parents cette voix dite « radiophonique » : une tessiture basse et un timbre légèrement rugueux qui, l’un et l’autre, nourrissent un instrument de sensualité. J’en ai joué. Je continue. C’est mon métier. Comme de sourire lorsqu’on est hôtesse de l’air.

Quel est l’avenir de la radio parmi le flot numérique actuel ?
RM : Bien malin qui saura le dire. La radio en ligne, les podcasts, ne sont que de la radio ordinaire en diffusion choisie. Mais ce n’est certainement pas en faisant des selfies pour Instagram que l’on construira la radio de demain.

Y-a-t-il encore des stars de la radio ?
RM : Certains le pensent en observant leur miroir, y compris dans la génération pour qui Hanouna est plus essentiel que Claude Villers ; ce sont d’ailleurs souvent ceux-là qui envisagent le micro comme un sceptre.

Si vous aviez le dernier mot, Ronan Manuel ?
RM : Aucun regret. Jamais.

Entretien effectué le 31 janvier 2020 entre Rennes et Paris.
© Janvier 2020 – Jérôme Enez-Vriad & Bretagne Actuelle

Ronan Manuel sur Radio Rennes – 100.8FM
Bon vieux temps : samedi à 23h10 – dimanche à 11h 10
Si on parlait de lire : vendredi à 10h 10 et 23h 10 – samedi à 18h10
Dessine-moi un Breton : tous les jours à 9h15 et 18h15
Émissions accessibles en Podcast et liens soundcloud sur www.radiorennes.fr

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