Tous les Bretons connaissent son nom… Toutes les villes bretonnes ont une rue à sa mémoire… Mais peu savent qui était vraiment Jean-Marie de La Mennais, l’une des figures de l’enseignement gratuit, non seulement en Bretagne, mais aussi en France et bien au-delà.

Jean-Marie de La Mennais voit le jour à Saint-Malo le 8 septembre 1780. Son père, Louis-Robert La Mennais, est un armateur malouin. Peu avant le déchainement des horreurs révolutionnaires, Louis XVI l’anoblit pour sa générosité attestant d’un patriotisme digne d’éloges. En effet. pendant les terribles disettes de 1782 et 1786, Louis-Robert consacra plusieurs millions de sa fortune personnelle à l’achat de grain qu’il revendit au-dessous du cours sur les marchés bretons, préservant ainsi de la famine des milliers de personnes. Il est, au reste, le père de deux prêtres devenus célèbres malgré leurs chemins opposés : Jean-Marie, dont nous allons brièvement retracer l’histoire, et Félicité, qui, par sa chute lamentable, affligea l’Église autant que son frère la gratifia.

Une enfance marquée par la disparition de sa mère

Trop absorbé par son commerce, monsieur de la Mennais père confie l’éducation de ses enfants à la surveillance maternelle ; une femme hélas ! prématurément enlevée à l’affection des siens. Jean-Marie n’a pas sept ans lorsque sa mère disparait, il se réfugie dans la foi catholique et, par là-même, sanctifie l’image de la défunte. Quelques années passent jusqu’à sa première communion donnée par l’évêque de Saint-Malo, Monseigneur courtois de Pressigny, bientôt contraint à un exil postrévolutionnaire. Nous sommes le 14 octobre 1790, le saint homme se voit signifier la Constitution civile du clergé – à laquelle s’ajoute la suppression de son évêché décrété par l’Assemblée nationale – ; refusant de prêter serment à un ordre civil,  il choisit le bannissement et compte sur la famille La Mennais afin de l’aider à fuir.

Premières années de sacerdoce

Tous ces évènement impromptus vont marquer l’enfance de Jean-Marie. Il se met avec ardeur aux études, ses progrès sont rapides et sa piété grandissante ; nous sommes après la Révolution,  sanglante, meurtrière… Paris se réjouit, Paris danse, et les provinces imitent la capitale. Pour autant, Jean-Marie a promis d’être vertueux et travailleur, il s’applique à tenir ses engagements jusqu’à son ordination, le 25 février 1804 à Rennes, il a 24 ans et est nommée vicaire de la cathédrale de Saint-Malo. L’abbé Jean-Marie devient par la suite chanoine en juillet 1810, puis vicaire capitulaire de Saint-Brieuc de 1815 à 1820. Il participe activement à la vie chrétienne de son diocèse, soutient les monastères, réforme le séminaire, anime des missions populaires, tout en continuant d’enseigner la théologie aux séminaristes malouins.

Jean-Marie n’est pas seulement un prédicateur éloquent et fort habile, c’est aussi un vaillant lutteur pour la sauvegarde de l’enfance dans un respect des droits de l’Église et du clergé. Son zèle ne recule devant aucun sacrifice afin de préserver les plus influençables – qui sont souvent les plus pauvres – des mauvais entraînements du jeune âge. A cet égard, il fonde en 1817 la congrégation de Saint-Brieuc et de Tréguier auxquels n’ont, dans un premier temps, accès que les descendants de bonnes familles. outre ces privilégiés, toute une population de va-nu-pieds croupit dans l’ignorance. Le cœur de Jean-Marie s’en émeut, et il se résout à établir un institut réservé aux plus miséreux.

La fondation d’une grande œuvre

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Persuadé que l’éducation joue un rôle essentiel dans la lutte contre la délinquance, Jean-Marie souhaite ouvrir davantage d’écoles. La providence lui aménage une rencontre avec le curé d’Auray (56). Ce jeune prêtre avait fait dès 1816 ce que Jean-Marie entreprit à Saint-Brieuc en 1817, poursuivant l’un et l’autre, à leur insu, le même but presque de manière identique. En 1819, lorsque les deux fondateurs se rencontrent, ils réunissent leurs efforts en une congrégation commune à laquelle Jean-Marie donne son nom : les « Frères de La Mennais » – également « Frères de Ploërmel » puisque la maison-mère y sera installée dans l’ancien couvent des Ursulines.

La congrégation s’accroît rapidement nonobstant de médiocres ressources, car, la majeure partie des paroisses sollicitant les frères sont trop pauvres pour les rémunérer, d’autant qu’ils œuvrent avant tout au bénéfice de l’enfance la moins instruite, c’est à dire l’enfance rurale la plus défavorisée. Toutefois, afin d’élargir l’action sociale, des écoles voient le jour en ville. Ainsi, naitront les maisons de Dinan, Guingamp, Lamballe, Tréguier… D’ici quelques années, l’œuvre s’épanouira dans les cinq départements bretons… Entre temps, Jean-Marie fait la connaissance d’un groupe de femmes, « Les Demoiselles », qui s’appliquent à l’accueil des orphelines. Toutes les bonnes volontés sont bienvenues, pourvu qu’elles respectent les impératifs de l’Église.

La Constitution d’une bibliothèque à moindre cout

La renommée du père de La Mennais franchit désormais les frontières bretonnes. Tous les journaux de Paris titrent à sa louange – même si parfois la presse révolutionnaire lui oppose l’insulte ; mais les diatribes venimeuses des Jacobins, leurs récriminations, leurs outrages, deviennent très vite son plus beau titre de gloire. Jean-Marie prends l’aide qu’on lui accorde. Il n’attend rien de personne, et constitue à Ploërmel une bibliothèque qui fait l’admiration des prêtres, tant par son nombre des volumes – plus de douze milles – que par sa quantité d’ouvrages précieux. « Pour avoir de si beaux livres, lui dit un curé du voisinage, vous avez dû dépenser bien de l’argent ? – Non, mon ami, cela m’a seulement coûté quelques défaillance d’estomac. – Des défaillances d’estomac ? fit son interlocuteur. – Oui. Quand je suis à Paris, au lieu de dîner à l’hôtel, j’achète pour deux sous de pain, autant de fromage et, sans inviter personne, je fais dans ma chambre un repas modeste qui ne m’a jamais donné d’indigestion. Par ce moyen, j’économise puis visite les bouquinistes et, pour trois sous, j’ai un ou plusieurs chefs-d’œuvre. »

Un engagement courageux contre le jacobinisme révolutionnaire

Soucieux de permettre aux enfants d’acquérir une instruction à la fois intellectuelle, sociale, morale, religieuse et utile, Jean-Marie de La Mennais croit aux formations en lien avec les métiers pourvoyeurs d’emplois. Ainsi, écrit-il au ministre de l’Instruction publique, François Guizot, l’interpellant sur l’uniformité des règles éducatives du territoire national – loi de 1833 – qu’il juge être un inconvénient ; l’instruction doit, selon-lui, être adaptée au contexte local, et les prérequis ne peuvent être les mêmes dans les écoles rurales ou citadines en ce qui regarde l’élaboration des programmes et la connaissance exigées aux enseignants pour effectuer leur travail.

Une confrérie essaimée sur cinq continents

En 1836, le père de la Mennais reçoit une lettre officielle de l’amiral Duperré, ministre de la Marine. Ce dernier lui demande d’organiser l’enseignement primaire dans les Antilles françaises. Jean-Marie doute. A cette époque, le nombre d’écoles augmente chaque année et, ne serait-ce qu’en Bretagne, il est difficile de trouver des enseignants, d’où une hésitation malgré son enthousiasme. Il accepte toutefois la proposition pour ce qu’elle représente d’œuvre sociale et chrétienne. Cinquante-deux frères sont volontaires, il en choisit cinq, dont quatre seront gravement atteints par la fièvre jaune. Le gouverneur des Antilles, reconnaissant de ses services, lui obtient la Croix de la Légion d’honneur.

Puis vient le Sénégal. Deux frères quittent Ploërmel à destination de Saint-Louis fin 1841. Leurs débuts sont délicats en ce pays où la majorité des habitants pratiquent ce qu’on appelle alors le « mahométisme ». Beaucoup de parents combattent à la maison l’enseignement chrétien donné en classe. Le temps passe. Jean-Marie ne baisse pas les bras. Vers le milieu de l’année 1867, la fièvre jaune sévit en Afrique de l’Ouest. Dès lors, l’œuvre des Frères de Ploërmel prend valeur à la fois d’enseignement et de dispensaire. Entre temps, la confrérie s’est installée au froid de Saint-Pierre-et-Miquelon. Suivent Cayenne et Tahiti quelques années plus tard. Ce sera ensuite l’Angleterre, l’Italie, le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Togo… désormais la confrérie du père de La Mennais s’essaime sur les cinq continents.

Saint-Vincent de Paul Breton et corsaire de Dieu

« Tout sort de l’éducation », aimait à souligner le père Jean-Marie de La Mennais. L’urgence et la nécessité de créer des écoles en Bretagne, puis de pérenniser son engagement par une congrégation qui perdurerait, accompagnent encore la mémoire de son nom. Ce sont aujourd’hui environ près de soixante-dix-huit sœurs et neuf cents frères qui s’attachent à perpétuer l’institution. Son enseignement touche trente-trois mille élèves en France dans soixante-dix établissements scolaires ; s’y ajoute les enfants des pays précédemment cités, mais également ceux de Tanzanie, d’Ouganda et d’Espagne à travers l’accueil de jeunes handicapés, il y a aussi des formations destinées aux sans-emplois en Indonésie, etc.

Jean-Marie fut toute sa vie sujet à des crises de paralysie. Le 30 novembre 1860, une attaque plus importante le terrassa. Aucun soin n’en put neutraliser les pernicieux effets. Le constat de son médecin mandé en hâte de Rennes, lui fit comprendre qu’il ne quitterait plus jamais le lit.  Trois semaines passèrent avant que des symptômes plus alarmants se ne manifestent. Le valeureux tint cependant quelques jours supplémentaires où il sombra dans un doux sommeil dont il ne devait plus se réveiller. Jean-Marie de La Mennais s’est éteint le 26 décembre 1860. Il avait quatre-vingt ans.

Jérôme ENEZ-VRIAD
© Mai 2021 – Bretagne Actuelle & J.E.-V.

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