Deux fois comtesse, deux fois duchesse, quatre fois reine dont deux fois de France, les couronnes d’Anne de Bretagne s’additionnent par paires. Aussi célèbre que Catherine de Médicis et Marie-Antoinette, Anne « la valeureuse » reste toutefois étonnamment absente des manuels scolaires. Qui était-elle vraiment ?
Comtesse de Montfort et d’Étampes, duchesse de Bretagne et de Milan, reine des Romains, reine de France sous la couronne de Charles VIII puis sous le règne de Louis XII, mais aussi reine de Naples et de Sicile citérieure, l’histoire de la duchesse Anne et de ses nombreux titres s’est transformée en mythe au fil des siècles. Un demi-millénaire après sa disparition, le nom d’Anne de Bretagne est aujourd’hui le plus attribué aux voiries bretonnes : rues, boulevards, avenues, parcs, places, lieudits…, rendent hommage à cette femme dont les féministes actuelles devraient s’inspirer davantage que des Femen.
Où il était prévu que la Bretagne recouvre son indépendance
- Anne de Bretagne, duchesse éponyme et comtesse de Montfort, épouse Charles VIII, alors roi de France. La prenant pour épouse, Charles renonce au mariage avec Marguerite d’Autriche, petite-fille du duc de Bourgogne lui ayant promis l’Artois et la Franche-Comté pour dot. Le choix est stratégique. Mieux vaut Anne de Montfort au regard d’un siècle de conflits entre la monarchie française et le duché breton ; en outre, l’alliance des ennemis d’hier ouvre le royaume de France sur l’Atlantique. La principauté bretonne conserve cependant son titre ducal, bien que l’on refuse désormais à la nouvelle reine de le porter, décision de Charles VIII qui marginalisera la Bretagne tout au long de son règne.
- Anne devenue veuve prend le titre de reine douairière et récupère celui de duchesse souveraine. Elle se met à l’entière disposition de l’héritage des Montfort. Revient à Nantes. Fait battre monnaie d’or. Impose à son château plusieurs modifications. Elle exhorte l’agrandissement des douves occidentales, finit de bâtir la tour de la Couronne d’Or, rapatrie du mobilier et constitue une bibliothèque recevant plus de 1.500 ouvrages, chiffre considérable pour l’époque. Lorsqu’elle est à la cour de Bretagne, Anne se rapproche des artistes et poètes qui font la littérature. L’endroit doit impérativement continuer d’être un haut lieu de pouvoir ducal.
Après avoir rétabli la chancellerie bretonne supprimée par feu son époux, Anne doit toutefois honorer leur contrat de mariage. Les dispositions stipulent en effet qu’elle prendra le successeur de Charles VIII pour second mari. Nous sommes en 1499 lorsque Louis XII, nouveau roi de France et cousin de Charles, lui passe la bague au doigt dans la chapelle de son château nantais refait à neuf. Mais Anne a cette fois exiger certaines dispositions afin d’éviter que la Bretagne ne revînt à l’héritier du trône de France. L’accord stipule que l’indépendance du duché s’octroiera par défaut au deuxième enfant, fille ou garçon, puisque la loi salique excluant les femmes du droit à la succession titulaire ne s’applique pas aux Montfort. Autre close essentielle. Si le couple n’a pas de descendance (ou si cette dernière est décédée) la Bretagne reviendra non à la France, mais à la famille ducale.
Où la Bretagne a perdu son duché par non-respect d’un contrat de mariage royal
Plusieurs enfants naitront de cette ultime union, dont Claude, future reine de France par mariage avec François Ier en 1515. Anne ne connaitra pas les épousailles de sa fille. Atteinte d’une gravelle aigue qui la fait souffrir le martyr, usée par les maternités et les fausses couches, elle meurt dans son lit le 9 janvier 1514, quelques jours avant son 37ème anniversaire. C’est de chagrin que s’éteindra Louis XII un an plus tard. Affaibli par de nombreuses hémorragies intestinales, le roi n’a plus la force de lutter. La loi salique impose un héritier mâle. Aucun n’a survécu à la petite enfance. L’accès au trône revient dès lors à son cousin et gendre François Ier. La clause de retour du duché de Bretagne aux Montfort n’est pas respectée. Ainsi le pays breton perd-il définitivement son indépendance au bénéfice du royaume de France.
Anne de Bretagne a été l’une des femmes les plus admirées de son époque. L’une des rares à avoir traversé l’histoire avec l’indéfectible présence des belles destinées. Duchesse régnante et reine consort, elle fut souvent présentée comme fidèle à la Bretagne, attachement toutefois contesté par certains. Le portrait intime qu’en fait l’historienne Claire l’Hoër dans son nouveau livre est celui d’une femme qui aura marqué son temps au point de persister dans la mémoire collective avant ses époux, fussent-ils rois de France.
Jérôme ENEZ-VRIAD
Anne de Bretagne, duchesse et reine de France,
un livre de Claire l’Hoër
aux éditions Fayard
300 pages – 22 €
En librairie depuis 15 janvier 2020