Déclarons ici une guerre au bandeau ! Voilà que, et cela fait déjà un moment, que ça nous courait de déclarer le bandeau insane et nocif. Déjà un moment qu’il ceinture le bas du livre. Le Goncourt ou le Nobel empoignent sitôt décernés le roman, ou voilà que plus récemment la nrf ceint le premier roman de Colin Lemoine du merveilleux petit bolide à retrouver dans le texte. D’aucuns eussent préféré l’imaginer !

Le comble du comble avec le dernier opus d’Yves Ravey ! Ordre est donné de déchirer le bandeau avant d’ouvrir le livre, d’exploser son propos, de chiffonner le marque-page bleu, de ne rien en voir et de maudire les éditions de Minuit qui flinguent leur auteur, démontrant par là une ambivalence certaine à détruire en décrivant. C’est le risque.

Le dernier petit Ravey – je le dis comme d’une petite pilule indispensable qu’on attend ou de sa petite piqure annuelle, a pour titre Pas dupe ! Ça suffisait. Le bandeau dit trop, dit tout, comme ces critiques détestables qui donnent la fin du film ou du livre sa teneur, son contenu. Certes Ravey est un style. Un scalpel qui écrit et déplace le lecteur dans la caboche du narrateur. Et quel narrateur ! Et quelle narration !

Pas dupe est l’histoire d’une histoire qui, parce que c’est Ravey qui nous la raconte, se lit d’une traite. On ne peut pas se retenir, quelque chose de compulsif a lieu qui, plus que tout, y compris sans le bandeau, sait et sent que Ravey nous dupe. Le lecteur l’est toujours, et alors ? Si on lit, c’est en partie, et notamment des romans, pour ce plaisir de l’être, dupé ! Être emporté, disrupté, foutu en l’air, bref se séparer durant la lecture de notre logique, de nos conventions et de nos menus menus du jour, nous lisons pour ça, pour ne pas manger à la carte mais apprécier la recette bizarroïde du seul cuistot qui vaille : l’écrivain ! À table !

Pas dupe est le titre parce qu’Yves Ravey nous dédupe. Il nous désentourloupe au fur et à mesure qu’il entourloupe. Il désembrouille au fur et à mesure qu’il nous embrouille. Voilà l’histoire : celle d’un homme et d’une femme, du beau-père du mari chez qui tout ce petit monde-là vit, un plus ou moins gros commerçant, et de l’amant. Un policier s’en mêle, têtu, teigneux, il s’appelle Costa. Un beau bolide joue son rôle dans le roman, qui aurait pu suffire sur le bandeau, ah non, là, je me contredis !!

Ça ne vous avance de toute façon  à rien de savoir tout ça car reste à lire ce Ravey en fermant les yeux quand on l’achète.

Le lire pour relire tous les Ravey depuis le si frappant et douloureux Le drap. L’auteur, en pas moins de vingt romans, a souvent changé de style et de stylo, maintenant non, son style est fixé. Qui fait mouche à tous coups.

Attendons le prochain livre dont on préfèrerait que Minuit, bon, on ne va pas le répéter !

Gilles CERVERA
Yves Ravey, Pas dupe, éd de Minuit, 14€ 50

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Edito

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