Comme il est bon pour nous les spectateurs de revenir dans une salle au noir ! Comme cela doit être bon pour les artistes de nous revoir là et de nous tirer à nouveau les ficelles du nez, de glisser les praticables et de pratiquer l’imaginaire ! Ah les sculpteurs de rêves ! Les démouleurs de monstres ! Ah ! Se laisser aller ! Être transporté ! Déplacé ! Enthousiasmé et agacé ! Ne rien comprendre et pourtant tout piger ! Accrocher son sourire au masque au long de deux heures spectaculaires !

Vive le spectacle !

Vive la Compagnie Ocus qui nous accueille avec des poules (des vraies) qui montent la garde sous un ciel de pluie (de la vraie qui mouille) ! Vive le chapiteau en plein vent et les bourrasques qui ajouteront avec les instruments live au barouf ! Le vent fait partie du dédale et le dédale est un palace.

Dédale-Palace, la dernière trouvaille de la Compagnie du Val d’Ille !

Ocus y travaille depuis trop long de confinement ! Ils n’ont ni confi ni menti. Ocus attendait ce retour des spectateurs en chair et en osmose. Deux ans à bosser, répéter, imaginer, faufiler et filer ! Démo !

Ocus a toujours mélangé les genres, la musique, les corps, les matières, le mime et les mômes. Les douze ou quinze jouent du réel, le leur et celui de la société, et cisaillent l’imaginaire. Là c’est le bouquet, ils jouent avec la matière virtuelle. Carrément. Leur boule de cristal est informatique et les badges à notre cou ouvrent à une lecture synoptique de nos mondes intérieurs. Attention spectateur, tu vas être scanné ! Au nom du droit au bonheur !

Ce chapiteau est numérique et le spectateur numérisé.

C’est Ocus dans toutes ses folies. Le palace est forain et surtout poétique, bordélique et très ordonné. Les décors entrent dans la danse et la chorégraphie est un palais des glaces ! Nous entrons au Musée Grévin et c’est notre cire qui se déforme. Corps allongés ou corps grossis et la tête dans les boîtes, nous voilà à tirer dans le tas puisque les acteurs sont des baudruches, ou presque. L’illusion des illusionnistes ouvre à toutes les libertés, la leur est sans marge ! Le théâtre d’Ocus est fantasmagorique ! Ça pousse à passer la tête dans le trou et photo ! En confiance car aujourd’hui est demain ! Tout pour se réjouir dans ce Luna-Park inventif qui reprend à la Fête à Neuneu les tours de passe-passe avec marteau et clou, les voyantes et les oracles sauf que l’avenir fout les jetons à notre déjà pas si jeune Compagnie !

Ocus a quinze ans. C’est l’âge d’irraison dans l’âge de raison. Ils sont de la génération quatre-vingt, c’est Claire Laurent qui le dit dans un très bel épilogue et toute la Compagnie est native d’internet. Ils interrogent un monde en cent-quatre-vingt caractères et un univers où tout pousse à faire écran entre les gens. Ici, les premiers plans se mélangent, mais on voit ceux qui poussent et ceux qui tirent. La mémoire vive est belle quand elle a des jambes et des têtes. Le disque dur est doux quand il chante à tue-tête ou fredonne en chœur !

Ocus a quinze ans. L’âge de la technicité précise, des tableaux au cordeau, du néon graphique et des ampoules qui pètent ! Finie les approximations, tout paraît sous contrôle, la voix, les souffles, les silhouettes et les ombres ! Le geste est sûr, les manipulations au doigt et à la souris, le clic et les claques restent visibles et c’est sur commande que l’acteur et son artefact se confondent. Entre Commedia dell’arte et Macha Makeïeff, la ribambelle d’Ocus continue de nous introspecter en s’introspectant. Introspectaculaire, quoi !

Le chapiteau d’Ocus devient donc un monstre d’Internet où les acteurs ne sont plus un mais plusieurs. Sout-ce eux qui dansent ou leurs avatars qui sont des stars ? Les miroirs se déplacent, les vidéos interfèrent, où est le vrai ? Qui voit le faux ? Le minotaure minaude et la pieuvre en flashant nous fourre les phosphènes dans l’œil pour longtemps !

Ocus, une fois de plus, ajoute de la poésie au trash et vice-versa. Spectacle pour les enfants de sept mois à soixante-dix-sept rams ! Abracadabra castafioresque et déambulation interactive garantie ! On ne comprend par moment rien, et c’est ça qui est bien. Du Damasio versus gomasio !

Comme dans les livres d’images, les amoureux se retrouvent et le conte finit bien. Chloé n’est pas de Vian et Léo pas du flanc. Narcisse est un double et son avatar, romantique ou pas, tourne en rond et s’emmerde. Narcisse se retrouve seul et Chloé perdue, ou l’inverse ! S’il s’éprend trop de ses plumes, elle ne le retrouvera pas. Ouf, il ne s’enferre pas, le cabot au beau jabot ! Moralité Un selon Ocus : Internet est pire qu’un piège à ego. Deux : le virtuel sépare les corps et délite les ciboulots. Sous-entendu que s’imposent les retrouvailles physiques, présentielles, concrètes, charnelles, à Caulnes, à Sizun, Dinan, demandez le programme !

Amusez vous de cette troupe toujours autant au taquet et qui se paye le luxe de commenter ce qui se passe dans notre tête ou carrément sous nos fessiers quand ils chauffent et sur les gradins quand les gradinés commencent à réclamer des coussins !

Spectacle bargeot, baroque, dydascalique et fantasque, peut-être à resserrer ? mais quel plaisir jusqu’à la fin, sous les plumes du paon virtuel et le tintouin, ce sont les larmes de joie qu’on ravale !

Pour une première, c’était gagné. Le public a du mal à quitter les gradins, même si ces-derniers grattent ou couinent ! Ou c’est le vent dehors qui fait peur ou c’est l’absence de buvette ! Allez savoir… Les gens restent et leurs yeux pétillent ! Le chapiteau d’Ocus est le plus poétique des abris ! La résidence de Saint-Germain un Fantasia-land ! Po-éthique, électroacoustique, déontologique, coronacadavérique et postapocalyptique !

Gilles CERVERA

Sur scène

  • 3 JUIN (SCOLAIRE) ET 4 JUIN À 19H – LE DÉDALE PALACE – CAULNES (22)
  • 19 et 20 JUIN – LE DÉDALE PALACE – SIZUN (29)
  • 23 et 24 SEPTEMBRE – LE DÉDALE PALACE – COSSÉ-LE-VIVIEN
  • 2 et 3 OCTOBRE – LE DÉDALE PALACE – ESAPCE GALATÉE, GUICHEN (35)
  • 2 et 3 JUILLET – LE DÉDALE PALACE – LES TOMBÉES DE LA NUIT, RENNES (35)

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