Michel Dugué : « Mais il y a la mer » HermineHermineHermine

Un territoire d’enfance (le pays de Vannes) et une terre d’adoption (la côte rocheuse du côté de Plougrescant), une ville apprivoisée et parcourue en tous sens (Rennes), un bistrot où les vieux regardent le temps passer, une cour de récréation où des garçons courent après un ballon. Michel Dugué nous invite, en quatre textes, à entrer dans son univers intime. Celui des souvenirs, des sensations vraies. Mais toujours au plus près de la terre et des éléments, sans jamais oublier la pâte humaine, de préférence celle des rencontres fortuites sur ces chemins que l’auteur parcourt inlassablement.

« J’envie, j’admire l’écrivain qui sait dire les jours quelconques, agrandis secrètement par un espace tout de même inconnu qui est pareil à l’intérieur des instruments de musique ». Ces mots de Philippe Jaccottet (A travers un verger, Fata Morgana), comment ne pas les appliquer à la démarche d’écriture de Michel Dugué ? Ses proses – que l’on qualifiera volontiers de poétiques – n’ont en effet rien de prosaïque. Nous parlant de  Vannes ou d’une presqu’île costarmoricaine , l’auteur nous mène très loin. Au contact de la roche, de la pluie et du vent, il creuse le sens de notre présence sur terre. Rien de moins que cela.

« La poésie consiste à convertir  la mémoire en songes et à apporter d’heureuses clartés sur les chemins de l’obscur », disait Giuseppe Ungaretti. Oui, Michel Dugué déchiffre avec ardeur le monde dans lequel il vit. « Formes et mouvements participent d’une présence, la plus simple, la plus dénuée d’artifice. On a la certitude d’être, d’être avec. Ni écrasement, ni perte de soi mais des clartés mitoyennes », écrit-il à la suite d’une déambulation entre la lande et les vagues. « De ces moments-là, je tire un silence intérieur. Et, imperceptiblement, j’avance dans le silence. Ce n’est pas que la mer se soit tue, que le vent soit tombé, que les oiseaux se soient envolés. Mais la diversité des bruits s’est évanouie ». Plus loin, il écrit : « Le monde ruisselle. Pas un bruit, si ce n’est celui d’un torrent ou du cœur ».

Parcourant cette presqu’ile qui devient pour lui « un monde plus tous les autres », il dit s’être « égaré dans le chantier des choses pas encore nommées ». Mais cette approche méditative, cette pensée en mouvement n’empêche pas de nommer les lieux, (Roc’h Kerlében, Beg Million, Roc’h Zemec…), de donner chair à des figures humaines, celles de vieux au comptoir ou dans leur jardin (ce qui les rend alors « massifs et clairs »), de parler d’une « soutane en bataille » à l’Institution saint-Charles, ou d’évoquer « le gris de Bretagne entre le bleu ardoise et le granit rosé » qu’il découvre au cœur même de la ville de Rennes. « Elle vient de loin la lumière », nous dit Michel Dugué,  « Faudra-t-il nous satisfaire de sa fatigue en nous ? »

Pierre TANGUY
Mais il y a la mer de Michel Dugué, le Réalgar, collection l’Orpiment dirigée par Lionel Bourg, 80 pages, 12 euros.

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