Manuel Valls a annoncé qu’il abandonnait la vie politique française pour s’engager dans la bataille des municipales barcelonaises. Il sera soutenu par le parti libéral anti-indépendantiste de centre-droit : Ciudadanos (équivalent espagnol d’EnMarche), quatrième force politique du pays et vainqueur des législatives catalanes en décembre dernier. Une décision inédite. Mais aussi tout un symbole.

L’ancien maire d’Évry, dont le slogan pour conquérir en 2017 la députation de l’Essonne était « Toujours avec vous », quitte ses administrés (nonobstant sa promesse) pour briguer les voix de nouveaux électeurs. «  Une seule chose compte pour moi, la manière dont je serai perçu à Barcelone », confiait récemment Manuel Valls qui, né d’un père catalan, a toujours veillé au rappel de son ascendance et s’est beaucoup impliqué ces derniers mois dans le débat contre l’indépendance de la Catalogne face à Madrid. Ainsi, écrivait-il ceci : « Comment va-t-on créer un démos européen si les Catalans ne veulent plus « faire une nation » avec les Espagnols, s’ils veulent « faire une nation » à part ? Quelle citoyenneté supranationale va-t-on construire avec des briques nationales cassées en morceaux ? Quand l’Europe a besoin de force et d’unité, dans un monde instable et inquiétant. » Voilà qui est dit. Voilà aussi qui est faux. Car les indépendantistes catalans ont toujours soutenu leur volonté de faire l’Europe des Régions et, si toutefois ils obtenaient leur indépendance, d’adhérer à l’Europe en tant que République catalane.

Les indépendantistes catalans passeront les accords nécessaires à leur victoire contre Manuel Valls

Pour autant, le défi n’est pas simple, car rien n’est moins sûr que ces élections se jouent sur le seul débat de l’indépendance, comme Manuel Valls en fait le pari. Il ne suffit pas de se présenter en pro-européen altruiste, et promettre d’ouvrir Barcelone au continent tout en accusant les indépendantistes de repli sur eux-mêmes. Contrairement aux élections municipales françaises à deux tours, la mairie de Barcelone se gagne par le biais d’un scrutin proportionnel à un seul tour, rendant l’issue d’autant plus incertaine. Le futur maire sera celui qui parviendra à construire une coalition de majorité et, même si Manuel Valls arrivait en tête, ce qui est loin d’être gagné, il aura contre lui les indépendantistes catalans qui passeront les accords nécessaires à leur victoire.

Au-delà de la politique et des incohérences,  il y a aussi les symboles et la morale

Cela pourra surprendre, mais rien dans les textes français ou espagnols n’obligeait Manuel Valls à démissionner de l’Assemblée Nationale tout en briguant le poste de maire d’une ville étrangère. Sa suppléante aurait pu le remplacer durant sa campagne, et même pendant sa mandature barcelonaise. Don Manuel serait alors devenu le premier socialiste français à contourner la loi sur le cumul des mandats qu’il a lui-même initiée en tant que Premier ministre. Certes, cela n’aura pas lieu puisqu’il a démissionné de la députation ; pour autant, l’hypothèse était envisageable et le sera inévitablement à nouveau un jour si l’on tient compte des élus binationaux plus soucieux de leur ambition personnelle que des devoirs relatifs à leur mandature – ( Conf. le slogan de Manuel Valls : « Toujours avec vous »… désormais de loin !) Au reste, le parcours de notre Catalan binational interpelle sur le fait d’avoir été Premier ministre d’une des plus grandes puissances mondiales pendant 5 ans, et celui de devenir le premier magistrat d’une grande ville étrangère. Que se passera-t-il si un conflit d’intérêts s’installait entre Barcelone et la France ? Enfin. Depuis Lionel Jospin, un décret permet aux anciens Premiers ministres qui en font la demande d’obtenir des moyens humains et matériels pour assurer leur sécurité. Il n’y a pas de limite temporelle à cette mise à disposition. La loi ne prévoit pas non plus de limite territoriale. En basculant dans la vie politique espagnole, est-il admissible que Manuel Valls ait vocation à bénéficier d’une protection policière permanente, d’un chauffeur et d’une voiture au frais de l’État français ? Même s’il n’en fait pas usage.

Là où le Républicain Valls devient sujet du roi

Autre symbole. Celui d’un ex Premier ministre français (deuxième personnage de l’état par ordre de préséance), Républicain assumé qui, du fait de son anti-indépendantisme catalan, va célébrer une Barcelone indivisible de l’Espagne, une Barcelone monarchique, se mettant par là-même au service de la Couronne en tant que sujet du roi Felipe VI. N’est-ce pas un comble pour un Républicain de se retrouver dans une monarchie face à des Républicains (fussent-ils indépendantistes) lors de sa campagne ? Ces derniers l’attendent d’ailleurs de pied ferme alors qu’il ne cesse de multiplier les déclarations en faveur de l’unité espagnole. Manuel Valls sera aussi confronté au maire sortant, Ada Colau, ex-militante pour le droit au logement – ce qui est pour le moins croustillant face à un Premier ministre qui a sabordé l’encadrement des loyers dans les grandes villes française ; entendu qu’Ada Colau gouverne actuellement avec le soutien de Podemos (gauche radicale équivalente aux Insoumis) et, sans être en faveur de l’indépendance de la Catalogne, elle défend toutefois la tenue d’un référendum constitutionnel. L’affaire n’est pas simple.

Barcelone est-elle à ce point « malade » de devoir être « sauvée » par un ex Premier ministre français désavoué dans son propre pays après s’être rapproché d’Emmanuel Macron aux Législatives ? Quien sabe ?  Quoi qu’il en soit, maintenant qu’il a démissionné de son mandat français, Manuel Valls n’aura pas à traverser la rue pour trouver du travail. Il lui faut regarder plus loin… Et passer la frontière.

Jérôme ENEZ-VRIAD
Septembre 2018 © 2018 Bretagne Actuelle & Jérôme Enez-Vriad

1 commentaire

herve devallan 29 septembre 2018 at 9 h 40 min

Le Républicain Manuel Valls est allé plus loin que Cohn-Bendir et Eva -Joly, c’est sûr !

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