Les vieux Korrigans (« Pixies) » de Boston font un retour bien enragé, entre pop et rock, avec un 7ème album studio, Beneath the Eyrie (Infectious / BMG), où se croisent des influences western spaghetti, punky et même celtiques (du moins selon Black Francis !). Avec un titre en hommage à la… Bretagne sud et ses supposées sirènes. Rencontre à Paris avec le duo fondateur, le prolixe Black Francis et le mutique Joey Santiago.

Sur ce nouvel album, Beneath the Eyrie, figure cette chanson assez énervée baptisée d’après une ville bretonne, St. Nazaire… Pourquoi ? Et y avez-vous déjà mis les pieds ?
Black Francis : Nous y étions voilà deux ans à peu près (à l’occasion du festival Les Escales). Et cet endroit m’a marqué. La chanson se déroule dans un futur alternatif… (il s’interrompt) Et toi, tu y as déjà été ?

Oui. Ce n’est pas le coin de Bretagne d’où je suis originaire mais je connais.
Black Francis (tout à coup, inquiet) : Mais c’est bien toujours la Bretagne ?

Oui.
Black Francis : Et bien cet endroit, c’est un peu l’opposé de tout ce que l’on peut imaginer de la Bretagne. En arrivant, je croyais y trouver un petit bourg blotti au bord de la mer et je tombe sur cette ville industrielle avec ses bâtiments datant de l’occupation nazi, cette marina industrielle que j’adore d’ailleurs.

St. Nazaire n’est pas un morceau très joyeux…
Black Francis : Tout à fait. Mais j’ai vraiment eu un coup de cœur immédiat pour cette ville. Dès que j’y ai posé un orteil. Dans la chanson, le texte évoque ce type qui vit avec une femme, et il est en colère contre une autre femme… Comme la Bretagne est un pays celtique, j’y ai glissé des allusions à la légende des sirènes, ou plutôt à celle des selkies (en réalité, une légende écossaise autour des femmes-phoques). Et voilà… Faut l’écouter, quoi ! Faut la ressentir !

Là, nous sommes à l’hôtel des Grands Hommes, place du Panthéon à Paris, un lieu fréquenté par l’écrivain et poète André Breton, …
Black Francis (étonné) : Vraiment ? Je l’ignorais complétement.

C’est donc une coïncidence si l’on se retrouve dans cet endroit qui a accueilli le chef de file du surréalisme et que tes chansons en sont très souvent l’illustration ?
Black Francis : Complétement mais c’est génial. C’est vrai que 99% des morceaux que j’écris sont surréalistes. J’essaie d’être complétement libre dans ma tête, de n’avoir aucune barrière psychologique. Cela ne signifie pas que je parviens toujours à un résultat intéressant mais au moins il y a une démarche authentique et j’ai toujours l’espoir d’arriver à quelque chose quand je démarre ce processus. De mon point de vue, le mouvement surréaliste est celui qui a le plus influencé la culture moderne.

Les morceaux des Pixies me semblent toujours très graphiques, générant beaucoup d’images à l’auditeur attentif (ou pas). Quand tu penses au titre de l’album, Beneath the Eyrie, quelle est la première image qui te vient en tête ?
Black Francis : Le mot « The Eyrie », en anglais, renvoie à un endroit élevé, le plus souvent un nid où un oiseau niche. Nous en avions au-dessus du studio où nous avons enregistré qui accueillait un aigle. Je pense que lorsqu’on enregistre un disque, on n’est pas toujours au top émotionnellement. Il y a toujours quelque chose au-dessus de vous, quelque chose d’animal, de plus important, de plus primal… Les animaux, le ciel, la Lune, le soleil, les étoiles, les nuages. Toi, en tant que musicien, tu en dessous de tout ça, en dessous de ce qui t’a précédé, en dessous du cosmos. Le titre de ce disque nous est venu après que nous ayons fini de l’enregistrer. Cet album a été très instinctif. Il est vraiment sorti de nos tripes.

Avec Joey, vous vous connaissez depuis vos études. Vous souvenez-vous de votre toute première rencontre ?
Joey Santiago (sortant de son mutisme) : Vas-y, Charles (le vrai prénom de Black Francis) ! Raconte.
Black Francis (souriant) : Je ne m’en souviens pas vraiment. Et toi ?
Joey Santiago (soupirant, et prenant son temps) : … Je me souviens que Charles trimballait partout une guitare acoustique. Voilà.

Et c’est cette guitare qui a déclenché votre amitié ?
Joey Santiago : Oui, et le fait qu’il était plutôt sympa. Je me suis dit que je pourrais m’entendre avec ce mec.

Vous partagiez la même chambre d’étudiants ?
Black Francis : Nous avions une « suite. » Une sorte d’appartement avec quatre ou cinq pièces que nous partagions avec d’autres étudiants : Dave, Pharrel, Jeff, Joe Dogan, et ce mec complétement fou… Comment s’appelait-il déjà ?
Joey Santiago : Doug ?
Black Francis : Non. Ce n’est pas grave mais en gros, nous étions quatre ou cinq à cohabiter dans cette suite.

C’est dans cette suite que vous avez commencé à jouer ensemble ?
Black Francis : Oui. On discutait, on buvait, on écoutait de la musique, on jouait de la guitare. Nous n’avions pas grand-chose à faire en dehors des cours. C’est comme ça que tout a commencé.

Vous souvenez-vous qui a joué le premier un morceau à l’autre ?
Joey Santiago : Non. Je ne me souviens pas.

Quand vous écrivez ensemble, avez-vous des règles ?
Black Francis : Nous avons des traditions mais pas de règles.

Quelles traditions ?
Black Francis : Par exemple, quand nous enregistrons, tout le monde participe. Je ne m’étais pas rendu compte que c’était une tradition chez les Pixies avant que quelqu’un suggère d’enregistrer sans batterie. On s’est alors rendu compte que ça ne fonctionnait plus pour nous. Pourquoi ? Parce que David (Lovering, ndlr) n’était pas derrière ses fûts. Notre mot d’ordre, c’est « Everybody is a the party, doing something. » Même si ce n’est qu’un petit truc, du genre taper dans les mains ou jouer de l’orgue.

Est-ce à dire que les Pixies, c’est toujours quatre personnes. Ni plus, ni moins ?
Black Francis : Parfois, nous faisons venir un musicien en plus pour faire quelque chose que nous ne savons pas faire, comme un joueur de Theremin, ou un violoniste, ou un joueur de tablas. Mais quand nous composons, nous ne sommes que quatre.

Aujourd’hui, vous êtes deux à me répondre. Ma question, c’est : Les Pixies sont-ils une démocratie, une oligarchie, une république ? Comment qualifiez-vous votre régime politique ?
Black Francis : Nous ne le qualifions pas tout simplement. Nous sommes un groupe. Pont, à la ligne.
Joey Santiago (secouant la tête pour marque son accord) : Mmmm.

Pour en revenir à votre façon de composer, qu’est-ce qui joue l’élément déclencheur ? Un son, une image ?
Black Francis : Le plus souvent, c’est une progression de cordes à la guitare. Et le plus souvent, elle vient de moi. C’est comme une silhouette, un patron sur lequel nous venons jammer. Ce n’est pas un rituel propre aux Pixies, c’est juste typique du rock. Et je pense que la plupart des groupes fonctionne ainsi. Ou disons, au moins, la moitié.

Pour finir, Kurt Cobain de Nirvana a toujours dit tout le bien qu’il pensait des Pixies et reconnu une dette envers le groupe. Vous êtes-vous jamais rencontré ?
Black Francis (s’adressant à Joey) : Tu l’as déjà rencontré ?
Joey Santiago : Non.

Et les ex membres de Nirvana ?
Black Francis : On se connaît mais nous n’avons jamais joué ou enregistré ensemble.

Propos recueillis par Frédérick RAPILLY (juin 2019, publié en septembre 2019)
En concert, en France, les 19, 20 octobre 2019 et le 21 octobre en Bretagne à Rennes au Liberté.
« Beneath the Eyrie » (Infectious / BMG) dans les bacs vendredi 13 septembre 2019

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