Toute l’œuvre de Thierry le Saëc du moins, celle qu’il présente actuellement à l’hôtel de Limur à Vannes jusqu’au 24 mai 2015, mais aussi celle antérieure présentée en 2006 aux Champs Libres à Rennes, est une question, soutenue et articulée dans la durée d’un devenir œuvre. Une existence donc, qui se maintient intégrée à l’histoire esthétique des livres d’artiste, tout en intégrant la question dans son propre jaillissement. 


Si nous la saisissons dans son ouverture la plus large, par son embouchure fluviale, elle s’énonce dans ce mélange des eaux, dans cette alliance de la mer et du fleuve :

Qu’est-ce qu’une rencontre ?

D’aucuns diront un troisième corps nous laissant entendre la part du désir et de ses fruits, d’autres diront dialogues, oui sans doute aussi, bien que…pas tout à fait, car à la rencontre du plasticien, le texte se modifie-t-il ? C’est cette question que je voudrais adresser à Thierry Le Saëc. Le texte s’est-il déjà modifié dans ce visage à visage de l’auteur et du peintre ? L’accès au texte est temporel, linéaire et pour reprendre les conceptions de J. F Lyotard, son appréhension n’est pas celle du figural. L’appréhension de la figure, de la forme est immédiate, -nous voyons, ce qui nous regarde-. Elle transcende la signification. Au plus radical de sa présence  elle nous saute au visage, son émergence est présence.

À me promener ainsi dans ce bel hôtel restauré de Limur en contemplant les œuvres exposées avec soin, ma paresse me surprend, je regarde la page, je devrais dire cependant les pages, celles du texte et de la plastique et parfois, je l’admets, le texte m’échappe, je ne le lis tout simplement pas. Le texte présenté est souvent partiel, du moins on ne peut en apercevoir que la partie offerte et limitée.

Le parti pris de Thierry Le Saëc tel qu’il l’expose avec rigueur et attention est de travailler avec l’entièreté du texte de l’auteur. Les textes qui lui sont proposés et qu’il accepte le sont au titre d’une invitation à la rencontre. Tout le travail de cet artiste consiste à trouver un équilibre entre la linéarité d’un texte prosé ou poétique et la figurabilité d’une forme. Une tension constante au risque de l’écrasement de l’un par l’autre.

Les livres d’artiste de Thierry Le Saëc sont facilement identifiables mais, curieusement, ils ne le sont pas simplement au titre d’un style comme on pourrait le dire par exemple d’un livre d’artiste de Matisse, car ce plasticien pense et réalise ses ouvrages avec une palette de moyens variés, gravure, gouache, collage, numérique, transparent, pastel, aquarelle, photographie. Là est l’intelligence de l’homme et peut-être sa solution, sa réponse à la question : comment rencontrer l’autre ? Le choix qu’il opère est une réponse au texte, la disposition en face à face, l’écho discret du jeu des couleurs et des formes aux mots du texte, le centrage des formes disposant les textes en vis à vis de chaque côté de la page, la transparence des feuillets dessinés qui laisse apercevoir le texte en fond sont autant de procédés au service de la rencontre. Car pour Thierry Le Saëc la rencontre est œuvre.

Entendons-nous bien, Thierry Le Saëc déplace la question, il ne s’agit pas seulement de la présence d’une œuvre, pas plus que de faire de la rencontre une œuvre mais de ce qui de la rencontre est œuvre.

Pierre Maldiney a réalisé une étude philosophique précise et vivante de l’ouvrage intitulé « Laisses ». Le texte est d’André du Bouchet, les aquatintes et bois gravés de Pierre Tal Coat. Son analyse ouvre à l’étendue de la page, il propose que les unités graphiques et les mots sont formes et non signes, que le blanc de la page tel un vide actif est l’origine ouverte à partir de laquelle le noir-encre est rendu à son espace et l’invente. Pierre Maldiney s’attache à l’œuvre, à sa réapparition renouvelée et à son maintien. De regard en regard, toujours, un saisissement.

Les tentatives de Thierry Le Saëc ne sont pas indifférentes à cette perspective, à ce faire œuvre à partir du blanc de la page et de son ouverture, mais sa question est aussi différente, car elle est  bien celle de la rencontre dans son œuvre même. De ce tendre passage par l’autre, pour être soi-même.

Une métamorphose.

Tout cela nous nous en rendons compte est très loin de nos agencements personnels, de nos territoires et de leurs aménagements, de notre style et de notre pré carré. Tout cela est mouvement, expansion, nouveauté, et risques.

Hôtel de Limur

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Edito

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