Été comme hiver, canicule ou froid polaire, la bière est la troisième boisson la plus consommée au monde après l’eau et le thé. Mais boire de la bière n’est pas une simple volupté qui réchauffe ou désaltère, le geste peut aussi être nourri d’un réflexe militant en consommant made in Breizh.

On suppose que l’homme a créé la bière au détour d’une fermentation accidentelle. Cela remonte à très loin. Quelques millénaires. Les gravures et sculptures sur lesquelles apparaissent des femmes en train de brasser semblent indiquer que le premier houblon « trafiqué » date d’environ 8.000 ans avant Jésus-Christ. Nous sommes au néolithique. Ère de la sédentarisation, du développement de l’agriculture et de l’élevage. Puis les Sumériens prennent le relai. La plus vieille recette écrite de fabrication d’une bière est expliquée sur une tablette sumérienne. On y apprend comment faire un breuvage qui s’y apparente, avec de la farine d’orge fermentée, des dattes, de la coriandre et de la cardamome. Vinrent ensuite les Égyptiens et leur omniprésente culture céréalière nilotique (du Nil). Enfin, les Grecs amenèrent le houblon sur les rives de la Méditerranée. Ils furent les premiers à l’exporter.

Les Anglais ont en partie financé leurs premières campagnes de colonisation grâce aux taxes sur la bière

Au Moyen-Âge, la bière prend l’aspect de ce à quoi elle ressemble aujourd’hui. Les brasseurs deviennent professionnels. Ce sont souvent des moines qui officient dans leur monastère pour un meilleur contrôle fiscal. La boisson devient l’une des figures de puissance économique, politique et religieuse. Elle justifie de nombreux impôts en amont et en aval de sa fabrication, ce qui lui permet de provisionner généreusement l’état et le clergé, au point que les Anglais financent en partie leurs premières campagnes de colonisation (1497-1583) grâce aux taxes sur la bière. Tout cela sous l’œil approbateur de Saint Arnould, patron des brasseurs, et de sa prière : Bene dic, Domine, creaturam istam cerevisæ…

Depuis. On en fabrique partout. On en boit partout. Les quatre ingrédients principaux sont : l’eau, l’orge, le houblon et la levure. Le marché explose. Il représente aujourd’hui 200 milliards de litres annuels à l’échelle mondiale – deux fois l’équivalence du lac d’Annecy. Les plus grands brasseurs (en chiffres) sont Belges, Britanniques, Néerlandais et Danois. La France arrive en dixième place et, dans l’une de ses provinces appelée Bretagne, grâce à l’essor d’une centaine de brasseries locales, la population semble avoir un goût particulier pour ce renouveau made in Breizh ; en résulte une consommation supérieure à la moyenne nationale : un peu plus de 30 litres par an et par personne, derrière les Normands et les habitants du Grand Est.

Au XIXe siècle, la bière bretonne entre en concurrence avec le cidre normand

Les boissons phares des Bretons sont depuis toujours l’hydromel, mélange d’eau et de miel fermenté, et la cervoise, une sorte de bière concoctée sans houblon par les femmes. Nombre d’aromates entre dans sa production en fonction des lieux, des coutumes, et des ingrédients disponibles. Mais l’arrivé du houblon va remplacer ces composants multiples. La cervoise laissera place à la bière qui, nouvelle dans sa formule, s’inscrira dans le processus d’une évolution des goûts et des mentalités, et entrera en concurrence avec le cidre normand.

Au XIXe siècle, les brasseries bretonnes se multiplient, souvent tenues par des Irlandais. L’industrialisation installe définitivement la boisson comme l’une des favorites dans tous les milieux sociaux. Il devient possible de la conserver grâce à Pasteur, et de la transporter par rail pour une consommation plus rapide. Lorsque le marché s’emballe, les fabriques sont contraintes au regroupement hors terre bretonne afin d’exporter plus aisément sur l’ensemble du territoire français. Les grands groupent rachètent les petits. Les diluent. Les identités locales puis régionales s’estompent et disparaissent.  Goûts et saveurs avec. Nous sommes entre les deux Guerres mondiales. La flaveur de la bière entre en disette. Elle y restera jusqu’aux début des années 80.

Un renouveau breton avec et sans houblon

Deux Finistériens participeront à son renouveau breton. Christian Blanchard et Jean-François Malgorn découvrent la bière artisanale lors d’un séjour au Pays de Galle. Ils rentrent chez eux avec l’idée de créer une brasserie (Corref) à Caraix dans le Finistère. Non loin, côté morbihannais, Bernard Lancelot est pris d’un désir similaire. Cet ancien apiculteur s’inspirera de la recette de la cervoise dans laquelle il fait macérer quelques ingrédients secrets. Le succès est immédiat. Presque miraculeux !  Normal, les recettes sont élaborées en lisière de Brocéliande et, dix ans plus tard, la brasserie Lancelot s’installe au Roc-Saint-André (56), sur le site d’une ancienne mine d’or… Au fait de ce nouveau succès, plusieurs dizaines de nouvelles brasseries voient le jour. La Bretagne en compte aujourd’hui plus de cent. Toutes indépendantes. Reste à savoir si l’effet de mode résistera à l’épreuve du temps.

La liste suivante n’est bien entendu pas exhaustive quant à l’intérêt gustatif de la bière bretonne. Toutes valent la peine. Il est même possible d’organiser un circuit touristique spécifique. Avis donc aux amateurs. Ainsi, dans les Côtes d’Armor (22) nous avons la brasserie de La Kévertoise et celle de La Nordée. Côté Finistère (29), ce sont des bières aux noms de Bleizi Du, de Britt, Coreff, Kerzu, et Terenez. Le région de Rennes et l’Ille-et-Vilaine (35) proposent la Drao, la RZN, la Sainte-Colombe, et la célèbre Skumenn. Nos frères nantais (44) apprécient Les bières de Charlotte (seul femme brasseur de la liste), et le restaurant Les Brassés propose sa propre production. Enfin, nos amis du Morbihan (56) brassent la Lancelot, La Belle Joie, et La Bambelle. Tout cela avec modération puisque la loi oblige à le préciser. Yec’hed mat.

Jérôme ENEZ-VRIAD
© Juillet 2019 – J.E.-V. & Bretagne Actuelle

Principales sources :Ouest France Hors-série : Yann Bessoule / Marie Le Goaziou / Philippe Gaillard
La bière bretonne de Gabriel Thierry – Éditions du coin de la rue
www.bieresbretonnes.fr

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