Le prix des places de concerts est passé du simple au triple en quinze ans. Une lisibilité tarifaire compliquée. Des stars gourmandes. Le public aimerait comprendre pourquoi applaudir son chanteur préféré est devenu plus cher que d’aller à l’opéra.

L’ouverture des ventes neuf mois à l’avance du nouveau spectacle de Mylène Farmer relance la polémique quant à l’inflation du prix des places de concerts.  Pour voir la diva sur scène, certains fans devront débourser 65€. La part du pauvre ! car à ce tarif ils seront debout pendant deux heures dans l’arrière-fosse et, s’ils souhaitent être proches de la scène, la fameuse avant-fosse – rebaptisée « Fosse Or » pour l’occasion – leur coûtera 125€, toujours debout, bien entendu. Notons que les nantis peuvent s’offrir une première catégorie à 205€, soit l’équivalent du budget alimentaire d’une famille de quatre personnes pendant une semaine.

Mylène Farmer n’est toutefois pas la plus chère puisqu’un fauteuil Diamant pour la tournée d’adieu de sir Elton John, la Farewell Yellow Brick Road Goodbye, coute 315€. Le concert est prévu dans deux ans, le 20 octobre 2020, mais les billets sont déjà en vente, au grand avantage des producteurs qui font double bénéfices en investissant les sommes encaissées. Notons également que la star américaine Beyonce est l’artiste la plus chère jamais vendue pour un concert dans l’Hexagone, 350€ lors de sa venue au Stade de France le 21 juillet 2016. Elle aurait toutefois pu finir en deuxième position si le récital de Barbra Streisand à 551,50€ pour une catégorie Or n’avait pas été annulé en 2013 à Bercy.

Le prix d’une place ne reflète pas la qualité du spectacle

Cette flambée des prix est-elle excessive ? Oui. 250€ pour voir Justin Bieber chanter en play-back n’est pas justifiable. Idem avec Maria Carey dont la voix n’est définitivement plus ce qu’elle était. Le prix d’une place de concert ne reflète pas la qualité du spectacle auquel elle donne accès. Ce n’est pas non plus l’endroit qui en détermine le montant mais le show lui-même, c’est-à-dire la prestation de l’artiste, sa notoriété, sa rareté, son histoire avec le public et, bien évidemment, ses exigences tarifaires. À ce propos, si le sujet est quasi tabou, c’est peut-être parce que les sommes peuvent être considérables, voire indécentes.

Ultime exemple. Il aura fallu débourser entre 90€ et 950€ pour applaudir Al Pacino les 22 et 23 octobre derniers au Théâtre de Paris. De quoi s’offrir une semaine sur une plage des Caraïbes ! Places uniquement accessibles sur vente-privée.com qui avait l’exclusivité de la billeterie. Pour la première soirée, l’entrée ne se négociait pas à moins de 550€. Au total, 400 fauteuils à 950€ ont été mis en vente sur les deux soirs. Soit une recette de 380.000€ avec les seules premières catégories. La prestation intitulée An Evening With Al Pacino Une soirée avec Al Pacino, était en version originale non sous-titrée et non traduite. Bien que l’acteur soit venu accompagné d’un staff à sa charge, la production reconnait que son cachet était fort substantiel.

Les frais de sécurité et d’assurances ont explosé depuis l’attaque du Bataclan

Outre le cachet de l’artiste inclus dans le coût du spectacle, la répartition des frais est la suivante. Tout d’abord, la location d’une salle. La France affiche le triste privilège d’avoir les moins bon marché du continent. Quant au Stade de France, c’est le 2ème plus cher d’Europe (environ 600.000€ par jour) après Wembley. Précisons que montage et démontage de la scène peuvent nécessiter plusieurs journées en amont et aval du concert. S’y ajoutent les taxes, elles représentent 17 % du prix d’un billet, également les frais de production, tels ceux des assurances et de la sécurité dont le coût a explosé depuis l’attentat du Bataclan. Puis les différentes commissions aux agences de booking, les éventuelles exigences de l’artiste : avion, hôtel, garde(s) du corps, voiture, chauffeur… (la noblesse du showbiz ne dort pas dans un Formule 1, ne voyage pas en éco et ne fait pas de covoiturage). Notons aussi le matériel, les droits d’auteurs et d’éditeurs (SACEM), la marge du producteur… Autant de chiffres qui s’ajoutent aux pourcentages, qui s’ajoutent aux différentes marges, et se modulent en fonction de la demande. Si Mylène Farmer ou Elton John sont très chers, c’est avant tout parce qu’ils font salle comble tous les soirs.

Les concerts permettent de récupérer  une partie des recettes perdues suite au piratage

Depuis les années 2000, les recettes de billetterie ont doublé, puis triplé. Hausse notamment due à l’explosion du prix des places. En 2009, la courbe des ventes de disques et celles des ventes de billets se sont croisées, la seconde dépassant désormais la première. Les concerts permettent ainsi de récupérer une partie des recettes perdues suite au piratage. L’industrie musicale vivait auparavant grâce au marché discographique. L’artiste montait sur scène pour stimuler les ventes de disques dont il tirait l’essentiel de ses revenus. Aujourd’hui, le rapport est inversé, la sortie d’un album est le support promotionnel indispensable à la scène grâce à laquelle les stars de la musique tirent près des trois quarts de leurs revenus. Éventuellement, la maison de disque capte-t-elle le spectacle pour sortir ensuite un live : vinyle, CD, DVD, Blu-Ray et coffrets divers, chaque support avec ses propres inédits incitant à l’achat de l’ensemble, investissement qui finira par coûter aussi cher qu’une place de concert.

Un véritable artiste assure le show malgré les imprévus

Reste la province pour payer moins cher. Le Liberté à Rennes, le Quartz à Brest et le Zénith de Nantes offrent des places de première catégorie meilleur marché que celles d’une fosse parisienne. Elton John, toujours lui, justifie de monter à Lille dont le Carré Or du stade Pierre Mauroy est à moins de 200€ contre 315€ dans la capitale. Même en prenant un Ouigo aller-retour, on est gagnant. Autre possibilité : ne pas se contenter des stars et s’offrir des légendes. Les premières catégories de Marquis de Sade dépassent rarement 50€. Il est aussi envisageable de redécouvrir les caf’conc qui permettent l’accès à un concert pour le prix d’une consommation. Les véritables chanteurs ont presque tous commencé par ce lien direct avec le public. Ils ne dépendent pas d’une technologie envahissante et assurent le show malgré les imprévus. Parmi eux, qui sait, peut-être y aura-t-il une future Mylène ou la prochaine Rihanna dont vous pourrez dire l’avoir applaudie avant qu’elle soit devenue inaccessible au Stade de France.

Jérôme EnNEZ-VRIAD
© Novembre 2018 – Jérôme Enez-Vriad & Bretagne Actuelle

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