Pas un rocher ou une ruine qui ne détienne sa propre légende en pays breton. Ce sont autant de mythes qui ont fourni des explications à moult phénomènes séculaires et mystérieux, comme les feux follets et autres caprices de la nature longtemps inexpliqués. Tout un monde à découvrir, peuplé d’elfes, de lutins et de fées.

La péninsularité a pendant longtemps isolé – mais aussi protégé – la Bretagne des autres cultures. Les Bretons se sont alors inventés un monde peuplé de multiples sortilèges au charme incantatoire. Leur transmission par les anciens est hélas ! de moins en moins fréquente. Les secrets de Brocéliande, la légende de Carnac et l’Ankou des Monts d’Arrée ne sont plus connus que par une poignée de guides et d’initiés. Bretagne Actuelle est toutefois entré en contact avec quelques-unes de ces fabuleuses créatures… pas si imaginaires qu’on ne le dit.

Les Korrigans de la nuit

Commençons par la danse des Korrigans. A minuit, ces diablotins malfaisants quittent leur tanière pour déambuler autour des dolmens et menhirs. Sorte des nains noirs cornus (korr signifie « nain » en breton), dotés de pattes en pieds de bouc. Il est préférable de ne pas longer les tas de pierres qu’ils affectionnent afin d’éviter leur sarabande frénétique, faite de vacarme et de fracas jusqu’à ce que la victime tombe d’épuisement. Tout au moins était-ce les confessions des hommes retrouvés en pleine nature au petit matin après une soirée bien arrosée. La faute des Korrigans !

Les fées sont bienfaitrices mais terriblement jalouses

Et puis il y a Brocéliande, la fameuse, divine et merveilleuse ; Barjavel nous en décrit les miracles dans les premières lignes de l’Enchanteur. « le grand cerf blanc sortit d’un fourré d’aubépines sans déranger la moindre fleur. Son poil était pareil à de la neige fraîchement tombée, et tandis qu’il traversait la clairière sa ramure se balançait comme la voilure d’un vaisseau. Merlin aimait prendre cette apparence quand il se déplaçait dans la forêt. » Plus tard, la fée Viviane entrainera Merlin dans les profondeurs de cette même forêt afin de le séduire mais, à son réveil, le plus grand des magiciens se retrouve enfermé dans une colonne d’air sans possibilité d’échappatoire. Pour séduire Viviane, Merlin lui avait naïvement enseigné les plus subtiles sortilèges, y compris celui dont elle se servit pour le séquestrer à jamais.  

A propos des fées. Elles sont bienfaitrices mais terriblement jalouses. Leur égo se reflète dans le Miroir aux fées, un étang de Brocéliande aux couleurs changeantes, il faut alors lever la tête pour s’apercevoir que le ciel n’y est pour rien, tout au contraire,  la robe d’une fée qui survole le plan d’eau en modifie les reflets chaque fois qu’elle change de vêtement.  L’image est fugace car les créatures de la forêts surgissent et s’évanouissent en un clin d’œil. Le pouvoir des fées est immense. Elles fabriquent de l’or, lisent l’avenir, guérissent les malades mais, très rancunières, elles savent aussi se montrer cruelles. Ainsi, Viviane et Morgane ont-elles refusé de partager leurs amours.

Le passage de l’Ankou

Attention lorsqu’en pleine nuit le bruit d’une charrette chargée de pierres se rapproche. Malheur à celui qui l’entend. Il annonce l’Ankou. Les anciens l’imaginaient immense et maigre, ou tel une ossature drapée d’un linceul dont la tête pivote à 360°. L’Ankou erre une faux à la main et passe la nuit de maison en maison pour y recueillir les moribonds. Dans chaque paroisse, le dernier mort de l’année devient l’Ankou de la suivante. Selon la légende, ce passeur d’âmes emmène celle des défunts dans les monts d’Arrée, où l’une des portes de l’enfer serait soustraite à la vue des hommes.

Le peuple de l’herbe règne sur les forêts bretonnes

Le peuple de l’herbe ce sont des champignons qui prennent vie, des arbres qui s’animent, des fleurs qui se font la causette… Toutes les forêts celtes sont hantées par le « petit peuple » des fées, lutins et trolls qui bataillent la vedette avec les fantômes dont l’âme ne s’est pas soumise à l’Ankou : ni suffisamment méritoire pour le paradis, ni assez mauvaise pour rôtir en enfer. Condamnés à vivre dans le « monde du milieu » en prenant divers formes : cailloux, champignons ou arbres, ces êtres règnent sur la forêt la nuit tombée. Pour éviter leur colère, chacun aura la sagesse de respecter faune et flore comme il se doit. Quelques règles méritent transmission, comme celle de ne jamais ramasser les miettes après un pique-nique : les fées en raffolent ! Rappelons toutefois que seuls les initiés peuvent entendre et voir ces êtres invisibles pour le commun des mortels.

La culture celtique des Bretons est embaumée sous des strates des civilisations romaines et chrétiennes

L’âme occidentale est un parchemin sur lequel le christianisme a réécrit l’histoire. La culture celtique des Bretons est embaumée sous les nombreuses strates des civilisations romaines et chrétiennes. Quant aux manuels scolaires, s’ils rappellent la filiation qui nous rattache à « nos ancêtres les Gaulois »,  c’est hélas ! trop souvent pour les réduire à une mosaïque de tribus sanguinaires, amas de braillards aux bacantes aussi longues que leurs idées étaient soi-disant courtes. Raisons supplémentaires pour ne pas oublier nos légendes. La cité engloutie de Douarnenez… La fontaine magique de Barenton… Le fantôme de la dame blanche qui hante le château de Trécesson… La grotte « aux noyés » sise dans les profondeurs de la falaise de Morgat… L’or sous les mégalithes de Carnac… Et tant d’autres merveilleux sortilèges surgis d’un passé lointain ; une mare, un caillou, chaque chemin, chaque bas-fond taraude à vie ceux qui aiment la Bretagne pour ce qu’elle est vraiment : un pays sulfureux et inspiré, impie et insolent, lourd et frémissant.

Jérôme ENEZ-VRIAD
© Avril 2019 – Jérôme Enez-Vriad & Bretagne Actuelle

A lire : Contes du soleil et de la brume, d’Anatole le Braz / Contes et légendes de Brocéliande, de C. Glot & M. Tanneux / L’Enchanteur, de René Barjavel / Bretagne des sortilèges, GEO-Ado n°30 Avril 2005 / La force des Celtes, de Paco Rabanne – Entretien avec Philip Carr-Gomm

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