Le tour du monde en 80 jours… Michel Strogoff… De la terre à la Lune… Vingt mille lieues sous les mers… L’auteur de ces chefs-d’œuvre était Breton. Oui. Jules Verne est né à Nantes où il a vécu durant les deux premières décennies de sa vie.

Le 8 février 1828, à quinze heures, naissait Jules Gabriel Verne, dit Jules Verne. Nous sommes à Nantes, rue Olivier Clisson, sur l’île Feydeau. La famille est instruite et cultivée. Chacun pratique à sa guise musique, littérature ou poésie. Peu s’en fallut que le jeune homme n’entrât dans la magistrature, puisqu’il fit son droit – ou feignit de le faire – après avoir été un écolier moyen et un étudiant fort médiocre ; ce qui, une fois de plus, prouve qu’il n’est pas indispensable d’avoir brillé au collège ou au lycée pour triompher dans la vie.

Une naissance nantaise et un début à Paris

An 1829. A la naissance de son frère cadet, Paul, la famille Verne s’installe quai Jean Bart. Quelques années plus tard, entre 1837 et 1847, le futur écrivain fait ses études au collège Saint-Stanislas, puis il intègre le petit séminaire et le collège Royal. Il aura entre temps entrepris de fuguer, prenant le risque de s’embarquer sur un long courrier, La Coralie, en partance pour les Indes. Nous sommes maintenant en 1844, Jules est élève de rhétorique, il fréquente, avec ses amis Genevois et Maisonneuve, le Cercle des Externes chez un libraire Nantais, le Père Bodin ; relations qui lui vaudront d’écrire un premier texte, une tragédie en vers au succès d’estime. Puis, en 1847, à l’âge de dix-neuf ans, il commence sa licence de droit, toujours à Nantes, avant de « monter » à Paris passer un examen pour clôturer ses études.

L’excitation de la capitale le galvanise. Jules s’imagine né pour la scène et se lie avec quelques auteurs dramatiques. Les années passent sans grand succès, jusqu’en 1849 où il fait la connaissance d’Alexandre Dumas qui l’introduit dans plusieurs salons parisiens. Girardin et Théophile Gautier rejoignent son carnet d’adresses. Verne goûte cette fois à la comédie en tant que spectateur. Le 21 février 1849, il assiste à la première de la Jeunesse des Mousquetaires dans la loge d’Alexandre Dumas. Avec plusieurs amis écrivains, musiciens et peintres, il institue un dîner périodique au nom évocateur : les Onze sans femmes. 

Le Nantais voyageur

L’inspiration est comme l’instinct : une de ces choses mystérieuses dont on perdrait son temps à vouloir chercher l’origine. Et pourtant ! Né dans une famille d’armateurs, Jules Verne ne pouvait qu’être voyageur, des mers mais aussi de l’imaginaire ; sa ville natale lui offre moult perspectives au-delà de l’horizon, car l’activité maritime de Nantes – alors premier port breton – stimule sa créativité ; enfant, il rêve en observant les allers et venues des voiliers. « À voir passer tant de navires, le besoin de naviguer me dévorait. », racontera-t-il plus tard* ; et de poursuivre : « Ma mère était Bas-Bretonne de Morlaix, et donc j’ai dans les veines un mélange de sangs breton et parisien. […] Je ne puis dire avoir beaucoup fréquenté les chambres des autres étudiants, car nous autres Bretons sommes, vous le savez, un peuple à l’esprit de clan, et presque tous mes amis étaient des amis de lycée de Nantes, montés à l’Université de Paris en même temps que moi. […] Eh bien, parce que, comme je vous ai dit, j’ai du sang breton et que j’aime la tranquillité, je ne pourrais jamais être plus heureux que dans un cloître. »

En 1851, Jules rencontre Jacques Arago, grand voyageur de retour à Paris, dont l’influence sur le futur écrivain est sans nul doute l’une des plus marquantes de son existence. C’est après son mariage, en 1857, que l’envie de voir du pays et du monde s’élève en lui comme une indéfectible nécessité. Juillet 1859, il appareille vers l’Angleterre et l’Écosse, premier grand voyage à destination d’une île qui (tout au moins inconsciemment) le ramène dans la maison où il est né sur l’île Feydeau. Est-ce la raison pour laquelle son œuvre en compte de nombreuses ? Dans L’Île mystérieuse, mais aussi Deux ans de vacances, Le tour du monde en 80 jours, L’Île à hélice… Peut-être. La question demeure. Suivront un aller/retour en Amérique, deux visites en Scandinavie, une croisière en Méditerrané, et de nombreux autres voyages…

Voyage au centre de l’imaginaire

Infatigable voyageur de l’esprit, Jules Verne l’est aussi dans la vie et, contrairement à ce que ses biographes oublient de dire, il aura visité presque tous les continents. Les terres boréales ont sa préférence. Nonobstant tous ces voyages, le romancier travaille surtout d’après des livres dont il est fervent lecteur ; il se fie à ses intuitions – presque des visions – et à une extraordinaire imagination. Autant de voyages intemporels et subliminaux, par la suite nourris de multiples rencontres, entre autres celle avec le photographe Nadar avec qui Verne échange de nombreuses informations sur la navigation aérienne.

Héritier des encyclopédistes, il lit de nombreux ouvrages scientifiques, et prend des notes qui lui permettent de se constituer une gigantesque documentation. Entre ses voyages, il s’évade grâce à ses romans dans lesquels libre cours est laissé à une imagination on ne peut plus fertile, entraînant le lecteur à sa suite de manière quasi addictive. Il met en scène les moyens de locomotion modernes – ballon, chemin de fer, et surtout le bateau, son véhicule favori du pyroscaphe à la goélette – ainsi que la plupart des inventions de son temps : le moteur à explosion, l’automobile, le rayon X, l’ascenseur, le scaphandre… Ses personnages évoluent aussi bien dans les airs que dans les fonds marins, au centre de la Terre ou sur la Lune.

Réminiscences maritimes

1863. Ce sont les ballons géants de Nadar (baptisés Le George-Sand, L’Armand-Barbès et Le Louis-Blanc) qui déclenchent chez Jules Verne l’idée de Cinq semaines en ballon. L’éditeur Hetzel accepte le manuscrit et lui signe un contrat de vingt ans. Verne doit fournir deux volumes annuels en contrepartie d’une rente de 20.000 Francs. Ce premier roman mis en vente pour les étrennes de 1863 engage un succès immédiat.

1865. En bon Breton, Verne achète son premier bateau,  le Saint Michel I. Il quitte Paris quelques mois plus tard et s’installe au Crotoy (Somme).

 1868. Parution de son plus célèbre roman, 20.000 lieues sous les mers. Personne n’imagine l’auteur d’une telle histoire vivre comme le casanier qu’il est devenu. A l’inverse, ses lecteurs le projettent en insatiable globe-trotter. On raconte qu’un jour, des enfants Anglais se cotisèrent pour lui offrir « la plus grosse canne de Londres », qui l’aiderait à marcher dans ses supposées nombreuses pérégrinations. Une autre fois, un huissier de ministère auquel il tendait sa carte lui avança précipitamment une chaise en lui disant : « Asseyez-vous, monsieur Jules Verne, vous devez être bien fatigué après tout ce que vous avez fait ! ».

1874. Jule Vernes acquiert un nouveau bateau, le Saint Michel II, puis en 1877 le Saint-Michel III, une goélette à voile et à vapeur, mue par un moteur de vingt-cinq chevaux sur lequel il embarque en 1878 pour l’Algérie. Ce dernier investissement coute une fortune à entretenir. Il sera racheté dix ans plus tard par le prince du Monténégro, futur roi Nicolas Ier . Jules Verne, affaibli par l’âge et la maladie, poursuit cependant sa tâche ; les romans se succèdent, empreints d’une philosophie plus grave et désabusée qu’autrefois. La série des Voyages extraordinaires est close en 1906 avec le Volcan d’or, ouvrage publié à titre posthume.

Jules verne n’aura lâché sa plume que pour mourir d’un diabète le 24 Mars 1905, à l’âge de 77 ans.

Un genre nouveau

Ce que Jules Verne racontait était nouveau. Il inaugurait un genre. Mettait la science de l’époque à contribution et anticipait sur la science du future. Cela n’avait jamais été fait. En ce début XIXe siècle, la machine à vapeur révolutionnait le monde, les premiers travaux sur l’électricité auguraient un futur différent, et la navigation aérienne éveillait toutes les attentions.  Un demi-siècle plus tôt, personne n’eût accroché à ses histoires ; un demi-siècle plus tard, cela eût été désuet.

De Cinq semaines en ballon (1863) à L’invasion de la mer (1905), ce furent quarante années durant lesquelles le Nantais le plus célèbre au monde explora le temps et l’espace dans une soixantaine de récits** qui font de lui le père de la science-fiction contemporaine. Il aura deviné les prototypes, suivi les expérimentations, devancé les mises à l’eau et, même si La Tortue de Bushnell – premier « sous-marin » militaire utilisé en 1776 pendant la guerre d’indépendance américaine – précède Vingt mille lieues sous les mers paru en 1869, son récit dresse les plans, avec trois décennies d’avance, du premier véritable submersible, Le Narval, lancé en 1899.

Jérôme ENEZ-VRIAD
© Septembre 2021 – Bretagne Actuelle & J.E.-V

* Jules Verne –  « Souvenirs d’enfance et de jeunesse. »
** Si l’on inclut les romans et nouvelles publiés de son vivant, les romans posthumes, les romans et nouvelles publiés à titre posthume, les recueils de nouvelles, les pièces de théâtre, essais et ouvrages historiques, ce ne sont pas moins de cent cinquante œuvres qu’aura écrit Jules Vernes, auxquelles s’ajoutent ses poèmes et chansons, ainsi que ses discours et textes divers.

Illustration : Le salon du capitaine Nemo par Bernard Buffet
Photo : Etienne Carjat

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