Jean-Pierre Boulic : « L’offrande des lieux » HermineHermineHermineHermine

Un Boulic inattendu. Le poète breton – une fois n’est pas coutume - s’éloigne à pas feutrés de son Pays d’Iroise pour nous faire entrer dans un autre univers, intime celui-là. Entre joie et douleur, ses proses poétiques disent – quoi qu’il en coûte – « l’éblouissement de la création ».

Que dire quand les années défilent et que le temps presse ? Sans doute regarder un peu plus qu’avant dans le rétroviseur comme l’a si bien dit le grand écrivain italien Erri de Luca. « Pour un homme né au milieu du siècle passé et qui a donc accompli depuis longtemps la plus grande partie de ses actions, le passé est toujours plus vaste, plus abondant, plus large. C’est un champ où se renouvellent les rencontres avec des personnes auxquelles on ne peut donner rendez-vous que là seulement, en arrière, dans l’écriture » (Essai de réponse, Arcades/Gallimard).

C’est le cas de Jean-Pierre Boulic (né en 1944) qui revient ici, « poétiquement », sur son parcours personnel. « La guerre t’a vu naître », écrit-il. « Noël, c’était un livre et une orange dans les sabots (…) Tu attendais les mages ». Le voici adolescent : « Tu avais quinze ans, enfance de la sève, arôme des écorces ». Puis, c’est la caserne où il se retrouve à scruter depuis sa guérite « les étoiles gelées et les longs courriers ». Mais la toile de fond de ces années de formation est plus que mouvante. On y perçoit à la fois des traces de l’amour reçu et des stigmates de souffrances cachées. Le ton est souvent mélancolique, le monde décrit parfois crépusculaire.

Dans cette vie, il y a une rupture forte. « Averti en songe » de quitter le lieu où il vivait pour se rendre au bout du monde, fuyant « la gloire éphémère des réussites incertaines » après avoir secoué « la poussière de ses pieds », il se retrouve face à l’océan dans « le sarrau des brumes », sur une « terre où l’aria de la beauté palpite à tous les vents ».

Le voici, aussi, à pied d’œuvre pour réaliser le rêve « d’édifier une cathédrale poétique ». Mais en fait de cathédrale, il se contentera de construire des « petits poèmes sous le mode mineur ». Il le fera grâce à des rencontres décisives, à commencer par celle de Charles Le Quintrec dont on devine la présence dans ce livre. Mais il y aura aussi, entre autres, celle de Jean-Yves Quellec, voisin en Pays d’Iroise, ou encore celle de l’éditeur Yves Landrein.

Au bout du compte, le poète Jean-Pierre Boulic peut ainsi parvenir à une forme de sérénité et parler de « souffle retrouvé » pour dire les mots fétiches de son vocabulaire : « l’invisible », « l’ineffable », « l’inachevé », « l’insaisissable », « l’inespéré », « l’inconnu », « l’insoupçonné… ». Car « tout est offert sur ce chemin ouvert aux vents ».

Face au « clair-obscur d’un monde occupé », face à « l’impudeur des temps », face au « chaos » qui « s’épanche » et « se défoule », face aux « faux-semblants », il brandit des mots nus, creusant fidèlement son sillon.

Pierre TANGUY

L’offrande des lieux, Jean-Pierre Boulic, La Part Commune, 2021, 95 pages, 13 euros

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