Voilà tout juste un an, la Bretonne Jacline Mouraud postait sa désormais célèbre vidéo : « Mais qu'est-ce que vous faites du pognon ?! » A-t-elle obtenu une réponse satisfaisante à sa question ? Bretagne Actuelle a reconcentré l’instigatrice des Gilets Jaunes afin de savoir quelles leçons elle a tirées de son combat.

Jérôme Enez-Vriad : Aviez-vous conscience de l’impact qu’aurait votre vidéo lorsque vous l’avez postée ?
Jacline Mouraud : Cette vidéo était l’expression d’un ras-le-bol personnel, celui d’une contribuable fatiguée de toujours payer davantage. Je disais tout haut ce que beaucoup pensaient en silence. Jamais je ne me serais doutée de l’impact qu’elle allait avoir sur ma vie personnelle.

Quand avez-vous réalisé qu’elle avait aussi une influence politique ?
JM : Mon message s’est tout à coup vu opposer des sarcasmes et du mépris par nos dirigeants et certains journalistes ; mais lorsque j’ai constaté la prudence avec laquelle plusieurs syndicalistes et partis politiques s’en sont emparé, j’ai alors compris que cette vidéo avait une réelle influence, sans pour autant en maitriser l’étendue.

Comment l’avez-vous vécu les premiers jours ?
JM : Je fus en premier surprise par le nombre de vues qui augmentaient chaque heure de manière exponentielle. La vidéo devenait virale. Puis les témoignages ont commencé d’affluer. Ensuite les journaux se sont saisis du message. D’abord les locaux, suivis des régionaux, enfin les nationaux. Le premier journaliste parisien a qui j’ai dû répondre était Jean-Jacques Bourdin sur RMC. Le premier plateau télé était C à vous sur France 5, face un Patrick Cohen dédaigneux et méprisant. J’ai vite compris que l’entreprise des médias était au départ de nous faire passer pour des provinciaux sans envergure qui racontaient n’importe quoi. Le plus difficile à gérer furent les sollicitations téléphoniques qui n’arrêtaient pas… mais aussi la jalousie de certains.

Tout est parti d’une question : « Mais qu’est-ce que vous faites du pognon ?! » Avez-vous obtenu une réponse satisfaisante ?
JM : Non. Pas l’ombre d’un réponse. C’est d’ailleurs logique puisque la question a été éludée dans tous les débats. Comment nos élus pourraient fournir un semblant de réponse puisqu’aucun organisme n’est chargé de contrôler le système. Pas de contrôle, pas de sanction.

Il y a tout de même la Cour de Comptes…
JM : Certes.  Mais ses avis sont consultatifs. Elle ne décide pas ni ne sanctionne, et ses recommandations finissent très naturellement sous le tapis.

Chaque gouvernement s’engage néanmoins sur un budget public annuel voté par le parlement et connu de tous ?
JM : Le budget annuel est un tirage de bouts de ficelles afin de boucher les trous d’un état Ô combien ! dispendieux. En dernier exemple, retenons le Président Macron annonçant que la France donne 1,5 milliard d’euros pour le climat. Où les trouve-t-il ? Tout simplement en alourdissant la dette ; c’est de la générosité à crédit, comme si nous en avions les moyens. Aucun budget n’a été en équilibre depuis le Général De Gaulle. L’appétit vorace de l’état n’a aucune limite.

A ce jour, rien n’a été résolu de ce que vous dénonciez dans cette vidéo : l’augmentation des carburants, la chasse aux véhicules diesel, les contrôles techniques « abusifs », les radars de plus en plus nombreux, le prix des PV…
JM : Le temps n’est pas si loin où acheter un véhicule diesel était assorti d’une prime gouvernementale mais, sous couvert d’écologie, ce gouvernement cherche à nous culpabiliser. Et le pire est sans doute à venir, car la chasse aux automobilistes ne semble être qu’à ses débuts.

Le gouvernement Philippe a cependant débloqué quelques 20 milliards ?
JM : C’est exact. Mais je pense que l’on aurait pu obtenir beaucoup plus.

Plus que 20 milliards ?
JM : Oui. Comme la baisse de la TVA sur les produits de première nécessité. Hélas ! les dissensions au sein du mouvement n’ont laissé aucune ouverture vers un dialogue respectueux puisque certains séditieux ont empêché les plus raisonnables de dialoguer avec le gouvernement.

Qu’entendez-vous par séditieux ?
JM : Ceux qui ont refusé que des représentants du mouvement soient désignés, préférant l’affrontement au dialogue. Si des porte-paroles avaient été choisis, au moins un par région, nous aurions pu aborder la question de la participation des citoyens beaucoup plus sereinement.

Auriez-vous accepté de ne pas faire partie de ces représentants ?
JM : L’important n’était pas qui, mais quoi proposer. 

Vous venez d’évoquer les régions. Pensez-vous qu’il faille engager plus de décisions locales pour solutionner les problèmes ?
JM : Bien sûr. Le ressenti d’un déclassement social est avant tout rural. Nous vivons de plus en plus loin de nos lieux de travail parce que les emplois sont en ville et qu’il est impossible de se loger dans les centres urbains financièrement inaccessibles. Il est primordial que les autorités résolvent ce problème. L’urgence est d’acheter son carburant pour aller travailler, faire ses courses, visiter ses proches… Notez aussi que l’accès aux services publics est devenu quasi impossible en région. Certaines préfectures ne remplissent plus que la moitié du rôle dont elles relèvent, au point de devoir se rendre dans une sous-préfecture pour avoir accès à l’autre moitié. Évidemment ! Vu de Paris ou des métropoles, c’est à dire de-là où résident les élus nationaux,  la vie administrative est fluide et sans problème ; mais vu des provinces profondes, à savoir les deux tiers du pays, cela donne le sentiment d’appartenir à une caste inférieure de citoyens de seconde zone.

Quel rôle devrait être celui des régions ?
JM : Chacune devrait avoir droit à son rayonnement propre. Qu’on laisse enfin les décisions locales aux maires et aux parlements régionaux. Il serait souhaitable que dans les assemblées territoriales ne siègent que des maires et des élus : les problèmes seraient beaucoup mieux appréhendés par des personnes de terrain. En outre, nos espaces régionaux devraient pouvoir statuer d’un point de vue législatif avec d’autres régions européennes sans passer par le jacobinisme parisien.

Le renforcement des instances régionales ne figure toutefois pas dans les revendications exposées par les Gilets Jaunes…
JM : A mon grand regret, car la réorganisation des régions est une des solutions à moult de nos problèmes. Le pays vit sous la tutelle de Paris qui est une capitale déconnectée de tout et parfois d’elle-même. Les décisions prisent « là-haut » s’appliquent d’une manière identique de la pointe du Raz à la Guadeloupe. Cela n’a aucun sens. Marc David Lasource, député du Tarn à la Convention Nationale, disait déjà en 1793 : « Je crains le despotisme de Paris »… – ce qui, d’ailleurs, lui coutera sa tête. Rien n’a changé depuis. Il n’est pourtant pas difficile de comprendre que les problématiques sont différentes selon chaque région. La Bretagne n’est pas la Corse, comme l’Alsace n’est pas le Pays basque, et moins encore Mayotte la Normandie. Je crois que la France se porterait mieux si Paris ne gardait que les fonctions régaliennes, laissant les régions décider par et pour elles-mêmes ; ce que souhaitait le Général De Gaulle avec la mise en place d’une nouvelle réforme territoriale. Les évènements de 68 l’en ont empêché́.

Vous dénoncez les violences des manifestants actuels, mais le gouvernement n’aurait jamais lâché autant d’argent sans la mise à sac de l’Arc de Triomphe…
JM : La violence est par nature contre-productive. Elle entretient un climat de haine et de colère qui, samedi après samedi, ne fait qu’attiser la fracture entre les citoyens. Saccager sans jamais proposer est une ineptie. Je citerais cette fois Nelson Mandela lorsqu’il disait : « Il est très facile de casser et de détruire. Les héros sont ceux qui font la paix et bâtissent ».

Souscrivez-vous aux revendications actuelles des Gilets Jaunes ou sont-ils d’éternels insatisfaits ?
JM : Je souscris évidemment au constat d’une France en difficulté puisque j’étais la première à le crier haut et fort. Je ne cautionne cependant pas le fait de manifester contre tout sans jamais rien proposer ; raison pour laquelle je poursuis une mobilisation respectueuse, dans une recherche continue de solutions qui pourraient améliorer nos conditions de vie. C’est un travail de longue haleine qui produira certainement plus de résultats que de manifester dans la rue semaine après semaine. Preuve en est puisque j’ai été reçue par différents ministres afin de dialoguer. C’est donc bien que l’on souhaite nous écouter.

Pensez-vous qu’il y ait un avenir pour les Gilets Jaunes sans convergence des luttes ?
JM : Le mouvement ne peut plus exister aujourd’hui sans s’accrocher à un autre. La seule question à se poser est de savoir comment les autres mouvements qui, pour l’essentiel sont non-violents, vont s’accommoder de certaines personnes radicalisées ? Contrairement à ce que font croire les médias, les black-blocs ne sont pas en odeur de sainteté dans les autres manifestations.

La création de votre parti politique « Les Émergents » avait été présentée comme une initiative pour « refaire de la politique avec du cœur et de l’empathie ». C’était en janvier dernier. Qu’en est-il aujourd’hui ?
JM : J’ai pris conscience qu’un parti était trop clivant et enferme, alors que je ne cesse de prôner l’ouverture. Les Émergents ont évolué en groupe de soutien, réflexions politiques et citoyennes. Je reste néanmoins fidèle à mes convictions et fais de la politique avec cœur, empathie, mais aussi et surtout avec de la bienveillance pour les gens et mon pays.

Vous dites aussi vouloir faire de la politique autrement, ni de droite ni de gauche, sans nécessairement présenter un candidat aux élection. Faire de la politique, n’est-ce pas essayer d’être élu(e) ?
JM : Tout le monde peut faire de la politique sans pour autant souhaiter être élu ; je veux dire, de la politique au sens latin du terme, relative à l’organisation de la société. C’est une question d’ordre de grandeur. A son échelle, une maman fait de la politique en organisant sa petite famille. Lorsque je dis n’être affiliée ni de droite ni de gauche, il faut entendre que je recherche avant tout le bon sens, et qu’il ne se trouve pas toujours au même endroit du panel idéologique. Les bonnes idées existent partout et ne sont en aucun cas l’exclusivité d’un seul parti.

Pourquoi avoir accepté l’invitation du Medef ?
JM : Tout au long de la mobilisation des Gilets Jaunes, nous nous sommes plaints de ne pas être écoutés. Il me semblait donc naturel d’accepter cette invitation afin d’échanger avec les dirigeants d’entreprises sur nos problématiques. Le débat auquel j’ai participé sur les Anywhere et les Somewhere en présence du ministre du logement, Julien Denormandie, est la preuve que le patronat se soucie aussi de la problématique des Gilets Jaunes.

Le Medef s’en soucie-t-il parce qu’il redoute le mouvement, ou pour lui trouver de réelles solutions empathiques ?
JM : Le Medef met le sujet sur la table en invitant à débattre les personnes concernées. Va-t-on le lui reprocher ?

Lors de votre intervention vous avez insisté sur le besoin « d’explorer des propositions pour que les Français aient envie de travailler. » Pensez-vous réellement que les Français ne souhaitent pas travailler ?
JM : La France est un pays paradoxal qui réclame du travail mais déteste les patrons et la réussite. Il faut que cela cesse. Nombre de Français ont envie de se lancer dans l’entreprise, beaucoup ont des idées avant-gardistes, mais ils sont empêchés par un nombre incalculable de démarches administratives qui mettent rapidement fin aux projets les plus ambitieux. Idem sur les exigences de diplôme. Un morceau de papier, quel s’il soit, ne fait pas toute la compétence, au mieux valide-t-il une connaissance à la période où il a été obtenu. Pas moins mais pas davantage. La course aux diplômes mène à exiger le bac pour des emplois qui ne le nécessite aucunement. C’est totalement contre-productif à la bonne marche sociétale.

Quelle serait votre première proposition de loi si vous étiez parlementaire ?
JM : Je demanderais une refonte totale de notre système fiscal, père de tous nos maux. Il est impératif d’en passer par là pour offrir à la France un nouveau souffle puisqu’aucun politicien n’a jusqu’ici eu le courage de prendre le sujet à bras le corps.

Pourriez-vous revenir aujourd’hui à la vie qui était la vôtre avant, loin des avantages et des sollicitudes de la notoriété́ ?
JM : Que la notoriété génère des sollicitudes, c’est certain ; il est en revanche faux d’imaginer qu’elle n’offre que des avantages. Ce mouvement m’a ruiné, je ne peux plus exercer mon travail normalement, sans parler des menaces de mort qui me contraignent à toujours sortir accompagnée.

Regrettez-vous cette vidéo ?
JM : Absolument pas. Je ne regrette rien. Je suis toutefois triste du manque de discernement des radicalisés. Ils desservent la majorité des Gilets Jaunes qui sont des personnes respectueuses.

Si vous aviez le dernier mot, Jacline Mouraud ?
JM : Je citerais Talleyrand. « Là où tant d’hommes ont échoué, une femme peut réussir ». La construction de la nouvelle société à laquelle nous sommes en train d’assister passera par les femmes, comme me l’a aussi soufflé madame Michèle Cotta sur un plateau télé : « Le temps des femmes est arrivé ».

Propos recueillis à Bohal (56) le 27 septembre 2019
© Septembre 2019 – Jérôme Enez-Vriad & Bretagne Actuelle

1 commentaire

sd san 2 octobre 2019 at 1 h 44 min

Jacqueline Morreau, ancienne gilet jaune, prône une réorganisation des régions… aurait elle peut d’un centralisme de Paris ? Ou serait elle aveugle à ce point pour ne pas voir que la régionalisation de la France c’est le début d’un fédéralisme à l’américaine ?

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