Alain Maneval est décédé. Il était une figure des médias. Son phrasé original au service d’un vocabulaire singulier aura donné envie à toute une génération d’auditeurs de « causer dans le poste ». Retour sur une carrière hors normes.

La nouvelle frappe en plein cœur. Alain Maneval est mort. Les chaînes infos préciseront un peu plus tard : « Alain Maneval, 69 ans – il venait de les avoir le 23 janvier – est mort des suites d’une longue maladie… » Et certains journalistes de se souvenir. C’était il y a plus de quarante ans. Sur Europe 1. Nous sommes en 1978. Alain Maneval animait énergiquement l’émission PoGo – acronyme de Petites Ondes & Grandes Ondes, mais aussi danse punk au cours de laquelle chacun saute de façon désordonnée – ; PoGo était le seul rendez-vous radiophonique de l’époque à l’assaut des cultures punk et New wave, une prise directe avec l’actualité musicale anglo-saxonne où de nouveaux noms apparaissaient : Siouxsie and the Banshees, Sex-Pistols, Ian Dury and the Blockheads, Echo and the Bunnymen, The Clash, The Jam, The Ramones, Talking Heads…, autant de groupes qui ont depuis poser leur pierre au panthéon de la musique ; le tout agrémenté de jingles explosifs dénaturant le ronron soporifique des radios classiques, et surtout préfigurant ce que serait le réveil volcanique des radios libres en 1981.

Quelqu’un qui n’a jamais fait de mal à personne

Alain Maneval était un homme d’éthique. S’il y a quelqu’un qui n’a jamais fait de mal à personne, en tout cas pas volontairement, c’est bien lui. De son enfance stéphanoise à sa retraite provinciale des dernières années, il aura vécu sur les fondements d’une morale nourrie d’une rare gentillesse, d’une indéfectible générosité et d’une belle conduite, y compris dans l’adversité. Charmant, séducteur, altruiste et plein d’esprit, il ponctuait fréquemment ses interviews par l’exclamation « Bon esprit ! ». Sa morale l’aura conduit à prendre des positions courageuses, pour ne pas dire dangereuses, comme ce jour de mars 1978 où il s’insurgea en direct sur l’antenne d’Europe 1 contre la société Amoco, responsable du naufrage de l’Amoco Cadiz. 

220.000 tonnes de pétrole brut

On se souvient. Ce sont 220.000 tonnes de pétrole brut, auxquelles viennent s’ajouter 3.000 tonnes de fioul, qui noircissent en quelques jours 400 kilomètres de côtes bretonnes. 30 % de la faune et 5 % de la flore marines sont détruites sur une surface de plus de 1.000 km². Des dizaines de milliers d’oiseaux périssent. Les images sont terribles. La Bretagne est traumatisée. En ce mois de mars 1978, Alain Maneval passe un week-end sur l’île de Bréhat, témoin direct malgré lui de cette indicible catastrophe. De retour au micro, furieux, il est le premier à crier sa révolte, invitant les auditeurs à boycotter la Shell qui avait affrété le supertanker. Problème. La multinationale anglo-néerlandaise est aussi le plus gros annonceur d’Europe 1. Elle exige la tête du tribun et l’aura sur un plateau d’argent. La sanction tombe comme un couperet. Interdiction d’antenne pendant trois ans. Le prix de l’éthique.

Alain Maneval bouscule les habitudes du samedi après-midi

Maneval retrouve une visibilité par le biais de la télévision en 1982. Il anime la désormais mythique émission Mégahertz sur la chaîne TF1 pas encore privatisée. Dans un décor à mi-chemin entre un salon contemporain et un bar de quartier saturé de néons multicolores, il bouscule les habitudes du samedi après-midi – exit Guy lux et ses variétés populaires ; on retrouve son style unique et sa voix synthétique magnifiés par la réalisation novatrice de Guy Saguez. Maquillé comme un camion, maniéré plus que de raison, l’animateur parle « branché » et préfère recevoir les artistes en direct plutôt que de diffuser leurs clips. Ancien attaché de presse de Téléphone, Iggy Pop, Pink Floyd et beaucoup d’autres, il active ses réseaux pour obtenir moult exclusivités. La France découvre des artistes venus d’outre-Atlantique : Afrika Bambaataa, Devo, The Go Go’s, Mink de Ville… et d’outre-Manche : The Belles Stars, Haircut 100, Killing Joke… sans oublier les Français : Alain Bashung, Elli & Jacno, Brigitte Fontaine, Kas Products, Starshooter… également des Belges comme l’incroyable Henriette Coulouvrat… et des allemands, tels Kraftwerk ou Nina Hagen…

« On a oublié que Maneval a révolutionné la manière de présenter les émissions de radio et de télévision »

L’un de ceux qui ont le mieux évoqué la carrière d’Alain Maneval est son ami Philippe d’Anière, alias Phil Pressing, ex batteur du groupe Starshooter. Bretagne Actuelle l’avait rencontré en septembre 2021. « On a oublié que Maneval a révolutionné la manière de présenter les émissions de radio et de télévision. Il y a eu avant et après lui. Nombre de gamins ont souhaité faire de la radio en imitant son phrasé et sa voix reconnaissable entre mille. C’était nouveau pour l’époque. Provocateur mais constructif. […] Aujourd’hui, les provocateurs sont des petits joueurs sans talent qui ramassent une fausse crotte de chien sur la scène des César. Maneval, lui, présentait son émission Mégahertz avec des cheveux bleus impeccablement coiffés (sorte de dandy futuriste) et un maquillage kabuki. Putain ! Ça avait de l’allure. C’était élégant. Innovant. Et n’oublions pas que cela remonte à 1982. »

Rester en bonne santé devint un emploi à temps complet

Puis ce furent les années difficiles. Celles de la maladie et des traitements lourds. Rester en bonne santé devint un emploi à temps complet. L’animateur avait confessé sa séropositivité dans une émission pour Arte dont le titre résumait sa philosophie : Vivre en positif. Un ultime projet lui tenait à cœur, celui de consacrer une émission à l’homme qui lui fit découvrir la ferveur des 70’s londoniennes entre Carnaby Street et Kings Road : le réalisateur britannique Derek Jarman (sorte de Pasolini anglais) avec qui il avait vécu étant jeune. Hélas ! Aucune production ne donna suite.  Alain Maneval s’était retiré à la campagne avant d’épouser son compagnon de longue date. Une vie loin du tumulte parisien sans imaginer qu’un cancer l’y rattraperait. Avec son Stetson de cow-boy, ses vestes trop larges, son éternel pantalon du cuir et ses lunettes à grosse monture, il demeurera à jamais un homme élégant et courtois, paraissant toujours incroyablement vulnérable, sorte de chevalier sans armure qui s’est offert à la vie en luttant bec et ongles contre ce qu’elle a d’inacceptable. Un éternel généreux, probe, courageux et fidèle. Alain n’est plus. Vive Maneval !

Jérôme ENEZ-VRIAD
© Mars 2022 – J.E.-V. & Bretagne Actuelle

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