Georges Perros aurait eu 100 ans cette année. Né le 23 août à Paris, il avait choisi à partir de 1959 de vivre à Douarnenez, au bout du bout de la Bretagne. Pour marquer cet anniversaire, le poète Hervé Carn rend hommage à l’auteur des Poèmes bleus, de La Vie ordinaire ou des Papiers collés (Gallimard). En 54 séquences poétiques, il nous raconte leurs années d’amitié entre 1973 et 1978, date du décès de Perros.

Hervé Carn a 24 ans quand il arrive à Quimper. Né dans les Ardennes au cœur d’une famille originaire du Finistère, il vient y occuper un poste de professeur de Lettres. Il a lu Georges Perros, aime ses livres et entreprend de le rencontrer à Douarnenez « sur la cale désencombrée des touristes » (…) « Pas de présentation, la présence suffit » et cette relation fut un engagement « à le suivre dans d’autres contrées ».

Perros et Carn ont déjà au moins un point commun. Ils sont fils uniques. « Nous vivions avec le vide de l’autre » (pour Perros, un frère jumeau mort à la naissance). Mais cela, on s’en doute,  ne suffit pas pour nourrir une amitié durable, pas plus que l’intérêt qu’ils cultivent tous les deux pour le football (Perros chroniquait sous un pseudo les matches du club local de La Stella Maris). Hervé Carn n’est pas là non plus pour entretenir, à petits frais, la mythologie perrosienne : ses virées en moto, sa pipe légendaire, sa bourlingue des comptoirs, son exigu appartement HLM sous les toits. Carn n’est pas là, enfin, pour nous faire la recension des livres qui ont fait la renommée de Perros. Il est d’abord là pour nous parler de l’homme Perros, de son être au monde et de sa relation aux autres.

Ce qui le frappe avant tout chez Georges Perros, c’est « l’authenticité ». Pas de faux-semblant, pas d’esbroufe.  Il était « Ferme. Généreux. Réfléchi. Cultivé. Courageux. » Comme tant d’autres jeunes de son âge qui ont aimé le grand écrivain, Hervé Carn est sensible à « L’homme ordinaire qu’il avait choisi d’être par amour/Pour une femme qu’il adorait qu’il admirait/Pour ses enfants qu’il chérissait inquiet/Toujours de leur devenir dans un monde/De plus en plus inculte et voué au vulgaire ». Il ajoute même : « Il avait peu de péchés capitaux et l’envie/Lui était tout à fait étrangère ce qui faisait/De lui dans son époque une anomalie. »  L’éloge n’est pas mince. Hervé Carn sait ce qu’il doit à cet homme-là. « Il m’a aussi permis de m’éloigner/De moi-même et de vivre l’espace/D’une découverte du monde/Qui ne serait pas asservie/Aux intérêts du petit moi ».

Les échappées avec Perros  dans son terroir familial du côté de Plonévez-du-Faou

En même temps, c’est toute une époque d’effervescence littéraire qui revit ici sous sa plume, faite de rencontres multiples. On voit ainsi émerger, au fil de ces séquences poétiques, les silhouettes de Michel Butor, Jean Bazaine, Paol Keineg, Marc Le Gros, Michel Quesnel, Jean Roudaut… Il a aussi, dans les parages,  Sevy Valver, alias Yves Landrein, fondateur des éditions Ubacs et plus tard de La Part commune, à qui l’on doit la publication des correspondances de Georges Perros avec Jean Grenier, Lorand Gaspar, Vera Feyder et Carle-Gustav Bjurstrôm. Tout ce beau monde peut se retrouver autour d’une table de bistrot ou de restaurant à Quimper ou ailleurs et d’autres convives peuvent aussi être de la partie (Jacques Guéguen, Jean-Yves Boudéhen…)

Hervé Carn garde un souvenir ému de tout cela, mais aussi de ses échappées avec Perros  dans son terroir familial du côté de Plonévez-du-Faou et « vers tous les lieux qu’il chérissait » (Locronan, Sainte-Anne La Palud, l’île de Sein…) avec, à la clé, un déjeuner «Sur le pouce arrosé de vin rouge/Dans un Routiers ou une gargote ». Quand la maladie s’est abattue sur Perros, il se souvient d’un homme qui la combattait « avec toutes les formes de l’humour » (Perros mourra le 24 janvier1978 et sera enterré au cimetière marin de Tréboul). « Curieuse époque que celle de vos cent ans,, note aujourd’hui Hervé Carn, Où lire n’est plus qu’un loisir d’ouvroir/Où les livres ne touchent plus/Que les étudiants dans leurs soupentes/Et les vieux messieurs chancelants/Que nous sommes devenus ». D’où l’urgence, nous dit-il entre les lignes, de lire ou de relire Georges Perros et d’apprivoiser, pour notre plus grand bien, son « triomphant désespoir ». 

Pierre TANGUY.

Hervé Carn, Georges Perros, la vie est partout, éloge, La Part Commune, 2023, 82 pages, 13 euros.

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