Henry David Thoreau : « Je vous inonderai de lettres » HermineHermineHermineHermine

Qui a lu et aimé Walden ou la vie dans les bois de Henry David Thoreau ainsi que son Journal ne peut qu’être curieux de découvrir sa correspondance. Le célèbre écrivain américain (1817-1862) a été un épistolier assidu. Le premier tome de ses lettres, que La Part Commune publie aujourd’hui, couvre la période 1834-1846. Le jeune Thoreau a alors entre 17 et 29 ans.

Quand débute sa correspondance, il est étudiant à l’université Harvard où il obtient son diplôme en août 1837. Il devient instituteur à l’école publique de Concord, sa ville natale dans le Massachusetts, mais démissionne très vite et entame la rédaction de son Journal. En 1838, il ouvre sa propre école avec son frère John. Il y enseigne jusqu’en 1841, date à partir de laquelle il renforce ses liens avec Ralf Emerson, fondateur du mouvement transcendantaliste, à qui il apporte son aide pour la rédaction du Dial. En 1842, Thoreau publie L’histoire naturelle du Massachusetts (La Part Commune, 2014). Puis le voici en 1843 précepteur des enfants du frère d’Emerson à Staten Island. C’est en 1845 qu’il commence la construction de sa cabane à Walden, un étang boisé près de Concord où il s’installe le 4 juillet.

Telle est la trame sous-jacente de cette correspondance de jeunesse où l’on découvre un Thoreau intime multipliant les lettres à sa mère, à sa famille, à ses anciens amis de promotion d’Harvard, à Emerson bien sûr, et à tant de personnes qui commenceront très vite, à s’intéresser au contenu de ses articles et bientôt à ses conférence. « On y découvre, loin de la légende d’ermite des bois que la postérité lui a faite, un être éminemment sociable et attentif à ceux qui lui sont chers », souligne Thierry Gillyboeuf qui a établi, préfacé et annoté cet important ouvrage contenant pas moins de 144 lettres.

On y découvre aussi un homme déjà en rupture avec les institutions et la vie sociale. « Force m’est d’avouer que j’ai tendance à considérer les métiers et professions comme autant de pièges que le Diable pose pour capturer les hommes », écrit-il dans une lettre du 14 mars 1842. On le découvre enfin délibérément engagé du côté des abolitionnistes ou des défenseurs des Amérindiens. Sa correspondance apporte également d’utiles renseignements sur les phénomènes migratoires qui touchent, à cette époque-là, la côte est de l’Amérique. Ainsi Thoreau nous parle-t-il des ouvriers anglais « que l’on reconnaît à leurs visages pâles et à leurs main tachées » ou encore de ces Norvégiens « qui emportent avec eux leurs outils araires à l’ancienne dans l’Ouest, et qui n’achètent rien ici de peur d’être floués » (lettre du 1er octobre 1843)

Mais l’homme de Walden, celui de l’immersion dans la nature, pointe déjà le bout du nez. « Mon tempérament me porte à observer la nature avec la même sympathie spontanée que l’herbe aux yeux bleus dans la prairie scrute la face des cieux » (lettre du 21 juillet 1841). « Chaque brin d’herbe dans le champ, chaque feuille dans la forêt fait le sacrifice de sa vie quand la saison est venue avec autant de grâce qu’il a ou qu’elle a mise à pousser » (lettre du 11 mars 1842).

Il y a dans cette correspondance d’innombrables pépites de ce type. La lecture peut devenir un vrai enchantement au sein d’une correspondance qui s’éparpille, parfois, dans des considérations plus terre à terre parce que liées à des questions matérielles ou de gestion du quotidien. Et cela est bien normal. Mais Thoreau n’est jamais ennuyeux. Ses lettres nous révèlent – s’il en était besoin – la profondeur de sa pensée et ses qualités littéraires. Surtout quand la correspondance est l’occasion, comme elle l’était au 19e siècle, d’exprimer des sentiments très intimes. « Vous me faites l’impression de vous exprimer depuis des cieux dégagés et inaccessibles, où l’on peut se retrouver pour peu que l’on s’élève. Votre voix ne semble pas en être une, mais venir autant des cieux d’azur que du papier », écrit-il dans une lettre du 20 juin 1843 à Lidian Jackson Emerson, la femme de son ami Emerson, dont il était secrètement amoureux. Thoreau en amoureux transi : on connaissait moins.

Pierre TANGUY
Je vous inonderai de lettres, Henry-David Thoreau. Correspondance générale, tome 1 (1834-1846). Edition établie, préfacée et annotée par Thierry Gillyboeuf, La Part Commune, 445 pages, 22 euros.
Thierry Gillyboeuf est l’auteur de Henry David Thoreau, le célibataire de la nature (Fayard, 2012)

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