Si la Révolution française a remplacé le lis et la Vierge par le bonnet phrygien et Marianne, l'hermine n’a en revanche jamais quitté la Bretagne. Figure incontournable des armoiries ducales depuis le XIVe siècle, elle est devenue l’emblème d’une langue… d’une culture… d’un peuple… d’un pays… et de son drapeau, le Gwenn Ha Du.
L’étude de la vexillologie (des drapeaux) remonte à la préhistoire, lorsque les chefs de tribus tenaient un long bâton orné d’une peau de bête afin d’être visible de loin : son nom, le vexille, est l’ancêtre des étendards romains. Plus tard, la découverte du fil de soie en Chine, permit le tissage d’immenses bannières colorées ayant pour avantage une visibilité accrue. L’arrivée du heaume contraignit nos chevaliers du moyen-âge à un autre mode de reconnaissance : les drapeaux s’individualisèrent selon des règles héraldiques strictes ; seule la croix chrétienne était autorisée, ainsi que certaines représentations animalières ou végétales, telles celles du lion, de l’aigle, du griffon, de l’hermine, du cheval, ou encore de la fleur de lys et de la rose. Il faudra attendre le XVIe siècle pour un abandon progressif des bannières armoriées au bénéfice de drapeaux « modernes » marquant la fin des monarchies, sauf en Bretagne où les symboles d’hier flottent encore au souffle du vent contemporain.
Un animal légendaire symbole de pureté
L’hermine est un des symboles les plus utilisés en vexillologie bretonne ; d’abord l’animal dans sa globalité, réduite ensuite à la célèbre moucheture noire figurant sa queue lorsque, l’hiver venu, elle reste la seule partie du pelage à ne pas muer en blanc. Sa première représentation héraldique remonte à Pierre de Dreux (1187-1250), vingtième duc de Bretagne qui, initialement promis à la vie monastique, aurait fait ajouter une bannière d’hermine au blason de son père. En effet, cette belette des champs à la mue automnale était autrefois un attribut cléricale symbolisant la pureté. Il existe cependant une fable au sujet de sa présence sur nos drapeaux et oriflammes ; elle met en scène Anne de Bretagne lors d’une partie de chasse, la duchesse fut impressionnée par un petit animal préférant faire face aux chasseurs plutôt que de fuir à travers la boue et de salir son pelage immaculé. Anne le gracia puis en fit son emblème. La devise du pays breton : « Kentoc’h mervel eget bezan saotret – Plutôt la mort que la souillure », s’inspire de cette légende.
Le Gwenn Ha Du : principal symbole breton avec le triskèle
Nombreux étaient les armoiries, blasons et drapeaux moyenâgeux à n’avoir recours qu’au blanc & noir pour des raisons pratiques de faisabilité et visibilité. On retrouve d’ailleurs ces couleurs chez les templiers bretons – la fameuse croix noire (Kroaz du) sur fond blanc – et ce seront elles, agrémentées de mouchetures d’hermines, que choisira le créateur du Gwen Ah Du. Nous sommes entre 1923 et 1925, l’architecte et illustrateur Morvan Marchal appartient au mouvement Seiz Breur créé par un groupe d’artistes bretons entre les deux guerres mondiales, il travaille sur l’emblème d’une union régionaliste baptisée Unvaniez Yaouankiz Vreiz – Union de la jeunesse de Bretagne ; Morvan Marchal s’inspire du blason rennais et de la bannière américaine, en résulte un drapeau à neuf bandes horizontales blanches & noires représentant les neuf pays bretons issus des anciens évêchés. Quatre bandes blanches pour les pays de la Bretagne bretonnante, ou Basse-Bretagne : Bro-Leon – Léon, Bro-Gernev – Cornouaille, Bro-Wened – Vannetais, et Bro-Dreger – Trégor. Puis cinq bandes noires pour les pays de la Bretagne gallaise, ou Haute-Bretagne : Bro-Sant-Brieg – Saint-Brieuc, Bro-Zol – Dol, Bro-Sant-Maloù – Saint-Malo, Bro-Roazhon – Rennes, et Bro-Naoned – Nantes. Les mouchetures d’hermine, nous l’avons vu plus avant, symbolisent le clergé.
Le Gwenn Ha Du au fil du temps
La première levée officielle du Gwenn Ha Du eut lieu en 1925 à l’exposition des Arts décoratifs de Paris. Deux ans plus tard, plusieurs mouvements politiques bretons l’officialisent comme drapeau national. Au milieu des années 30, il prête cependant à querelle avec les tenants du drapeau d’hermine traditionnel. Une règle tacite s’instaure alors pour utiliser le Gwenn Ah Du pendant les manifestation laïcs, les pèlerins hisseront quant à eux l’Hermine lors des fêtes religieuses. Durant la Seconde Guerre mondiale, divers groupes autonomistes et séparatistes l’arborent, un affichage qui lui valut d’être considéré comme une bannière séditieuse par les autorités françaises et celles d’Occupation. A partir des années 50, il se démocratise dans les classes populaires. On l’observe lors de manifestions ouvrières et d’évènements sportifs de renom, comme ce 27 mai 1965, lorsque l’équipe de football du stade rennais l’emporte sur celle de Sedan au terme d’un match comptant pour la coupe de France. Mai 68 ! Un Gwenn Ah Du est planté sur la Sorbonne. Il rejoindra même l’espace et la stratosphère, lorsqu’en 1982 le spationaute Jean-Loup Chrétien l’amène avec lui à bord d’une fusée Soyouz vers la station spatiale Saliout 7.
Bien que n’ayant aucun statut officiel (ni en Bretagne ni en France), le Gwenn Ha Du représente aujourd’hui la Bretagne dans son intégralité. Il flotte sur la plupart des mairies, des bâtiments publics, et participe à toutes les fêtes bretonnes. On l’observe au fronton d’un des trois musées de François Pinault : le Palazzo Grassi de Venise ; lors de son arrivée à la présidence du Conseil général de Loire-Atlantique en 2004, Patrick Mareschal le fit hisser devant le bâtiment pour marquer l’appartenance du département à la Bretagne ; enfin, depuis le 17 décembre 2020, 11h15 précises, ses couleurs voisinent sur la mairie de Nantes avec celles du Tricolore français et du drapeau nantais, bardé lui aussi de mouchetures d’hermines
Le long voyage d’un peuple et de sa région redevenue pays
Le Gwenn Ha Du… l’hymne breton… la langue unifiée… passent encore aujourd’hui aux yeux de certains pour des caprices régionalistes. Et pourtant ! Jamais les autonomies régionales françaises n’ont été autant d’actualité. Toutes réunies, elles compliquent le chemin de la technocratie parisienne qui finira un jour par s’y perdre. Cela se fera presque par hasard, au fruit mûr d’une lutte séculaire qui aura atteint son développement. Alors nous rassemblerons les chevaux et les cloches retentiront. Ainsi commencera le long voyage d’un peuple et de sa région redevenue pays.
Jérôme ENEZ VRIAD
© Décembre 2020 – Jérôme Enez-Vriad & Bretagne Actuelle