Ecrivain, peintre, visionnaire : l’Irlandais George William Russel (1867-1935), né dans le comté d’Armagh, demeure un auteur à découvrir. Ami du grand poète irlandais Yeats, il n’a pas connu la postérité de celui-ci. Sans doute faut-il l’expliquer par le caractère insolite de sa personnalité. Un livre regroupant ses écrits ou ceux d’auteurs qui l’ont connu permet de mieux comprendre ses ressorts créatifs.

George William Russell faisait des rêves éveillés et ressentait autour de lui la présence d’êtres surnaturels. Cette expérience mystique qui le caractérise a sans doute fait oublier qu’il fut un homme très engagé dans le mouvement nationaliste irlandais (le héros fondateur de l’Irlande, Eamon de Valera, assista à ses obsèques) mais aussi dans le mouvement coopératif agricole. On le voit, une personnalité très éclectique. Sans compter qu’il était végétarien, qu’il prenait le parti des femmes en demandant qu’on leur accorde le droit de vote, qu’il prônait l’action non-violente et qu’il cultivait une forme d’écologie avant l’heure en soulignant dans ses textes que « nous faisons partie de la terre ».

Visionnaire à coup sûr, en avance sur temps. Mais c’est d’abord un homme qui a cherché à trouver une explication à ses visions. Cette quête l’a conduit vers la théosophie et vers les cercles diffusant cette idéologie en Irlande. Il s’est également passionné pour la pensée hindoue telle qu’elle s’exprime dans les Upanishads ou la Bhagavad Gîta. Il s’est abreuvé aux textes mystiques de toutes les religions. « Je préfère la poésie soufie à toute chose, affirmait-il,  parce qu’elle s’enivre de choses divines ».

La quête de l’âge d’or

George William Russell était surnommé AE, initiales du mot AEon, « mot forgé par les gnostiques pour désigner les premiers êtres créés, séparés de la divinité », note Marie-France de Palacio dans la riche introduction à ce livre dont le cœur est constitué de textes de Russell publiés entre 1892 et 1897 dans The Irish Theologist.  « Ses écrits sont comme sa peinture : on peut les lire sans posséder la clef de tous les symboles », note Marie-France de Palacio. On y trouve des rêves éveillés ou des transcriptions de promenades oniriques. Dans le texte qui donne le titre à son livre, AE raconte : « Je m’éveillai de mon sommeil en un cri. Je fus précipité hors du grand abîme et chassé de l’obscurité (…) Je me dirigeai à grande vitesse vers le nord, des eaux sombres s’écoulant sous moi et des étoiles accompagnant mon vol. Puis un rayonnement illumina les cieux, les pics et les grottes de glace, et je vis les Aurores Boréales ».

On peut être désarçonné par de tels propos, n’y voir qu’élucubrations et fantasmes. Mais une pensée sous-tend en réalité la démarche de l’auteur irlandais : « Je suis persuadé, écrit-il, que l’âge d’or nous environne et que nous le pouvons, si nous le voulons, dissiper cette opacité et avoir encore une fois la vision de l’antique beauté ». C’est cette quête d’une forme d’âge d’or (Ce paradis dispersé sur toute la  terre dont parle le poète Novalis) qui a pu séduire, un moment, le jeune poète Philippe Jaccottet (il le raconte dans son livre La promenade sous les arbres) mais il a pris très vite ses distances avec Russell car AE, écrit-il, « ne questionnait pas réellement le monde mais volait vers un monde « supérieur » et ce monde avait tous les défauts de la sur-nature ».

Russell pratiquait aussi l’aphorisme

Ce livre n’est pas seulement un récit de ses visions. Russell pratiquait aussi l’aphorisme, l’une de ses formes littéraires préférées : « Dans la vie, l’homme de cœur et de mérite peut être reçu dans la meilleure société, même s’il ne prend pas soin de sa toilette ou a une apparence négligée. Rien de tel en littérature. Les gardes du palais sont snobs et une pensée de la plus grande valeur ne sera pas reçue avec respect si sa robe ne convient pas ». Russell, lui,  était profondément un homme de cœur, désintéressé, altruiste. Tous les gens qui l’ont rencontré l’ont souligné. « Sa gentillesse envers les jeunes écrivains était proverbiale », raconte, dans un texte publié dans ce livre, le poète irlandais Monk Gibbon (1896-1987). Dans une lettre qu’il lui avait adressée, Russel écrivait : « Je ne pense pas qu’il vaille la peine d’écrire de la poésie si l’on ne sent que c’est là la plus haute expression de l’esprit humain ». Des poèmes de Russell lui-même, William Butler Yeats disait qu’ils étaient « des tentatives pour saisir, en un réseau d’images obscures, un état d’âme élevé et impalpable ».

Pierre TANGUY.

Les aurores boréales, George William Russell, Arfuyen, 216 pages, 17 euros

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Edito

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