Fortune de terre HermineHermineHermineHermine

Lire Pierre Tanguy le finistérien nous rassure d’être terrien. De cette terre avec talus, vents, chênes à trogne, et surtout, à leur pied, le fouillis épique et épineux des ronciers. Lire Pierre Tanguy est plus doux qu’eux !

L’épopée d’enfance est au cœur de sa poésie. Une poésie sous ses hauts tuteurs que sont Robin, Keineg, Thoreau, ou, si loin du Finistère : Mahmud Darwich et Shizue Ogawa ou Li Qhing Zhao ! Pierre Tanguy est un poète lecteur de poètes ! Sa confrérie a ses mains griffées dont les mots sont le sang.

Lire Tanguy c’est se lier au monde et à ses fortunes de terre.

Procédant d’un monde féminin, le poète ne sera pas chasseur : il cueille, il accueille, il recueille. C’est ce féminin des bouts du monde qui ouvre, en chaque lecteur, son enfance.

Une enfance de pot à lait, avec sa petite chaîne pour tenir le couvercle. Une invention, le pot à lait pour le remplir de mûres.

Pierre Tanguy, ami habitué des lecteurs de Bretagne Actuelle, ne nous livre ici rien d’autres qu’une épopée douce des mûres. Oui cette baie des ordinaires, ce fruit sauvage et prolétaire, au fil du recueil édité par La Part commune, son seizième dans cette fameuse Maison d’édition rennaise !

Doux temps d’hiver où il reste les confitures à la cave à offrir aux amis, ou pour tartiner le pain du sang sombre et sucré, âcre aussi, des fins d’été.

Le petit livre de Pierre Tanguy est joliment illustré par Marie-Pierre Kerdraon. Cueco illustrait ses livres de patates, ici les mûres sont des yeux, des mains, des sourires violets qui ramènent au fond, à quoi sinon notre ingourmandable goumandise ? Et Pierre Tanguy à qui sinon sa mère ? La mère guide, la mère conseille, la mère sait, ne gronde pas si le pot à lait se renverse ! La mère aux cheveux mis en plis, au-delà de sa figure individuelle, est transcendée d’universel.

La poésie de Tanguy est douce. Haïku parfois :

Mains écarlates / taches au pantalon / après la cueillette des mûres

Ou poème frontal, matérialiste. Guillevic est à l’angle, Ponge peut-être :

Avant la mûre, il y a la fleur
La fleur pâle du roncier
Rose, rose rouge, rose pâle.
Personne ne la voit.
Ce ne sont pas des fleurs.
On ne les cueille pas.
Alors on passe devant.
Mais parlez-moi de leur lumière
Et des abeilles qui viennent s’y abreuver.

Tanguy est un poète car il voit ce que peu voient. Il n’est pas en concurrence avec l’abeille. Il est de son ordre, de sa catégorie, il est de son espèce. Il ne manque dans ce joli petit opus que sa recette de confiture pour comparer à la nôtre : Je fais au jugé / Je ne pèse rien / J’évalue sous la langue.

Chaque mère a sa manière et chaque fils la sublime. Comme chaque été chaque roncier, chaque coin à mûres, chaque poème est une promesse !

Encore un effort Pierre Tanguy ! Nos enfants et les enfants de nos enfants prouveront aussi l’infini gisement des mots et des merveilles (dont les mûres !)!

Gilles CERVERA

Pierre Tanguy La cueillette des mûres aux éditions La Part commune 13€

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