Jean Louis Coatrieux continue de nous embarquer. Est-ce par son nom de bois et de rivière, cette forêt d’estuaire dont son patronyme porte le symbole qu’il est tant destiné aux lointains ? Est-ce son sort breton d’américain latin, aussi de cubain breton ou d’Uruguayen du Trieux ? L’auteur pousse encore plus loin le déjà entamé biopic d’Alejo Carpentier.

Son dernier opus publié chez Apogée était intitulé De la Bretagne à Cuba. Son second, est-ce la fin, a pour titre Le rêve d’Alejo Carpentier, Orinoco.

Voyez l’effet d’une langue ! Orinoco, où nous retrouvons-nous ? Quel fantasme ! Quel saut ! Voyez le plaisir de l’auteur à entrer dans ces mots ibériques qui parsèment le livre, l’ensemencent, au point de provoquer chez le lecteur un certain tournis. On quitte le simple guide touristique ou la reconstitution historique pour se retrouver Alejo dans ses songes. Alejo dans ses rencontres, Alejo dans la rumeur des révolutions. Alejo dans le lit des amantes ou sur les chemins d’exil.

Qui est l’auteur ? Jamais celui qui dit je. Je n’est pas Alejo comme Magritte n’a pas peint la pipe mais sa représentation.

Le débat est lancé. Flaubert est Bovary mais Coatrieux ne sera pas Carpentier en dépit de ses allers-retours dignes d’un ethnographe perdu dans la forêt d’un péplum amérindien !

Je ne crois pas qu’il faille éreinter le réel pour atteindre le merveilleux. C’est Coatrieux qui l’écrit, Alejo est censé le penser. Nous voyageons moins dans les ruelles, les vieilles bâtisses qui portent leurs empreintes, non, nous sommes moins enthousiastes à chercher les empreintes que voués à errer dans un songe où les mots libertad, presos, revolucion, solidaridad, basta caudillos, s’ils reviennent sans cesse, restent, comme sous l’établi du menuisier, un tas de copeaux qui sent si fort qu’il nous somme de regretter l’essence initiale de l’arbre.

Coatrieux a tout lu, tout entendu, des discours officiels, du contexte, des réunions et des conférences, clandestinas ou au grand jour, des clubs de jazz ou du cinéma muet. Il nous fait côtoyer un name-dropping fabuleux, de Bunuel à Picasso, d’Hemingway ou Queneau (leurs ombres passent !) aux Yekuanas et leur dieu Wanadi ! S’est-il donc fait petite souris dans les archives, a-t-il mis son pied dans la porte des hôtels de La Havane ou, en érudit cartographe, en flâneur et en documentariste a-t-il manié avec agilité la somme infinie des algorithmes ? L’âme, on croit la perdre mais on la retrouve, celle de Coatrieux dont le fil d’Ariane est l’amour obsessionnel et exhaustif du détail : jusqu’au dernier sommeil de Jose Marti : Tombe 134, Santa Efigenia à Santiago.

L’histoire de mes Amériques se résumerait-elle à une pièce de théâtre écrite et réécrite en changeant seulement les principaux personnages ?

On doute soudain avec l’auteur.

Pirandello a écrit ses Six personnages en quête d’auteur, Coatrieux nous noie sous leur poids et leur fascinante exotopie.

Il n’en est pas, n’en a pas été et n’en sera pas. Le livre ne manque pas d’exhausteurs de goût mais l’auteur et donc le lecteur restent sur le bord. La question qui se pose est double et c’est celle du double ! Peut-on être extérieur et s’identifier à l’intérieur ? Peut-on narrer le dedans qui est lu, analysé, interprété depuis le dehors ?

L’écriture fait-elle une interface suffisante pour qu’on ne sente plus l’épaisseur de la feuille ?

Le songe d’Alejo est bien celui de Jean Louis Coatrieux. Celui d’une littérature – monde dont Frida est le corps, Beckett un point de côté et tous les poètes, les écrivains, les rêveurs et les romanciers la preuve du sens.

Je revendique de rêver. Pourquoi reculer devant la profusion du monde ?

Pas Michel Le Bris, récemment parti pour le plus long de ses voyages, qui démentira !

Gilles CERVERA

Jean-Louis Coatrieux Le rêve d’Alejo Carpentier Orinoco aux éditions Apogée 198 pp 20€

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Edito

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